Confisquée sous l’occupation, une toile de Pissarro vient de refaire surface à l’occasion d’une exposition au musée Marmottan à Paris. Les descendants du collectionneur juif spolié en 1943 demandent qu’elle reste en France et veulent obtenir sa restitution.
« La cueillette des pois », une gouache peinte par Camille Pissarro en 1887, est l’un des 93 tableaux de la collection de Simon Bauer.
Né en 1862, ce grand amateur d’art a fait fortune dans la chaussure. De groom dans un magasin, il gravit tous les échelons pour finir patron, et revendre son affaire à 40 ans. Il passe ensuite son temps à « voyager dans le monde entier » à « se cultiver », lui qui n’avait pas fait d’études, raconte son petit-fils Jean-Jacques Bauer, 87 ans.
Interné à l’été 1944 à Drancy, Simon Bauer a échappé à la déportation et à l’extermination grâce à une grève des cheminots.
Un an plus tôt, sa collection était confisquée et vendue par un marchand de tableaux désigné par le commissariat aux questions juives.
Dès sa libération en septembre 1944, Simon Bauer s’attèle à retrouver ses tableaux. A sa mort, en 1947, il n’a réussi à récupérer qu’une petite partie de sa collection. Ses descendants poursuivent sa quête.
Son petit-fils Jean-Jacques Bauer a appris récemment que « La cueillette des pois » était exposée au musée Marmottan dans le cadre de la rétrospective consacrée à Pissarro, « Le premier des impressionnistes ».
Le tableau a été prêté au musée Marmottan par un couple d’Américains, les époux Toll, qui l’ont acheté en 1995 chez Christie’s à New York.
Vendu chez Sotheby’s en 1966
Les descendants de Simon Bauer en avaient perdu la trace depuis 50 ans. En 1965, ils apprennent, grâce à Georges Bernier, éditeur de la revue d’art l’Oeil, que deux tableaux, dont « La cueillette », allaient être vendus sous le manteau. Ils sont mis sous main de justice, mais le juge ordonne la main-levée de la saisie, et le marchand américain qui venait de les acheter repart avec les tableaux. Ils seront ensuite vendus à Londres chez Sotheby’s en 1966.
Vendredi matin, Jean-Jacques Bauer a demandé au tribunal de grande instance de Paris que l’oeuvre soit placée sous séquestre, pour ensuite engager une procédure afin que soit tranchée la question de la propriété de la toile.
En attendant, « il faut que ce tableau reste en France », estime son avocat, Me Cédric Fischer, dont l’arrière grand-père était le conseil de Simon Bauer. Dans cette « situation historique, factuelle et juridique compliquée », « il faut que le juge français puisse statuer en toute sérénité, sans précipitation », ajoute-t-il.
Les époux Toll sont opposés à la mise sous séquestre. La justice se prononcera le 30 mai. Mécènes du musée de la Shoah de Washington et du musée de Tel Aviv, ils « ignoraient totalement » que « La Cueillette » était issue d’une spoliation et invoquent leur bonne foi, explique leur avocat, Me Ron Soffer.
Quant au musée Marmottan, il est d’accord pour être désigné comme séquestre et conserver l’oeuvre jusqu’à la fin de l’exposition, prévue jusqu’au 2 juillet, selon l’avocat du musée, Me Éric Andrieu.
Pour revendiquer la propriété de l’oeuvre, les Bauer s’appuient sur une ordonnance de 1945 déclarant nuls les actes de spoliation, soulignent leur avocat.
Mettant en cause la compétence de la justice française, estimant que le délai pour contester à ses clients la propriété de l’oeuvre est expiré, le conseil des époux Toll considère quant à lui qu’il « ne peut exister aucun litige sérieux sur la propriété et la possession de ce tableau ».
Pour Me Soffer, « on ne répare pas une injustice en en créant une autre ».
À mon avis ceci est un cas d’école :
1) en France le recel est un délit et l’objet du délit doit revenir à son propriétaire légitime.
2) Imaginons que « la justice » donne raison aux époux Toll, Américains, certes bienfaiteurs selon l’article, cela ferait jurisprudence et profiterait à d’authentiques prédateurs nazis dans la plupart des autres cas, ne croyez vous pas ?