Je voulais parler à Ilan, par Sarah Cattan

Ce samedi, cela fera dix ans qu’Ilan Halimi

fut enlevé,torturé, assassiné parce qu’il était Juif.

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Qui peut oublier, dans une France sidérée, les commentaires désespérés qui répondaient à d’autres, haineux, sur les forum de la twittosphère, les déclarations dans les média de policiers incrédules, celles de juristes dont la prudence confinait à la complaisance, ces articles à la limite du supportable de journalistes insistant sur l’aspect crapuleux de « l’ affaire », une affaire qui, à les lire, relevait quasiment du droit commun. Qui a oublié les dénégations nauséeuses face auxquelles il fallut trop souvent se positionner, et qui encore a oublié combien il fut difficile pour certains d’admettre qu’il s’agissait bien d’un assassinat antisémite.

Hier soir, le Collectif Haverim initia une célébration lumineuse et tendre dans le parc qui porte le nom d’Ilan. Cet espace vert, situé au 54 rue de Fecampdans le XIIème arrondissement de Paris, et dans lequel Ilan jouait lorsqu’il était enfant, fut inauguré le 2 mai 2011par le maire Bertrand Delanoë, et prit le nom de Jardin Ilan-Halimi.

Ilan veut dire arbre en hébreu. Hier soir, plusieurs centaines de personnes étaient là. Aucun discours mais des mots, des extraits de films, des chants qu’Ilan affectionnait particulièrement : C’est parce que nous souhaitions célébrer la vie alors qu’eux célèbrent la mort que nous avons décidé de rendre cet hommage positif , expliqua Laurent Pariente, Président de l’Association, avant de laisser la place à Stéphane Guillon sur une scène ornée des drapeaux français et israéliens. « Hier encore j’avais 20 ans… », déclama l’humoriste, lisant les paroles de la chanson de Charles Aznavour, l’une des préférées d’Ilan.

Emilie Frêche, auteure du livre « 24 jours » qui inspira le film d’Alexandre Arcady, lui succéda avec un texte poignant, évoquant ce jeune homme souriant et généreux dont nous avons tous vu le beau visage dans les journaux.

Après un savoureux dialogue entre Patrick Braoudé et Ariel Wizman, tiré de la pièce de Jean-Claude Grumberg, Laura Mayne, du groupe Native, reprit le tube « Si la vie demande ça », qu’Ilan écoutait en 1993. Enfin, un extrait du film « la Vie est belle » résonna dans le petit square où un olivier fut planté symboliquement par quatre enfants.

Dans la foule nombreuse, le grand rabbin Haïm Korsia, la Maire Anne Hidalgo, de nombreux élus, mais aussi les deux sœurs d’Ilan, Yaël et Anne-Laure, qui ont guidé les organisateurs de cet hommage.

Ce rassemblement citoyen devait être complété par la soirée de réflexion contre l’antisémitisme, menée par l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et SOS Racisme, à la mairie du 11e.

Ce même soir, donc jeudi 11 février, un reportage sur Ilan Halimi était diffusé sur France 3 : un retour sur l’échec de la police et de toute la société française, un retour sur cette plaie à jamais à vif.

Réalisé par Ben Izaak, « L’assassinat d’Ilan Halimi » s’ouvre sur le Concerto pour piano n°23 de Mozart, une symphonie sombre, au rythme lent, à l’image du film qui suit. Séquençant en chapitres son travail construit autour de témoignages des différents acteurs du dossier – le procureur Philippe Bilger, l’élu socialiste Julien Dray, la journaliste Patricia Tourancheau, la maire de Bagneux, les enquêteurs de la BRI, la psychologue qui a mené les négociations avec Fofana, ou encore la sœur d’Ilan Halimi -, le réalisateur fait le choix d’autopsier ce drame devenu symbole de la violence antisémite.

