Qui n’a pas dans son entourage des amis dont l’enfant sort un peu des clous et pour lesquels l’école est un très difficile moment à passer ? Il y a aujourd’hui en France 12 % d’enfants touchés par des troubles de l’apprentissage.
Qu’ils soient dyslexiques, dyspraxiques, dyscalculiques, dysgraphiques, dysorthographiques, ou atteints d’un dysfonctionnement plus sévère, qu’il y ait ou non un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité, qu’ils soient EIP (élèves intellectuellement précoces), ces enfants, regroupés communément dans ce qu’on appelle les “DYS”, souffrent énormément à l’école car leur handicap est “invisible”.
Certains ont été diagnostiqués très tôt et bénéficient d’une reconnaissance MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) et sont parfois accompagnés à l’école d’une AVS (Aide à la vie scolaire), d’autres vont poursuivre une scolarité chaotique jusqu’à ce qu’enfin un enseignant les repère et que des rééducations soient mises en place.
Depuis la loi de 2005, l’école a pour obligation d’intégrer les enfants handicapés et de mettre à leur disposition des outils de compensation. Un enfant dyscalculique aura droit à une calculatrice, un enfant dysgraphique écrira sur un ordinateur plutôt que sur un cahier par exemple. Le jour du brevet et du baccalauréat, ces enfants auront droit également à des aménagements (Tiers temps, ordinateur, textes à trous, etc.)
Comment se passe l’accueil de ces enfants dans les écoles juives réputées pour leur élitisme et leur bon niveau scolaire ?
Nous sommes allés à la rencontre des proviseurs de Maïmonide – Rambam à Boulogne Billancourt, de l’EJM (Ecole Juive Moderne) à Paris 17e, de Gustave Leven à Paris 16e, de Beth Hillel (Groupe Sinaï) à Levallois et du Groupe scolaire de l’Alliance Rachi à Paris 17e pour vérifier comment la loi est appliquée dans les faits et comment se passe la scolarité de ces enfants « DYS-fférents » ? Nous avons également rencontré Patrick Petit-Ohayon, président du département Education au FSJU pour savoir ce qui était mis en place pour mieux intégrer ces élèves aux besoins spécifiques.
L’EJM (l’Ecole juive moderne) a acquis une certaine expérience dans l’accueil de la différence.
« C’était dans le projet initial d’offrir à ces enfants les mêmes chances que les autres, nous explique Josée Vaisbrot qui dirige l’EJM depuis plus de dix ans. J’ai moi-même été confrontée, en tant que maman d’un enfant précoce, à de grosses difficultés pour scolariser Arié, mon fils aîné. Il a changé six fois d’école ! Et il est actuellement en 1ére L dans un lycée public après avoir été dans plusieurs écoles juives »
Avec un effectif de 170 élèves (du gan au CM2), l’EJM accueille environ 5% d’élèves en situation de handicap cognitif. De la dyslexie à la dyspraxie en passant par les troubles de l’attention, toute la panoplie des DYS est connue.
« Il n’est pas possible d’intégrer ces enfants sans une coopération des enseignants qui ont besoin d’être soutenus et accompagnés, poursuit Josée Vaisbrot. Nous avons une psychologue sur l’école qui aide les enseignants les plus demandeurs. Nous avons également fait appel à un neuropsychologue et chercheur à la Salpêtrière qui intervient ponctuellement en classe et qui a un rôle d’observateur. Nous avons également une enseignante formée à la pédagogie Feuerstein et nous envisageons l’an prochain de former deux autres maîtresses à cette méthode qui fait des merveilles, même auprès d’enfants dits « normaux ». Et face à des enfants dyscalculiques, nous privilégions la méthode de Singapour dont les manuels de mathématiques sont clairs et simples à comprendre pour les enfants porteur d’un trouble logicomathématique ».
Les enfants DYS n’ont pas tous des AVS.
« Les AVS envoyées par le rectorat ne sont pas formées, déplore Josée Vaisbrot. Et la difficulté du rôle de l’AVS consiste à aider l’enfant sans « faire à sa place », car le but est qu’il acquiert de l’autonomie et arrive à s’en passer ! Nous avons donc créé un poste d’AVS mutualisée formée par nous et qui est salariée de l’EJM »
L’avantage pour Josée Vaisbrot d’accueillir des enfants « différents » est multiple : « c’est positif aussi bien pour les enfants handicapés que pour les autres. Les enfants « normaux » se sentent valorisés de venir en aide à leurs camarades ; ça les responsabilise… et les enfants handicapés font l’expérience de la vie au milieu des « normaux » et c’est stimulant pour eux aussi ».
Même son de cloche du côté d’Aline Borgel qui dirige depuis septembre 2016 l’Alliance Rachi (180 élèves du Gan à la Terminale) à Paris 17e et dont le collège fusionnera l’an prochain avec celui de Gustave Leven (ex ENIO) à Paris 16e, ce qui fera grimper bien sûr, voire doubler les effectifs.
