La justice le soupçonne d’avoir inventé l’escroquerie du siècle. Ces quinze dernières années, Cyril Astruc a passé sa vie entre des villas somptueuses et des cellules de prison, fréquenté des gangsters et des milliardaires, gagné jusqu’à 600.000 euros par jour grâce à des méthodes peu avouables. Dans le numéro d’août 2015 de «Vanity Fair», il raconte à Olivier Bouchara et Hervé Gattegno et pour la première fois ses folles aventures.
L’idée lui a été soufflée par un ami architecte : «Tu pourrais te faire construire un passage secret.» Sur le moment, Cyril Astruc a trouvé le concept «pittoresque». Sa villa d’Herzliya, banlieue huppée de Tel-Aviv, était déjà agrémentée d’un terrain de tennis, d’une piscine à débordement et d’une salle de sport high-tech. Pourquoi pas un tunnel? En cas de problème, une sortie dérobée pourrait toujours servir. Il a étudié les plans, lancé des travaux et fait dissimuler l’entrée au premier sous-sol derrière un mur factice : un code débloquait une porte qui ouvrait sur un corridor d’une trentaine de mètres – «Et là,raconte-t-il, tu ressortais par le garage, tranquille.» Un léger sourire point au coin de ses lèvres. «Mais ça, c’est dans les films. En réalité, le jour où tu as des ennuis, tu ne t’enfuis pas dans la rue en courant.» Les ennuis frappent à la porte le 1er octobre 2013, vers 4 heures du matin. Cyril Astruc s’est couché deux heures plus tôt, épuisé. Il dort nu, «comme toujours», lorsque des bruits de pas le réveillent. «J’ai pensé : “Des voyous ont pénétré dans la maison.”» Son épouse n’est pas là ; les enfants dorment à poings fermés. Il saisit un couteau en passant dans la cuisine, s’approche du vestibule à pas de loup et tombe nez à nez avec les intrus. «Ils ont hurlé : “Police ! Police !” Puis très vite : “Allez vous habiller !”» se souvient-il. Sur le chemin du dressing, il murmure aux employées de maison apeurées de filer par le tunnel. «Les pauvres, elles n’ont jamais trouvé l’entrée ; elles se sont planquées où elles ont pu. Les policiers sont venus me demander : “Dites, c’est à vous les Philippines qui sont cachées dans les enceintes du home cinéma ?”»
La perquisition dure dix heures. La propriété s’étend sur 1 500 mètres carrés ; la villa est immense. Les limiers du Lahav 433, l’unité de la police israélienne spécialisée dans la lutte contre le crime organisé, inspectent chaque pièce. Ils retournent les matelas, fouillent les penderies, vident les albums photos. «Un moment, je ne sais pas pourquoi, ils sont restés bloqués devant une bouteille de vodka à 2 000 euros», relève-t-il. À l’en croire, la collection d’art contemporain leur a fait moins d’effet : «Les sculptures de César, ça ne les a pas beaucoup intéressés.» Ce jour-là, Astruc n’est pas interpellé et les enquêteurs repartent avec un maigre butin – au mieux, quelques documents. «Rien de fantastique, assure-t-il d’un ton blasé, presque habitué à ce genre de visites. Mais ça m’a beaucoup agacé. J’ai eu l’impression d’être traité comme un terroriste. Je me suis dit que ça ne pouvait plus durer.» Au début du mois de décembre, il réunit sa femme, Valérie, et leurs deux aînés, Naomi et Zachary, pour les prévenir qu’il va rentrer à Paris. «J’en ai assez, explique-t-il. J’ai 40 ans ; il faut que je règle mes histoires. En France, on va m’envoyer en prison, mais si je n’y vais pas maintenant, je n’aurai jamais le courage plus tard.» Le soir du 9 janvier 2014, il finit par dire à son épouse : «Allez, je me casse.» Il quitte Herzliya avec une autorisation de sortie du territoire valable huit jours et le strict nécessaire pour une reddition qui ait de l’allure : un sac de voyage en crocodile Zilli, 8 000 euros en petites coupures, une montre Richard Mille, un gilet en fourrure. À l’aéroport de Tel-Aviv, il franchit les contrôles sans encombre. Mais à Roissy, la police et les douaniers ont visiblement été prévenus – il se demande toujours par qui. «Ils m’attendaient sur la passerelle. Dès que je les ai vus, j’ai sorti mon passeport en disant : “C’est bien moi.”» On le pousse dans une voiture, direction le palais de justice de Nanterre où le juge d’instruction Patrick Gachon le met en examen pour «corruption» et «escroquerie et blanchiment en bande organisée». Quelques heures plus tard, il est écroué à la maison d’arrêt de Fresnes. Dans la prison, la nouvelle se répand aussitôt : Astruc a été arrêté. Un monde fou rêve de le rencontrer : des juges et des policiers qui l’ont longtemps cru insaisissable (son nom est cité dans une cascade d’enquêtes financières), des truands que sa fortune réelle ou supposée fait saliver, d’anciens associés ou concurrents qui désespèrent de percer les secrets de sa réussite. Il est comme Arsène Lupin enfermé à la Santé dans 813, le plus troublant des romans de Maurice Leblanc : un prisonnier-vedette, qui suscite autant de vigilance que d’admiration. On le présente comme «le prince du CO2», le cerveau de l’escroquerie à la taxe carbone, cet incroyable tour de bonneteau qui a coûté près de 2 milliards d’euros à l’État français en moins d’un an, entre novembre 2008 et juin 2009, et au moins quatre fois plus à l’Union européenne. Sur ses propres bénéfices, les montants les plus mirobolants circulent : la justice les chiffre à 22 millions d’euros en France et 72 millions en Belgique, mais les estimations les plus hautes vont bien au-delà. «Il a pris au moins 500 millions», nous a certifié l’un de ses ennemis exilé en Israël, partagé entre la jalousie et l’admiration. Un rapport d’enquête daté de 2012 le qualifie de «légende vivante» des arnaques à la TVA. «On m’a fait une réputation très exagérée, plaide-t-il faussement modeste en allumant une Marlboro Light. C’est l’inconvénient de ces affaires : si on se montre trop, on suscite les jalousies ; et quand on ne veut pas se montrer, on alimente les fantasmes.»
pour lire la suite
Poster un Commentaire