ON L’A DOUCHÉ, PUIS ON L’A TONDU ,

PUIS ON L’A TUÉ, PUIS ON L’A BRÛLÉ

Maître Francis Szpiner lance le film, en répondant à la question posée de façon sous-jacente : D’abord on l’a douché, parce que l’on ne voulait pas qu’il y ait de traces d’ADN, puis on l’a tondu, puis on l’a tué. Après l’avoir tué, on l’a brûlé. Le processus de la mort d’Ilan Halimi ne peut que renvoyer à la mémoire juive qui est celle de l’exécution des juifs. Le processus de la mort d’Halimi est un processus bouleversant .

Pour l’avocat de la famille Halimi, qui a fait d’Ilan Halimi la personnification de la manifestation antisémite en France, la réponse tombe sous le sens, mais pour la conseillère d’un des prévenus, Maître Françoise Cotta, «  Cette posture requiert prudence. »

Ce face à face résume d’emblée l’enjeu du documentaire : mettre en lumière un déni, celui de la police et de la justice, qui tardèrent tant à prendre en compte la piste antisémite dans l’enlèvement du jeune homme, ce 21 janvier 2006.

Mario Menara, commandant à la Brigade criminelle de Paris, reconnaît qu’Ilan Halimi est la première personne enlevée qu’on n’a pas retrouvée vivante. C’est un échec qui a marqué beaucoup de collègues , même si près de 400 policiers furent mobilisés pour cette enquête. Jean-Jacques Herlem, Directeur adjoint de la Police Judiciaire de Paris, l’admet également: tous les gens de cette maison ont fait ce qu’ils pouvaient. […] On peut mettre toute son énergie, toute son expérience et puis ne pas aboutir.

Hier soir, chacun avait, et a encore à l’esprit, l’obsédante question : qu’est-ce qui a empêché à ce point la hiérarchie policière, et par la suite la justice et les médias, d’envisager et d’admettre qu’au-delà du crime crapuleux s’exprimait une haine antisémite, viscérale, culturelle : la haine de ce qu’Ilan représentait. Oui un crime antisémite avait bien eu lieu dans cette France du début du 21ème siècle.

Cet échec s’expliquerait par une mauvaise stratégie de départ : le « gang des barbares » aurait déstabilisé la Police Judiciaire de Paris par son mode de fonctionnement. Il y a eu une série de ratés, estime Patricia Tourancheau, chroniqueuse judiciaire à L’Obs, alors que la sœur même d’Ilan, Yael, ajoute : Je pense qu’ils n’étaient pas préparés à ce type d’enlèvement, à ce type de personnes derrière.

Nous n’allons pas revenir sur ce qui mit à mal la stratégie des policiers, leurs difficultés à retracer les appels du gang, dont beaucoup provenaient de Côte d’Ivoire, le « manque de chance », le fait que de nombreux messages postés à partir de cybercafés empêchèrent les enquêteurs d’ identifier leur adresse IP, le choix de ne pas médiatiser l’enlèvement, le refus de diffuser le portrait-robot de «l’appât», en sa possession pourtant, la principale erreur ayant été de minimiser l’éventuel aspect antisémite de l’affaire : Cet aspect-là, on l’a en tête, mais ça ne peut pas être un axe d’enquête à lui tout seul, explique Germain Nouvion, chef de section à la brigade criminelle.

Autant d’erreurs d’appréciation

des enquêteurs chargés de l’affaire.

Au final, les tortionnaires d’Ilan « baladèrent » la Police des Polices de France», résume Yaël Halimi.

L’affaire avait pourtant ébranlé la France : le 13 février 2006, Ilan Halimi fut retrouvé agonisant en banlieue parisienne, près d’une voie de RER dans l’Essonne, torturé à mort.

Lors du procès, la question se posa de savoir si l’antisémitisme repose sur le fait de tenter d’extorquer une rançon à la famille Halimi, supposément riche car de confession juive. Comme si c’était l’un ou l’autre l’antisémitisme ou le crime crapuleux. Mais l’antisémitisme revêt une dimension intrinsèquement crapuleuse , résume le philosophe Adrien Barrot[1].

