Le jour où Israël devait disparaître : Kippour 1973 Par Maxime Perez

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Maxime Perez

Ouverts au public, les protocoles de réunions secrètes entre Golda Meir et les membres de son cabinet sont un véritable trésor de l’histoire. Ils traduisent la stupeur qui s’est emparée des responsables israéliens dans les premières heures de l’offensive arabe contre l’Etat juif. Extraits.
Le 5 octobre 1973 à l’aube, Zvi Zamir, directeur du Mossad, reçoit un message de l’une de ses sources les plus fiables : l’Egypte et la Syrie s’apprêtent à déclencher les hostilités contre Israël. Le général Eliahou Zeïra, chef des renseignements militaires (Aman), se dit sceptique. Par deux fois, en mai et août, les exercices effectués par les troupes égyptiennes à la frontière avaient obligé l’armée israélienne à se mobiliser. Coût des opérations : 20 millions de dollars. Zeïra demande au directeur du Mossad de vérifier cette source avant d’en informer Golda Meir, alors premier ministre.
Zamir s’envole pour Londres afin de rencontrer son informateur. Il apprend que plusieurs milliers de familles de conseillers soviétiques en Egypte et en Syrie sont rapatriées en URSS. Des navires russes, habituellement amarrés dans les ports égyptiens de Port-Saïd, Alexandrie et Marsa Matrouh, ont même déjà rejoint le large. Le chef du Mossad alerte Tel Aviv dans la nuit du 5 au 6 octobre, au moment où la plupart des réseaux de communication sont paralysés par la fête de Yom Kippour, le jour le plus sacré du calendrier hébraïque. Par précaution, l’état-major de Tsahal place son aviation en état d’alerte. Plusieurs escadrilles se tiennent prêtes à l’attaque de bases aériennes ennemies.
Golda Meir
Golda Meir

Samedi 6 octobre, 8h05. Golda Meir, qui a été réveillée à 3h45 par son aide de camp, le général Yisrael Lior, ouvre une réunion de crise. Tendue, elle fume cigarette sur cigarette, au point d’incommoder certains membres de son cabinet.
Les débats commencent. Craignant une offensive syrienne sur le Plateau du Golan, « Golda » préconise l’évacuation immédiate des kibboutz frontaliers. « Nous enverrons des bus chercher les enfants en fin d’après-midi », suggère t-elle. Le ministre de la défense Moshé Dayan la soutient mais s’inquiète plutôt des divergences de point de vue avec les Etats-Unis : « Les Américains viennent de nous informer que pour l’heure, ils ne constatent aucun préparatif à la guerre. Mais ils sont incapables d’expliquer le rapatriement des ressortissants soviétiques et beaucoup d’autres choses ».
Tout comme Golda Meir, Dayan rejette l’idée de frappes aériennes préventives, arguant qu’Israël ne peut se permettre de passer une seconde fois pour un agresseur, comme lors de la guerre des Six jours en 1967. Afin de ne pas éveiller la suspicion des occidentaux, il propose une mobilisation partielle des réservistes, 50 à 60.000 hommes, et de deux divisions blindées. David Elazar, le chef d’état major de Tsahal, juge cette mesure insuffisante : « Avec moins de 200.000 soldats, nous serons limités à une guerre défensive. Il faut décréter une mobilisation générale, cela ne changera rien vis-à-vis de la communauté internationale et les arabes comprendront qu’ils ont perdu l’effet de surprise. »
Elazar annonce que les Syriens ont avancé leurs pièces d’artillerie. Il ajoute que l’aviation israélienne peut lancer une attaque totale à midi précise. Golda Meir se tourne vers Eliahou Zeïra : « quelle est votre estimation ? » – Ils sont en position de nous attaquer à tout moment, réplique le chef d’Aman avant de tempérer : « Selon moi, Sadate (le président égyptien, ndlr) n’est pas en mesure de mener une guerre. L’équilibre des forces n’a pas changé, ils savent qu’ils perdront. »
Moshe Dayan
Moshe Dayan

