5777 : Levez la tête, ô Portes du monde, et qu’entre le Roi de Gloire

Shana Tova. Lundi 3 et mardi 4 octobre, Rosh Hachana, le nouvel an juif, marquera l’entrée dans l’année 5777.

On me dit qu’il n’est pas rare de voir, le long du Canal ou de la Seine, des gens ayant l’air de vider leurs poches : le premier jour du nouvel an juif, il est coutume de jeter symboliquement ses péchés à l’eau pour commencer l’année sur de nouvelles bases. Rosh Hashana commémore l’anniversaire de la création du monde et démarre la période des 10 jours de pénitence qui précèdent la fête de Yom Kippour, le Grand Pardon, fête solennelle qui dure 2 jours – les 11 et 12 octobre – et permet de procéder au bilan de l’année écoulée, de réfléchir à ses orientations de vie et prendre de bonnes résolutions. Les actions de chacun sont jugées par l’autorité divine. Différents aliments sucrés sont consommés ces deux soirs pour espérer une nouvelle année douce, l’aliment le plus symbolique étant la pomme trempée dans le miel mais grenade, courge, dattes et nougat seront au programme.

Parmi les innombrables commentaires écrits sur les fêtes juives, Abraham Heschel, grand philosophe juif contemporain, définit le peuple juif comme Les Bâtisseurs du temps. S’il est vrai que l’histoire du judaïsme se confond avec l’histoire du monde rythmée par les grands événements des temps bibliques puis postbibliques, les étapes du temps astronomique et biologique – la journée, la semaine, le mois, l’année- sont scandées par le Chabbat et une série de 7 fêtes, dont Roch Hachana, le Nouvel An, et Yom Kippour, le Jour du Pardon.

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Selon la tradition juive, Roch Hachana – le 1er Tichri – commémore non point la création du monde, mais celle de l’homme, le sixième jour de la création. S’il est recommandé de festoyer à Roch Hachana, la fête est marquée par une tradition plus récente : l’échange de cartes de vœux sur lesquelles les Juifs se souhaitent mutuellement : Que tu sois inscrit sur le Livre de la Vie, formule qui illustre la tonalité particulière du Jour de l’An juif : il s’agit d’appréhender, aux divers sens du terme, l’année à venir. Roch Hachana s’appelle yom hadin, jour du jugement, car c’est ce jour-là, selon la tradition juive, que le Tribunal céleste juge tous les hommes et inscrit dans le grand livre d’En-haut Qui vivra, qui mourra, Qui est arrivé à son terme, Qui ne l’a point atteint, etc, nous expliquent Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz dans Le Chandelier d’or[1].

LES JOURS REDOUTABLES

Le Nouvel An juif serait donc tout d’abord un rendez-vous avec le destin. S’il est le début de l’année, il est aussi le premier Jour d’un cycle particulier de dix jours, appelés les jours redoutables, propices au repentir, à la réparation des fautes, au retour à Dieu, et qui culminent à Yom Kippour, le Jour du Pardon. Selon la Tradition, le destin de chacun est inscrit à Roch Hachana : en sursis pendant ces dix jours, il est enfin scellé définitivement à Yom Kippour. Nous voilà donc dans une conception très spécifique d’un rendez-vous annuel avec la vie et la mort, qui repose sur une appréhension très particulière du rapport de l’homme au temps, celui-là n’étant point conçu comme une continuité s’écoulant jusqu’à l’infini, mais comme une succession d’entités strictement délimitées : le monde reviendrait au point zéro, et tout se passe, dit le Rabbi[2], comme si, à Roch Hachana, était conçue l’année à venir : le temps ne nous serait pas donné une fois pour toutes.

Roch Hachana c’est la découverte de la transcendance par le rappel de l’alliance et du lien qui nous unissent à Dieu[3], et cette période appelée les jours redoutables renvoie au concept de crainte de Dieu, crainte née de la conscience de sa transcendance.