« Nous avons actuellement 5 enfants avec AVS et 5 de plus sans AVS, explique la directrice. Les aménagements sont faits au cas par cas. Une réunion a lieu chaque trimestre avec les parents et l’équipe pédagogique pour faire le point sur la scolarité de l’enfant handicapé. Nous sommes encore une petite structure avec des classes de 12 ou 13 élèves. Il est donc possible pour l’enseignante de noter les devoirs à la place de l’enfant ou de préparer des évaluations adaptées (textes à trous, tiers temps, etc.). Il y a un gros problème de formation des enseignants au handicap et de sensibilisation à la différence, poursuit Aline Borgel, et cela n’a rien à voir avec l’âge des enseignants que je recrute. Le handicap ne fait tout simplement pas partie de leur cursus de formation initiale… La bienveillance est là mais je suis parfois confrontée à des enseignants qui n’appliquent pas le PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation), qui ne font pas les adaptations nécessaires, qui refusent d’être bousculés dans leur pratique pédagogique et qui ont du mal à se remettre en question. Le problème vient parfois aussi des parents qui sont dans le déni du handicap de leur enfant et qui s’acharnent à leur payer des cours particuliers de soutien scolaire quand l’enfant aurait plutôt besoin de rééducation (par le biais d’un parcours de soin : orthophonie, ergothérapie, psychomotricité ou orthoptie) ».
A Gustave Leven, Hannah Ruimy qui dirige le collège depuis 3 ans a une sensibilité particulière au handicap de par sa formation de psychologue clinicienne. Ici, les effectifs sont encore de 65 élèves (avant la fusion l’an prochain avec l’Alliance Rachi) pour 345 élèves au primaire. « L’ouverture à la différence, toutes les différences, est un critère obligatoire lorsque je recrute des enseignants, affirme Hannah Ruimy. Nous avons cette année un enfant handicapé pour lequel nous agrandissons les supports (utilisation de la police Arial en 18 ou 20 pour les agrandissements). Son intégration dans la classe se passe très bien, les élèves ayant une attitude protectrice avec lui. Malgré ses troubles visuels et sa dysorthographie, c’est un bon élève qui obtient souvent le tableau d’honneur »
A Maïmonide / Rambam, les effectifs sont plus importants : 430 élèves dont une quinzaine présente des troubles DYS. Et parmi eux, cinq suivent un PPS et dix un PPRE (Programme Personnalisé de Réussite Educative) ; deux enfants ont une AVS et l’ordinateur a été mis en place pour deux d’entre eux. Corinne Lafitte qui dirige cette prestigieuse école depuis 7 ans est particulièrement fière de présenter au bac cette année un enfant autiste qui a fait toute sa scolarité à Maïmonide du Gan à la Terminale : « Ce serait une véritable fierté pour toute l’équipe pédagogique qui suit cet enfant depuis la maternelle qu’il décroche le bac cette année, explique-t-elle. C’est la deuxième fois qu’il le présente et si il l’obtient, il a déjà sa place dans une école d’art plastique. Nous avons tout fait pour. C’est un jeune homme qui a besoin qu’on lui reformule les consignes et qui s’est bien intégré dans l’école. Il y a eu parfois des résistances de la part du corps professoral, mais après quelques mois un peu tendus, tout est finalement rentré dans l’ordre ».
La pédagogie Feuerstein est également plébiscitée et quelques enseignants ont suivi la formation. « Accueillir un enfant différent demande un engagement particulier des professeurs, poursuit Corinne Lafitte. Nous mettons en place un tutorat individuel et un professeur est nommé pour chaque élève qui bénéficie également de cours de soutien scolaire au sein de l’école. Et pour certains, les rééducations ont lieu à l’école via le SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile), ce sont les psychomotriciens et les ergothérapeutes qui se déplacent ».
Que deviennent ces enfants après l’école ? « Nous avons peu d’élèves atteints de troubles d’apprentissage au lycée mais je me souviens d’un garçon, profondément dyspraxique qui a passé son bac chez nous et qui a intégré ensuite une école d’ingénieurs », conclut la directrice.
Au collège Beth Hillel (groupe Sinaï) de Levallois, un petit effectif : 40 élèves en tout et 15 élèves maximum par classe. Il y a deux élèves en situation de handicap sans AVS car l’école n’est pas encore sous contrat. « Les parents nous apportent les bilans et on adapte les cours en fonction de ce qui est notifié par les paramédicaux, explique Yohan Atlan qui dirige cet établissement Loubavitch qui est le dernier né des écoles Sinaï. Nous avons actuellement un enfant dyslexique et dysorthographique pour lequel nous réduisons le nombre d’exercices lors des évaluations et pour lequel nous privilégions les interrogations orales, et un autre qui est EIP (Enfant Intellectuellement Précoce) et pour lequel nous adaptons également les cours. Le fait d’être dans des classes réduites permet aux enseignants de suivre chaque enfant au plus près. L’an prochain, nous allons mettre en place un cartable numérique pour que tous les élèves soient logés à la même enseigne car parfois, certains élèves ne comprennent pas pourquoi ces enfants sont « favorisés » lors des évaluations… L’an dernier, nous avions un élève dyspraxique en 3ème qui a obtenu son Brevet avec 11,5 de moyenne et qui a bénéficié d’un tiers temps et d’aménagements pour l’examen comme la loi le prévoit. Il est actuellement en seconde ». A Beth Hillel, pas de formation particulière au handicap pour les enseignants (Feuerstein ou autres) et la méthode de Singapour pour les enfants dyscalculiques n’est pas à l’ordre du jour.
