Michel Onfray publie ces jours-ci le douzième volume de sa contre-histoire de la philosophie –La résistance au nihilisme– (Grasset) ainsi que le premier numéro (en ligne) de sa revue « Front populaire ». Double actualité du philosophe le plus populaire de France.
Lire Michel Onfray ces derniers temps, l’écouter sur un plateau ou à la radio, c’est constater le même phénomène. Onfray est devenu bon. Très bon.
Pourquoi ? Depuis sa -regrettable- lettre à Macron, et la mise en lumière d’erreurs et d’approximations dans certains textes concernant l’histoire des religions, le fondateur des « universités nomades» s’est repris. Michel Onfray est une éponge. Il lit, écoute, entend, ressent et corrige le tir. Très réceptif, celui qui fait aimer la philosophie un peu partout en France apprend de ses erreurs, s’il y en a : tant et si bien qu’en ce début d’été 2020, le « sachant » médiatique qu’il est devenu parvient à une sorte de perfection dans la consolidation de son image.
« Le gauchisme culturel fait la loi dans la plupart des médias traditionnels », précise l’auteur dans « La résistance au nihilisme », douzième volume de sa contre-histoire de la philosophie ( Grasset). Après cet hommage aux théories de l’essayiste et sociologue Jean-Paul Le Goff « Le gauchisme culturel et ses avatars » (cf. revue « Le Débat » 2013), Michel Onfray déroule sur 528 pages une somme considérable : Le panorama intellectuel de la France d’après 68. Un vade-mecum du « nihilisme contemporain comme symptôme de ce que les déshérités n’ont plus aucune consolation » précise l’éditeur. Une sorte de défilé des penseurs du demi-siècle, avec le déroulé des œuvres, théories et opinions, espoirs, contradictions, désillusions en mémoire d’une époque assez bouillonnante ; facile à lire – malgré son érudition-, « La résistance au nihilisme » regroupe, tels les onze précédents volumes de cette « Contre-histoire de la philosophie », les cours que le philosophe délivra à ses étudiants de tous âges lors de ses « universités populaires itinérantes ». Le volume 12 de cette «philosophie alternative » fait l’inventaire des vraies- ou fausses- valeurs du dernier demi-siècle, dans le vide des promesses non tenues de Mai 68. « Il s’agit de l’extraordinaire chantier de Michel Onfray :écrire une contre- histoire cheminant le long de la » philososophie officielle » indique la quatrième de couverture. Nous croisons Bernard- Henri Levyet les « Nouveaux philosophes », tels que vus par Gilles Deleuze (1925-1995) : « Ils ont introduit en France le marketing littéraire ou philosophique au lieu de faire une école (…) Il faut que la multitude d’articles de journaux, d’interviews, d’émissions de radio ou de télé remplacent le livre, qui pourrait très bien ne pas exister du tout. Au fil des pages, nous rencontrons Bourdieu (1930-2002) : « Pierre Bourdieu fait exploser les catégories qui voudraient qu’on soit de droite donc contre mai 68, ou de gauche, donc pour mai 68 ». Or il y eut des gens de droite pour Mai 68, Maurice Clavel par exemple, et des gens de gauche contre, ainsi Régis Debray » rappelle l’auteur.
Onfrayrenverse certaines statues à bon escient. « Pour le dire autrement, tous ceux qui ont trempé dans Vichy, Guitton, Valéry, ou Maurice Clavel, la collaboration, soit activement comme Rebatet, Chardonne ou Morand, soit passivement comme Beauvoir, Sartre, et Merleau-Ponty, ces derniers en ayant vécu normalement, sans rien faire contre l’occupant, en s’arrangeant même plutôt bien de sa présence (…) ». Beau chapitre consacré à Jankélévitch, et à l’antisémitisme tel que défini par « Yanké », qui exige de « pouvoir revendiquer sa judéité sans qu’autrui l’assigne à ce qu’il aura présenté comme étant sa définition. »
Comment ce «nihilisme » contemporain est-il advenu ? Outre le « gauchisme culturel » qui en est le principal artisan, s’est déchaîné l’antiracisme. « SOS Racisme a introduit le principe racial et le communautarisme ethnique qu’il affirme combattre. Cette façon de faire marque une rupture avec la tradition républicaine française : les Juifs, les « Beurs », les Maghrébins, les »Blacks » revendiquent des droits pour eux, ils mènent un combat politique en leur faveur et de ce fait, ils inaugurent la revendication identitaire qui fait fi de l’appartenance commune à la collectivité. (…) La République a vécu. » ,dit Michel Onfray à ce propos.