9h05. Golda Meir ordonne d’alerter sans plus attendre les Etats-Unis des mouvements de troupes ennemis aux frontières nord et sud. De vifs échanges se poursuivent sur la nécessité de mobiliser immédiatement les réservistes ou d’attendre le soir. Golda Meir finit par trancher : « Si la guerre éclate réellement, nous devons être dans les meilleures conditions possibles et disposer de l’armée la plus forte. De toute façon, personne ne saura évaluer l’étendue de notre mobilisation. »
Un quart d’heure plus tard, le ministre de la défense Moshé Dayan fait savoir au chef d’état-major de Tsahal qu’il accepte l’ordre de mobilisation générale, de même que l’évacuation des civils vivant sur le Golan. Mais en ce jour de Kippour, les consignes parviennent difficilement aux populations et aux postes militaires. A 9h30, Golda Meir s’entretient avec l’ambassadeur américain Kenneth Keating qu’elle venait de convoquer en urgence. « Soyez-en sur, nous ne comptons pas attaquer. Mais nous pourrions être en difficulté », lui confie-t-elle.
À 12h30, le gouvernement reprend ses délibérations. « Golda » apparait le visage pâle et ses yeux marqués par la fatigue, donne l’impression d’une vieille dame. Après avoir lentement regagné sa chaise, elle passe en revue une pile de documents, allume une énième cigarette, et finit par lancer : « la séance est ouverte ».
14h05. Le conseil des ministres est brusquement interrompu par le bruit des sirènes qui retentissent dans tout le territoire israélien. Les armées arabes viennent de lancer l’opération « Badr », une offensive généralisée contre l’Etat hébreu. Sur le front sud, 200 chasseurs égyptiens bombardent les troupes israéliennes stationnées dans le Sinaï : bases aériennes, radars et centres de commandement. Le long du canal de Suez, les fortins de la Ligne Bar-Lev sont pilonnés par près de 100.000 obus, créant la panique dans les communications radio. Les fantassins des 2e et 3e ar- mées égyptiennes en profitent pour traverser la rive à bord de canots et établir des têtes de ponts.
Au même moment, sur le Plateau du Golan, l’armée syrienne franchit la ligne de cessez-le-feu. Un bataillon héliporté prend le contrôle de la station d’écoute du Mont Hermon, ne laissant aucune chance aux soldats israéliens qui y sont retranchés. Trois divisions d’infanterie se ruent à l’assaut des positions de Tsahal, appuyées par des centaines de tanks et des tirs nourris d’artillerie.
Au premier soir de la guerre, l’armée israélienne parvient toutefois à contenir la progression syrienne. Dans le Sinaï, la situation est plus critique. Les avions israéliens lancés dans la bataille se heurtent aux redoutables défenses anti aériennes égyptiennes, notamment les batteries de missiles SAM.
7 octobre 1973, 9h10. Itzhak Rabin est convoqué à une nouvelle réunion d’urgence du cabinet israélien. Le général victorieux de la guerre des Six jours livre une analyse presque optimiste de la situation sur le terrain. « Au nord, les tanks syriens maintiennent la pression. Au sud, le canal de Suez est aux mains des Egyptiens mais leurs blindés n’ont toujours pas franchi les ponts. Nos renforts sont en route. D’ici ce soir, 200 tanks arriveront dans le Sinaï. L’acheminement des troupes se poursuit à un très bon rythme. » Confiant, Rabin préconise d’attendre encore un peu avant de lancer une contre-offensive.
Mais au sein du gouvernement, l’inquiétude est d’autant plus grande que certaines unités manquent déjà d’équipements et de munitions. Golda Meir hésite à porter le combat sur la scène diplomatique : « si la situation perdure, il faudra ignorer le monde et laisser l’armée agir. Le plus important, c’est d’avoir le soutien des Américains. » Le Premier ministre israélien doute cependant de la capacité du secrétaire d’Etat Henry Kissinger à obtenir un cessez-le-feu à l’ONU, surtout si la question est portée devant l’Assemblée générale, noyautée par les « arabes et leurs amis ». La plupart des ministres considèrent que dans les conditions actuelles, un arrêt des combats est prématuré. « Nous devons repousser les Egyptiens derrière le canal de Suez. Il nous faut du temps pour frapper », conclut le ministre Israel Galili.
14h50. Vingt-quatre heures après le déclenchement des hostilités, Moshé Dayan dresse un tableau noir de la situation. « Le canal est perdu, ordonnons une retraite de 30 ki lomètres ! Ceux qui peuvent être évacués le seront. Les soldats blessés qui ne le peuvent pas seront abandonnés. Il faut leur dire que nous ne pourrons pas les atteindre et qu’ils ont le choix entre déguerpir ou se rendre. » Le ministre de la défense admet qu’il a sous-estimé le niveau des forces armées arabes. « Le mode opératoire est celui des Russes, tout a été parfaitement planifié », affirme-t-il. Golda Meir comprend que les armées égyptiennes et syriennes ne s’arrêteront pas en si bon chemin. « Ils sont assoiffés de sang et veulent s’emparer de toute la terre d’Israël. C’est une guerre d’indépendance, comme en 1948. »