Cette absence de formation des enseignants face aux élèves en situation de handicap revient comme un gimmick. Nous avons donc posé la question à M. Patrick Petit-Ohayon qui dirige le département Education au FSJU (Fonds Social Juif Unifié) :
« La grande difficulté de l’accueil des élèves handicapés est bien, je vous le confirme, le manque de formation des équipes pédagogiques. Nous proposons des formations via le Campus FSJU, organisme qui regroupe l’Institut André Neher, L.A (Léon Askenazi) et l’OFAC (pour les animateurs BAFA, BAFD). Au campus, c’est la sous structure d’IUFM privé, le CFP Neher, en partenariat avec le Ministère de l’Education Nationale, qui dispense la formation initiale des professeurs des écoles et la formation continue des salariés de l’Etat dans les écoles juives. Toutes ces formations sont à l’initiative de l’établissement. La loi ne permet malheureusement pas aujourd’hui de forcer un enseignant à se former au handicap. C’est regrettable, mais c’est ainsi. L’inspecteur de l’éducation nationale n’a pas le pouvoir d’imposer quoique ce soit. Et la seule formation en rapport avec le handicap qui existe au CFP Neher est la remédiation Feuerstein ».
Le remplacement progressif des tableaux classiques par des tableaux numériques est en cours : « Les écoles adhérentes au FSJU peuvent demander des subventions. Il n’y a pas de budget spécifique alloué, poursuit Patrick Petit-Ohayon. Nous préparons le 10 juillet prochain une assemblée générale sur le numérique qui favoriserait bien sûr l’intégration des DYS à l’école. Il faut continuer à sensibiliser les enseignants sur ce sujet, insister sur la formation des AVS dont beaucoup ont une VAE (validation des acquis d’expérience), développer l’apprentissage de la méthode Feuerstein et poursuivre l’expérimentation numérique afin que les mentalités changent face à la différence ».
Dans les écoles juives, il n’y a actuellement que trois CLIS (Classe pour l’inclusion scolaire) qui accueillent les élèves de primaire plus lourdement handicapés qui ne pourraient pas suivre un cursus scolaire classique. C’est peu si l’on compare à ce qui se pratique dans les écoles privées catholiques. La plus ancienne CLIS (ouverte dans les années 1990), se situe à Ozar Hatorah à Paris 13e (école sous contrat). Il y a aussi Beth Israël à Montmagny dans le Val d’Oise, une école hors contrat qui s’est plus particulièrement spécialisée dans l’accueil des enfants autistes. Enfin, Beth Rivka Nechama à Yerres dans l’Essonne où il est prévu d’ouvrir l’an prochain deux classes ULIS supplémentaires (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) pour le collège.
Pour les besoins de cette enquête, nous sommes également allés à la rencontre des associations de parents d’enfants DYS et il ressort qu’il est vraiment compliqué de trouver une école bienveillante et prête à accueillir ces enfants en souffrance. D’où des changements d’écoles successifs qui ne favorisent pas non plus une bonne intégration. Parmi les reproches les plus souvent entendus : les PPS (Projet personnalisé de scolarisation) qui ne sont pas toujours appliqués et c’est d’autant plus difficile lorsque les enfants sont scolarisés dans le privé… Car dans le public, le proviseur n’a pas le choix et se doit d’accueillir ces élèves comme la loi l’exige. Mais que ce soit dans le public ou dans le privé, tout dépendra bien sûr du professeur confronté au handicap d’un élève, de son envie de modifier son approche pédagogique. Car malheureusement, l’élève handicapé, lui, ne peut pas s’adapter à l’enseignement proposé. C’est au professeur de le faire. Et si possible de bonne grâce…
Alexandrine Cohen-Roux
Lexique :
Dyslexie : Trouble de la lecture
Dyspraxie : Trouble de la coordination qui affecte l’automatisation et la planification des gestes
Dyscalculie : Trouble qui porte sur les chiffres et le calcul
Dysgraphie : Trouble de l’écriture qui la rend peu compréhensible
Dysorthographie : Dysfonctionnement de l’écriture et de la maîtrise de l’orthographe
Un bel article qui analyse les différents cas et les difficultés et les solutions.
Mais allez frapper à une école juive avec un enfant autiste, et on vous renverra aussi sec d’un revers de bras sans appel. Un enfant normal est reçu bras ouverts.
Dans ces écoles, chaque acteur a le niveau inférieur du poste qu’il occupe.
Le jour où les enfants quittent un peu tôt l’école, un repas est économisé et les enfants ont droit à un sandwich avec une feuille de viande de dinde à travers de laquelle on y voit le jour. Il y a peu, il fallait débourser 250€ mini par mois par enfant, ce qui est un luxe pour certains parents.
Cet article est très utile, d’autAnt plus que j’envi L’ouvert D’une école spécifique dys et TSA