Mais Roch Hachana  met aussi en exergue le sentiment de filiation, ce lien intime entre Dieu et l’homme, celui-là ayant le double statut de fils et de serviteur, privilège, selon Adin Steinsaltz, qui nous permet de n’être pas toujours en règle avec Dieu , d’être rebelle mais de ne pouvoir cesser d’être fils : ainsi, comparaissant devant le roi des rois, le Juif pratiquant et l’homme qui se contente de prier à Roch Hachana sont dans la même situation et partagent la même angoisse.

ACCORDE NOUS UNE ANNÉE DE PLUS

Si Roch Hachana  est un recommencement absolu et que l’année écoulée est totalement abolie, c’est pourtant aussi le jour du jugement ou yom hadin, Dieu se souvenant de ce que l’homme oublie. Roch Hachana n’est pas pour autant un moment de culpabilisation : nous sommes jugés mais ne nous confessons pas, les grandes confessions collectives étant réservées à Yom Kippour.

Roch Hachana est donc d’abord une fête où il s’agirait davantage de juger nos bonnes actions que nos fautes, forme de bilan global, d’inventaire fait par Dieu, qui se demande, poursuit Adin Steinsaltz, s’il faut fermer boutique ou si cela vaut la peine d’inventer une nouvelle année. Et nous, à Roch Hachana, nous supplions Dieu de reprendre en main les affaires du monde et nous déclarons prêts à recommencer une nouvelle histoire et à y accueillir Dieu en lui frayant une voie royale, selon le Psaume XXIV qui revient en leitmotiv à Roch Hachana : Levez la tête, ô portes du monde, et qu’entre le Roi de gloire. C’est le sens de notre présence commune à la synagogue : ouvrant les portes de l’année, afin que Dieu y entre, les Juifs lui disent : L’année dernière s’est plus ou moins bien passée, nous nous sommes plus ou moins bien conduits, mais nous voulons continuer : accorde-nous une année de plus.

Cette démarche exige également un changement en chacun d’entre nous, au prix d’une descente au tréfonds de soi-même pour trouver le point où nous prenons notre source en Dieu, à Qui nous demandons de pardonner ceux qui ont transgressé Sa volonté, essayant de pénétrer dans ce monde que philosophes et écrivains ont appelé au-delà du bien et du mal. En somme, cette grâce offerte par Dieu nous amnistierait, et nous repartirions avec le même potentiel, mais pour l’améliorer : le passé n’est pas aboli, – seule l’est la culpabilité – et il doit servir de marchepied à notre reconstruction.

LES DIX JOURS DE TECHOUVAH

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Les sonneries du chofar nous invitent à changer. Commencent alors les dix jours de la techouvah, – le retour – avant d’arriver à Yom Kippour, ce feu vert accordé à notre vie, le pardon étant essentiellement retour à ce moment où nous n’avions pas encore agi, cessant d’être une grâce octroyée par Dieu et devenant le retour pour prendre un nouveau départ, la téchouvah étant réparation en ce qu’elle est recommencement.

Retour, réparation, remise en question : oui la téchouvah est tout cela et au-delà du bilan de l’année, la question qui nous interpelle à Yom Kippour nous demande à tous, justes ou pêcheurs repentis: où en es-tu ? Quel homme es-tu devenu ? C’est ce tréfonds qu’il s’agit d’atteindre, afin de parvenir à ce que le Rabbi appelle la réparation ultime et suprême : celle de l’âme, creusant notre propre existence pour y trouver notre moi véritable et apprendre à dépasser nos limites, le Rabbi disant : Fais tout ce que tu peux, et après, fais encore un peu plus. Shana Tova !

Sarah Cattan

[1] Le Chandelier d’Or, Josy Eisenberg et Adin Steinsaltz, Verdier, 1988.

[2] Rabbi Chnéour Zalman de Lady, 1745-1813, grande figure du hassidisme, appelé par ses lecteurs et adeptes le Rabbi.

[3] Likouté Torah, Deutéronome 44 b.

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