Dimanche soir sur les réseaux sociaux, la nouvelle de l’arrestation du réalisateur libanais Ziad Doueiri à l’aéroport International de Beyrouth s’est répandue comme une traînée de poudre.
Ziad Doueiri se trouvait à Beyrouth pour le lancement de son nouveau film “L’Insulte”. Il possède un passeport français qui lui aurait été confisqué, avec ses papiers libanais, à l’aéroport ce dimanche. Il devrait comparaître lundi devant un tribunal militaire.
Doueiri tourne actuellement en France, pour la deuxième saison consécutive, la série “Baron Noir” pour Canal Plus (avec Kad Merad). Son film “L’Insulte” a reçu une standing ovation à la Mostra de Venise début septembre, avant d’y obtenir le prix du Meilleur acteur samedi pour l’interprétation du Palestinien Kamel el Basha.
Ziad Doueiri est globalement considéré comme le plus talentueux réalisateur libanais de ces dernières années: il est aussi l’auteur du film désormais mythique “West Beirut,” de “Lila dit ça”, et de “The Attack” (L’Attentat). C’est ce long-métrage, sorti en 2013, qui pose problème: adapté du roman de Yasmina Khadra, il raconte l’histoire d’un Palestinien israélien “modèle” dont la femme se fait exploser dans un restaurant en Israël. C’est là-bas que Ziad Doueiri a tourné son film. Or, selon la loi libanaise, il est formellement interdit de travailler avec l’Etat hébreu, ni d’être en contact avec des Israéliens.
Le Liban est techniquement en guerre avec Israël, qui y a mené plusieurs campagnes militaires sanglantes, et a, pas plus tard qu’en 2006, ravagé le sud du pays et une partie de la banlieue sud de Beyrouth. Une partie du scénario de “The Attack” a d’ailleurs été écrite au Liban pendant cette dernière offensive, baptisée la “Guerre de Juillet”. “The Attack” a bien sûr été interdit de diffusion au Liban. Mais le réalisateur lui-même risque la prison.
Dans une interview diffusée sur Youtube au moment de la sortie de The Attack en 2013, Ziad Doueiri était revenu sur la polémique que ce tournage en Israël avait déclenchée. Il disait dans cet entretien (vers la 15e minute) que chaque fois qu’il retournait au Liban, il se disait que “cette fois, peut-être que ça ne passerait pas”. Sous-entendu, que cette fois il serait arrêté.
Apparemment ce moment est venu, ce dimanche soir à l’Aéroport International Rafic Hariri. Dans l’interview ci-dessus, le réalisateur disait aussi espérer que les autorités libanaises, dans un souci de se conformer à la liberté d’expression chère à la communauté internationale, feraient preuve d’ouverture d’esprit. C’était même l’argument qui selon lui à l’époque pouvait expliquer qu’il n’ait pas encore été inquiété. Du coup on ne peut pas s’empêcher de se demander: pourquoi maintenant? Pas de réponse précise à cette question, même si certains estiment justement qu’il s’agit d’une manière pour les autorités libanaises d’annoncer la couleur de leur politique. Le président libanais, le chrétien Michel Aoun, est un allié du Hezbollah pro-iranien. Et le Premier ministre Saad Hariri a multiplié ces dernières années, avant-même de revenir au pouvoir, les concessions au Parti de Dieu.
Le fait que Ziad Doueiri ait tourné The Attack en Israël divise encore aujourd’hui de nombreux Libanais, toutes générations confondues. Avant même la nouvelle de l’arrestation de Ziad Doueiri, Kamal, un jeune réalisateur libanais de 25 ans(son prénom a été changé), estime que le célèbre réalisateur savait très bien ce qu’il faisait en tournant The Attack en territoire occupé. Et qu’il ne doit pas s’étonner de la polémique que cela a générée. On peut donc s’attendre à lire un peu partout sur la toile des remarques acerbes du style “il l’a bien cherché”.
Jugé ce lundi matin par un tribunal militaire, Ziad Doueiri a bénéficié d’un non lieu, a été libéré, et a récupéré ses papiers. Le juge a estimé que les faits, datant de 3 ans, étaient prescrits.
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