Février 2016. Emilie Frèche, coauteur avec Ruth Halimi de La vérité sur la mort d’Ilan Halimi[2], contactée par 20 Minutes, affirme que les parents d’Ilan et ses sœurs habitent toujours en France. Les parents travaillent toujours et mènent une vie très discrète. Ils restent en retrait de tous les hommages et ne veulent pas s’exposer dans les médias. Ruth Halimi que je vois souvent, est une femme exceptionnelle par sa force vitale, même si la mort de son fils l’a amputée d’une partie d’elle-même, déclare-t-elle.

Très marquée par les attentats de 2015, Ruth, la mère d’Ilan, a le sentiment que la mort de son fils a inauguré une période inquiétante. C’était la première fois depuis de longues années qu’on tuait un homme parce qu’il était juif. Elle confie que son fils, d’abord enterré au cimetière juif de Pantin, repose depuis 2007 à Jérusalem.

L’idée que des gens puissent un jour profaner sa tombe était insupportable à sa famille, explique Emilie Frèche. Yaël Halimi et Anne-Laure Abitbol, sœurs de la victime, se sont exprimées en avril 2014 sur Europe 1 à l’occasion de la sortie du film 24 jours, d’Alexandre Arcady, redisant combien c’était toujours une épreuve d’en parler.

Rappelons que cinéaste Alexandre Arcady, invité sur le plateau d’On n’est pas couché pour évoquer son film, « 24 heures », consacré à l’assassinat d’ un jeune homme juif, s’était vu opposer par le chroniqueur Aymeric Caron que l’‘antisémitisme n’existait que dans des psychés dérangées et que le vrai crime était l’existence de l’État d’Israël, le sniper de Laurent Ruquier n’hésitant pas à établir un parallèle entre l’assassinat d’Ilan Halimi et les enfants palestiniens victimes de violences au Proche-Orient et, ce faisant, « justifiant » presque le meurtre d’Ilan Halimi, à telle enseigne que la production décida de couper la scène au montage.

Ruth Halimi confie que la rédaction du livre avec Emilie Frêche avait été une thérapie pour elle, et qu’elle avait accepté qu’Alexandre Arcady en fasse une adaptation qui soit un « film éducatif »: Je voulais aussi que le film témoigne de la bonté et du caractère solaire d’Ilan, poursuit Ruth Halimi. C’était un bon vivant, le cœur sur la main. Le jour où la jeune fille est venue l’appâter dans la boutique de téléphonie, il était en train de remplacer un ami au travail […] Chaque 1er octobre, jour de l’anniversaire d’Ilan, je me rends en Israël sur sa tombe couverte de petits cailloux, équivalents des fleurs dans la religion juive.

Elle montre volontiers des photos d’Ilan, qu’elle porte toujours sur elle, insiste sur son charme, sa gaieté : Il était séduisant, mais aussi terriblement attachant. Il était très ouvert, il avait des copains de toutes confessions. Il était confiant dans la vie et c’est cette confiance qui l’a tué. J’ai inculqué cette curiosité des autres à mes enfants. Je suis née au Maroc, on a toujours cohabité sans problème avec nos voisins musulmans.

Dans un entretien accordé en exclusivité à Michèle Fitoussi pour le magazine Elle, un mois avant le procès des ravisseurs, elle dit avoir voulu témoigner afin de laisser une trace durable de cette histoire, et aussi pour alerter l’opinion du danger d’un antisémitisme revenu sous d’autres formes.

