Jacquot Grunewald. Quand « vacances » rime avec « espérance »

Inventeur du chabat, le judaïsme est aussi celui des vacances. Dès les temps bibliques, elles étaient offertes au fidèle pendant une semaine entière à Pessah et à Soucot. Elles bénéficiaient d’un climat agréable que juillet et août, avec leur surplus de soleil, ne leur accordent pas. En diaspora ces vacances ne sont généralement célébrées qu’aux jours fériés qui marquent le début et la fin de la fête alors que le reste de la semaine, non chômé (‘hol hamoèd), passe à l’as et se confond avec le temps du travail ordinaire. Dans l’Etat juif, aujourd’hui, les semaines de Pessa’h et de Soucoth accordent même à ceux qui choisissent de travailler à ‘hol hamoèd, ou qui y sont contraints, une ambiance de fête et de vacances: les écoles sont fermées, nombre de villes invitent à des festivals, les sentiers dans les montagnes (ou des collines qui en tiennent lieu et… nom), comme les réserves naturelles sont joyeusement envahis par les familles. Et le Néguev ouvre ses immensités et son silence à qui voudrait échapper aux foules. Il est vrai, les deux mois de vacances classiques, juillet et août, sont bien présents. Avec, cependant, les restrictions qu’imposent à la fois des congés payés minorés par rapport à la France, une infrastructure estivale moins développée…et des prix bien trop élevés, alors que les pays frontaliers sont fermés au touriste.

Si l’ambiance générale invite à la fête, elle n’est vraiment perceptible qu’après le jeûne du mois d’av qui commémore, chaque année, la chute du Temple. Ce rabat-joie est lui-même précédé de périodes de tristesse d’une intensité diversement ressentie. Si bien que le temps voué aux loisirs ne s’accorde jamais dans sa totalité avec le bonheur et l’exubérance.

Mais la rupture est moins nette qu’il n’y paraît. En tous les siècles, y compris aux époques les plus noires de l’Histoire juive, quand le fidèle assumait les deuils historiques de tamouz, alors qu’il était confronté à un antisémitisme immédiat, parfois meurtrier et toujours douloureux, le désespoir n’était jamais absolu. Le fidèle savait que les étapes de la mémoire qu’il célébrait conduiraient dès le lendemain du 9 av à de longues semaines d’espérance. Pas seulement en vertu du principe que le beau temps fait suite à l’orage. L’espérance ne venait pas seulement du sentiment naturel de soulagement après la commémoration du deuil national. Dès le troisième ou le quatrième siècle, mais sans doute plus tôt déjà, on lisait en Galilée les « Haftarot de la consolation ». La Haftara, cet ajout tiré des livres des Prophètes, cantilée le chabat après la lecture de la Tora, a toujours un rapport avec cette lecture. Et voilà que pendant sept semaines d’affilée, celles qui séparent le 9 av de Roch-Hachana, les textes, tirés de la fin du livre d’Isaïe, dont on fait lecture, n’ont aucune correspondance avec ceux de la Tora du jour et mettent l’espoir au cœur.

Dans cette partie du livre d’Isaïe (à partir du chapitre 40) le prophète rend hommage à Cyrus, cet immense souverain perse qui, à l’opposé de tous les pronostics et de la raison, permit aux exilés, déportés en Babylonie après la destruction du premier Temple, en -586, de s’en retourner en Érets-Israël et de reconstruire le Temple et le pays. Quelles que soient les explications historiques qu’on veut donner à l’Edit de Cyrus, l’événement était prodigieux, imprévisible. Tous les repères, au lendemain du terrible 9 av de l’an -586 n’annonçaient-ils pas la fin définitive d’Israël et du… peuple juif. Sans même ce fameux point d’interrogation qu’un auteur célèbre rajouta, naguère, au titre de son étude sur l’avenir du peuple juif? Aux Hébreux exilés, Isaïe annonçait que Dieu a pardonné; que son peuple avait subi plus qu’il ne le méritait, et que le retour d’Israël sera magnifique. Il dit que les Juifs reviendront à Sion sous les acclamations des nations dans la joie universelle et messianique qu’il décrit avec d’autre Prophètes.

Tous ceux de ma génération qui, en diaspora, lisaient ces Haftarot avec émotion, priaient, espéraient… découvraient en se rendant en Terre Promise que ces promesses, les antiques promesses d’Isaïe et de Michée étaient en train de s’accomplir. Bien sûr, pas exactement de la manière que l’imaginaire et l’absolue nécessité de redonner courage à une nation meurtrie, le présentaient. Mais, quoi qu’on en dise et quels que soient les difficultés, les deuils et les épreuves de l’Etat d’Israël, le portrait-robot que traçaient Isaïe ou Jérémie (33, 10-11) des lendemains qui chantent, n’était pas si loin de la réalité d’Israël aujourd’hui.

© Jacquot Grunewald

Jacquot Grunewald

Rabbin, écrivain, journaliste, Jacquot Grunewald vit en Israël depuis 1985.

Jacquot Grunewald, reprenant en 1965 la direction du Bulletin de nos communautés d’Alsace et de Lorraine, en fit l’hebdomadaire d’informations Tribune juive, qu’il dirigera 25 ans durant, jusqu’en 1992.

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