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23h50. Ytzhak Rabin revient d’une tournée sur le front. « Le bilan n’est pas clair. Il y a 80 morts et 400 blessés. On estime que l’attaque a fait de 150 à 200 morts. La division Albert a essuyé de lourdes pertes. Nous avons perdu 150 tanks, essentiellement à cause des missiles antichars. Le bilan est identique sur le Golan. » Alors que près de 500 tanks égyptiens ont franchi le canal, il estime que Tsahal doit reprendre l’initiative : « Nous contre-attaquerons demain avec deux divisions et un appui aérien. Les plans ont été approuvés par Dado (surnom du chef d’état-major). »
8 octobre 1973, 19h50. Les généraux Ariel Sharon et Avraham Adan sont partis depuis plusieurs heures à l’assaut du canal de Suez. Nommé dans la précipitation à la tête du commandement sud, Haïm Bar-Lev effectue un premier briefing sur l’avancée des troupes. « Un premier contact entre les deux divisions a eu lieu vers 15h30. Ils ont atteint la péninsule du Sinaï et entament leur descente. » Tzvika Zamir, conseiller militaire de Golda Meir, estime qu’il faut rapidement appuyer les forces engagées dans la bataille : « Je propose le renfort d’une centaine de tanks ».
Le Premier ministre israélien s’interroge : « Je voudrais tout de même comprendre. Notre situation s’est-elle améliorée ou pas ? » Zamir lui répond par la négative. « La qualité des armements soviétiques utilisés sur les deux fronts pose un sérieux problème », poursuit le général Haïm Bar-Lev. Leur utilisation massive explique les succès enregistrés jusqu’ici par les armées syriennes et égyptiennes.
9 octobre 1973, 7h30. Mal coordonnée, insuffisamment préparée, la contre-offensive israélienne est un échec. Durant les opérations, les équipages de pointe se trompent de trajectoires, heurtant les Egyptiens de front alors qu’ils devaient les attaquer de flanc. Dans la salle du conseil de guerre, c’est la consternation. Le ministre de la défense Moshé Dayan semble céder à la panique : « C’est une lutte a mort, la guerre va être longue. » Il poursuit : « nous devons rappeler les anciens généraux, acheter des armes, réorganiser le commandement sud et enrôler des Juifs à l’étranger. »
Golda Meir et son cabinet s’interrogent sur la nécessité de dire la vérité à l’opinion publique. Elle se propose d’effectuer une visite secrète de 24 heures aux Etats-Unis. Son objectif : obtenir du président Nixon une aide militaire urgente. « Je lui dirai que nos hommes se battent contre les soviétiques, c’est notre meilleure carte à jouer pour obtenir gain de cause. Mon intuition me dit qu’il me comprendra.» Golda Meir vise en priorité les tanks et avions de chasse disponibles dans les bases américaines en Europe.
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Sur le front du Golan, la situation militaire s’améliore. Les Israéliens assènent un premier coup sévère aux forces syriennes qui perdent 270 tanks en une nuit. Moshé Dayan estime qu’il faut en profiter pour définitivement briser le moral de l’ennemi : « Je demande l’autorisation d’ordonner des frappes sur Damas et ses alentours car leurs tirs de missiles Frog se poursuivent. » Même s’il n’exclut pas une riposte syrienne sur Tel Aviv, le chef d’état-major David Elazar donne son feu vert à une campagne de bombardements stratégiques. Ils débuteront à 11h55.
Epilogue. Ces protocoles rendent avant tout justice au chef d’état-major de Tsahal David Elazar. Lors de la commission d’enquête Agranat constituée après la guerre, il porta le chapeau des fautes commises par l’échelon politique et fut poussé à la démission. A l’inverse, Moshé Dayan, dont les erreurs d’appréciations sont aujourd’hui flagrantes, fut innocenté. Sur les 2689 soldats israéliens tués dans les combats, deux tiers le furent dans les premiers jours de la guerre.
 

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