           PLUS DE RÉFÉRENCES,

             PLUS DE REPÈRES, PLUS DE VALEURS

Elle revient sur les « ratés » de l’enquête : Les policiers étaient totalement à côté de la plaque, ils n’avaient pas l’habitude des enlèvements avec demande de rançon, il n’y en a pas eu en France depuis celui du baron Empain en 1978. Ils ne pensaient pas qu’Ilan pouvait être tué. Ils ont cru avoir affaire à des bandits classiques, mais ces gens-là étaient hors normes. Ils n’étaient pas des marginaux. Certains ont fait des études, ils avaient des familles, quelques-uns étaient encore des enfants. Il y avait un Antillais informaticien, une jeune Bretonne, stagiaire dans la police. Ce n’étaient pas des barbares à l’état pur. C’est une nouvelle génération qui n’a plus de repères, plus de références, plus de valeurs. Quand on leur a demandé ce qu’ils comptaient faire avec la rançon, l’un d’eux a répondu : « Je voulais m’acheter des vêtements de marque, […] Dans l’immeuble où Ilan était détenu, la bande avait bloqué l’ascenseur, mais personne n’a réagi. Un des jeunes en a parlé à son père qui a répondu : « Surtout ne dis rien à la police. » Quarante personnes étaient au courant de l’enlèvement. Personne n’a rien dit […] Un matin, en ouvrant le journal, j’ai vu un entrefilet disant qu’un jeune homme avait été retrouvé agonisant. Je me suis tout de suite dit : « C’est mon fils. » […] Pendant des mois après la mort d’Ilan, j’ai marché dans les rues en hurlant.

Ruth explique trouver peu à peu l’apaisement et la force dans sa foi,  et avoir été portée à bout de bras, ajoutant : et ça, c’est la force du peuple juif. C’est cette solidarité qui m’a permis de traverser cette épreuve […] Si je fais le premier pas, Dieu m’aide à faire le deuxième […] J’ai aussi ressenti la force de ma communauté, cette cohésion […]

Donc hier, aujourd’hui, demain, des commémorations.

Juste gâchées cependant, à notre sens, par la sortie annoncée du film Eperdument, de Pierre Godeau, qui raconte, devinez quoi, l’histoire d’un amour impossible entre une prisonnière et un directeur de prison, une histoire vraie donc, tirée du roman Défense d’aimer de Florent Gonçalvez, directeur modèle de la prison de Versailles, arrêté pour avoir entretenu une liaison avec une de ses détenues – et pas n’importe laquelle.

LE DIRECTEUR DE PRISON

ET ” L’APPÂT”

Alors certes, le cinéma et la littérature n’existeraient pas sans s’intéresser à de grands criminels, des bourreaux. Sauf que les protagonistes de cette histoire d’amour impossible sont Emma A, alias Yalda, la jeune femme qui a servi d’appât pour Ilan Halimi dans ce guet-apens, et le Directeur de la prison. Sauf que cette affiche est rendue publique presque jour pour jour à l’anniversaire de la mort d’Ilan Halimi. Et qu’on y voit deux comédiens beaux comme tout et que l’accroche commerciale se fait sur le thème « un amour impossible en prison ». Une image romantique, avec deux comédiens très beaux, et avec la promesse attirante d’un amour impossible. Je suis heureux que le thème du grand amour déchirant revienne au cinéma, car ce sont mes sujets favoris. Je regrette que ça se fasse sur la tombe de Ilan Halimi […] ça me fait gerber, écrit Joann Sfar sur sa page Facebook cette semaine.

Ben moi aussi, ça me fait gerber. Et je repense à Daniel Brindel dans son atelier qui me disait, il y a juste dix ans : Je n’arrive plus à peindre. L’art ne peut donc rien contre la barbarie. Et je pense à Ilan. Tu aurais eu 33 ans, Ilan.

Sarah Cattan

[1] Si c’est un juif , d’Adrien Barrot, . Réflexions sur la mort d’Ilan Halimi. Éditions Michalon, Paris, 2007.

[2] La vérité sur la mort d’Ilan Halimi, de Ruth Halimi et Emilie Frèche, Points, 2014,

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2 Comments

  1. Il faut faire de la publicité à ce remarquable ouvrage d’Adrien Barrot!!
    Il est resté trop dans la quasi confidentialité !
    Aussi l’inviter plus souvent dans des conférences
    Ce qu’il écrit sur cet assassinat,la haine antiquité,est d’une justesse sans faille!

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