Quatre co-signataires, Rony Brauman, Régis Debray, Christiane Hessel et Edgar Morin, adressent une lettre ouverte à François Hollande dans Le Monde. Quand ils disent que le président français est « comptable d’une certaine idée de la France », il est licite de sourire, car ils reprennent une certaine idée du général De Gaulle contre lequel, en leur temps, ils n’avaient cessé de lutter. Pour autant ils ont raison, le président est représentatif de la Nation.
On peut effectivement mesurer une érosion certaine de l’image nationale quand ceux-là ont soutenu ouvertement le Hamas à plusieurs reprises. Ils adhèrent donc à son idéologie : refus de la démocratie, ostracisme des femmes, élimination des opposants, mise à mort des apostats, éducation de la haine, formation militaire des jeunes enfants, apprentissage du goût pour le martyr et la mort.
Il est donc urgent de rectifier cette image indigne qu’il y a à se cacher derrière les souffrances réelles des populations civiles et mettre en étendard les enfants. Pauvres gazaouis, boucliers humains sur place, boucliers moraux à Paris.
La belle brochette de signataires de cet appel à mettre Hollande dans l’embarras prétend s’être manifestée lors des conflits interarabes et inter-musulmans dont ils relèvent justement qu’ils ont fait bien plus de morts que les contre-attaques israéliennes. Pourtant on ne retrouve pas leurs indignations lors des bombardements syriens du camp de Yarmouk près de Damas, ni sur le sort des palestiniens au Liban. Mais, peut-être ne s’agit-il que de donner une idée qu’ils seraient impartiaux et neutres. Ils sont pour que des mosquées et des écoles (dont certaines de l’UNWRA) servent d’arsenaux au Hamas, ce que l’ONU a fini par condamner ; j’ose espérer que Médecins sans frontières n’est pas dans la même situation. Ils sont pour que le tir des roquettes vers les civils israéliens se fasse au milieu des civils gazaouis, ils sont pour un double crime de guerre.
D’emblée, ils évoquent la Jérusalem arabophone en omettant que sa majorité juive est attestée depuis le recensement ottoman de 1844, citée plus tard par Karl Marx dont on ne peut imaginer qu’ils ne l’aient lu. Pour mémoire, la vieille ville est prise d’assaut par la Légion Arabe du roi Abdallah en 1948. Finalement, avec le problème dit de « Jérusalem-Est », il s’agit de pérenniser la seule défaite israélienne de 1948, tout en refusant les conséquences des défaites arabes de guerres que les Arabes eux-mêmes ont déclenchées.
En évoquant l’idée d’apartheid, ils font mine de n’avoir jamais été en Israël. Tous les citoyens y sont égaux, les arabes y circulent librement, on les voit naturellement dans les universités, certains sont députés, enseignants dans les grandes écoles les plus prestigieuses ; des officiers arabes, y compris les unités illustres de Tsahal, ont combattu à Gaza ; un vice-président de la Cour suprême est arabe (Mr Zuabi), un autre en est juge permanent (Salim Jubran). Ariel Sharon eut un ministre arabe (Salah Tarif) et un directeur général du ministère de l’intérieur (Abou Razaq). D’autres sont polémistes, écrivains, chanteurs à succès. L’une fut miss Israël. Je ne peux pas imaginer que des polémistes aussi réputés que ces signataires soient de mauvaise foi ou des menteurs. Pourtant ils affirment avoir été à Gaza, ce dont je ne doute pas, ils sont donc passés par Israël.
Ils ne peuvent ignorer que Mahmoud Abbas, le démocrate à la dixième année de son mandat de quatre ans, affirme vouloir interdire les Juifs dans son futur Etat. Ils ont raison de remarquer qu’il semble que l’affaire israélo-palestinienne touche à l’identité des millions d’Arabes et musulmans, des millions de chrétiens et d’occidentaux et des millions de Juifs à travers le monde. Mais des penseurs aussi éminents ne disent pas pourquoi l’identité serait ici meurtrie. Et ils laissent croire qu’il y aurait sur la planète plus de Juifs que de Belges… Ils mènent vers tous les côtés sombres possibles. Que cautionnent-ils ? Cerise sur le gâteau, ils ont oublié que, depuis 2005, Israël a complètement évacué la Bande de Gaza. Les Gazaouis ne sont pas occupés.
Ils ont raison, le président ne va pas assez loin. Il devrait rappeler fermement que ce conflit a été initié par les bombardements de populations civiles israéliennes par des missiles du Hamas, et qu’Israël a longtemps mis en garde et menacé de répliques avant de se trouver dans la nécessité d’intervenir. Ils ont raison, la France devrait le clamer au Conseil de Sécurité dont elle est membre permanent, et rajouter que le Hamas a refusé ou violé tout accord de cessez-le feu, cinq fois.
Que des civils pris en otage, et non des barbares, souffrent d’une guerre, c’est malheureusement un truisme. Il y a hélas des victimes, autant qu’au Mali, et moins qu’en République Centrafricaine. Il est clair qu’on n’aurait pas lu une ligne de ces hardis polémistes sur les victimes israéliennes s’il n’y avait pas en Israël des abris partout mais sans réseau souterrain, ni protection anti-missile.
Ces penseurs désinforment. Finalement, la seule surprise de leur article indigne est qu’il ne soit pas co-signé par Esther Benbassa.
Par Richard Rossin
Ecrivain, ancien secrétaire général de MSF, co-fondateur de Médecins Du Monde, ancien vice-président de l’Académie Européenne de Géopolitique
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/08/18/les-compagnons-de-route-du-hamas-reponse-a-r-brauman-r-debray-c-hessel-et-e-morin_4472927_3232.html
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