Once more. Liberté d’expression ou blasphème ? Une fois de plus la Tunisie 2020 est agitée par un débat insensé. Ou quand la religion rend fou…
Une jeune blogueuse a en effet commis un crime de lèse-majesté en publiant sur Facebook un texte humoristique sur le Covid-19, Crime s’il en est puisque le texte en question imite et moque la forme du verset coranique : là est toute l’affaire : Liberté d’expression ou blasphème ?
La sourate « Corona », l’objet de l’outrage
Covid / Et le virus mortel / Ils sont étonnés de le voir débarquer de la Chine lointaine / Les mécréants disent que c’est une maladie […] Accrochez-vous à la science et abandonnez les traditions / Ne sortez pas pour acheter la semoule.”
Il semble que la chose soit vite dite puisque Emna Chargui a été d’emblée convoquée par la police le 4 mai, et se retrouve accusée d’offense au Coran par le Parquet tribunal de première instance de Tunis : le chef d’accusation ? Simple et clair. Emna aurait appelé à la haine entre les religions, les races et les populations, en incitant à la discrimination, en utilisant des moyens hostiles et en violant l’un des rituels religieux autorisés en republiant un blog fictif interprété comme une parodie du texte coranique.
Son avocate, Maître Inès Trabelsi, a rapporté sur la radio privée IFM que le Parquet avait invoqué l’ambigu article 6 de la Constitution tunisienne de 2014, lequel indique à la fois que “l’État protège la religion” mais qu’il garantit en même temps “la liberté de croyance, de conscience et de l’exercice des cultes”.
L’affaire divise la presse
Alors que le site d’information indépendant Business News se demande à propos du débat qui agite le pays s’il s’agit d’une blague qui aurait mal tourné, que L’Observatoire national pour la défense du caractère civil de l’État informe, via un communiqué publié mercredi 6 mai, qu’Emna Chargui, victime d’une campagne d’insultes et de diffamation, aurait même reçu des menaces de mort, alors que dans une tribune publiée par le site libéral Kapitalis, Chérif Férjani, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam, rappelle que le pastiche est un genre littéraire qui ne date pas d’hier et que de grands noms de la littérature arabo-musulmane s’y sont essayés, alors que plusieurs associations de défense des droits de l’homme[1] sont montées au créneau, exigeant l’abandon des charges contre la jeune blogueuse, dénonçant ces tentatives odieuses visant à restreindre les libertés garanties par la constitution, et demandant au Ministère public de prendre des mesures pour retrouver les auteurs des campagnes d’expiation, de menaces et d’apologie de la violence à l’encontre de la jeune fille, le site indépendant Réalités, lui, condamne l’acte de la jeune Tunisienne, estimant qu’il « ne faut pas confondre laïcité et rejet de la religion » et qu’il ne doit pas être possible« de porter atteinte au sacré sous la couverture de la liberté d’expression ».
Cherif Ben Younès dénonce dans Kapitalis la tutelle morale exercée par l’Etat et rappelle que l’écrivain tunisien Ezzeddine Mahdni avait écrit dans les années 70 tout un roman parodique intitulé « L’homme zéro », faisant grincer des dents dans les milieux religieux mais n’ayant pas eu affaire à la justice. Le journaliste dénonce cet État tunisien soumis à la pression rétrograde d’une partie de la société et s’opposant à la liberté d’expression et invoquant la violation de la pudeur et des bonnes mœurs et de la morale.
Il nous rappelle encore le cas de Jabeur Mejri et Ghazi Deji, ces deux athées de Mahdia qui furent jugés en 2012 pour avoir publié des textes critiquant ouvertement l’islam.
Un carcan décidément plombe ces esprits. Pathologie idéologique quand tu nous tiens…
Emna Chargui comparaîtra libre devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Tunis, le 28 mai 2020.
[1] Les associations signataires de ce communiqué commun sont
-Le Syndicat national des journalistes tunisiens
-Le Haut comité des droits de l’homme et des libertés fondamentales
-La Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme
-L’Association tunisienne des femmes démocrates
-L’Euroméditerranéenne des droits de l’homme
-Le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme
-L’Association tunisienne pour la défense des droits de l’enfance
-L’Organisation contre la torture en Tunisie.
Cela ne vous rappelle-t-il pas l’affaire Mila ? Partout, les libertés régressent et le fascisme progresse, le plus souvent sous couvert de religion ou de respect de la « morale ».