L’auteur règle ses comptes à l’écologie punitive. » Leur critique de la raison, du cartésianisme, de la science, du progrès, des Lumières est partielle et partiale. (…)» Contrairement à ce que font croire au peuple les clichés du gauchisme culturel ,Michel Onfray note la présence d’hommes de droite dans les rangs de la Résistance, dont le premier d’entre eux, le Général de Gaulle « sans cesse récusé par la gauche pour n’être pas des siens a été l’homme qui a initié la Résistance en France « mais les légendes ont toujours été préférées aux vérités qui gênent », conclut Onfray sur ce chapitre.`
« Dans l’histoire de la philosophie, il existe une domination idéaliste, notamment platonicienne. Or, on peut proposer une contre-histoire de la philosophie qui se soucie d’un autre lignage : matérialiste, hédoniste, nominaliste, athée, sensualiste,etc. », dit encore Onfray pour définir le concept de ses recherches. D’abord repris par France-Culture, ses cours sont commercialisés « sous forme de coffrets comprenant chacun 11 à 13 disques compacts audio », édités par Frémeaux & Associés ». On les trouve aussi sur le site de Michel Onfray. Le discours se propage.
Et voici que le philosophe alternatif devient éditeur de presse, alors que paraît sa revue « Front populaire » (titre qui a les défauts de ses qualités, mais pourquoi pas ?) (« Déjà imprimée, la revue papier trimestrielle sera disponible le 23 juin en kiosques et le 25 en librairies. Mais d’ores et déjà, cette publication de 166 pages qui entend « mener le combat des idées pour retrouver notre souveraineté » a gagné le pari financier de son lancement. (cf. Challenge/juin 2020.)»Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres ! » : tel est la profession de foi de « Front Populaire » ( cf.Discours de la servitude volontaire/1548/. La Boétie) « Le Discours sur la servitude volontaire » n’est rien d’autre qu’un manuel d’insurrection – mais quel manuel! », précise Onfray, dans son édito. « Résister à la petite musique crétinisante du pouvoir »… Et de tous les pouvoirs, au fond : la formule pourrait définir non seulement la revue, mais le projet de la galaxie Onfray 2020. Le fondateur et l’ animateur treize années durant de la « l’université populaire » de Caen est aujourd’hui le dirigeant d’une entreprise « made in Onfray ». Entreprise pensée au millimètre près, depuis le site : contact@michelonfray.com, avec comme logo les lunettes rectangulaires du philosophe. Lui qui n’a pas de passion pour les journalistes- et c’est un euphémisme- en est devenu un. Editeur de presse, à lui et à Stéphane Simon -son associé- (ex associé de Thierry Ardisson), les joies du « business plan », du retour sur investissement ,du stress et du surmenage propres aux lancements de presse. Les contributeurs de « Front Populaire « sont des « souverainistes de droite ou de gauche » issus de la société civile.
Les cours de « contre-philosophie » sont dans l’air du du temps. Une fureur sourde gagne le pays. Tout le monde est « contre » tout. Les amphithéâtres des universités populaires sont bondés. Michel Onfray a compris. Le public n’en peut plus des discours idéologiques préfabriqués. Onfray est donc devenu imprévisible. Plus libre. Et c’est ce que son public attend. Cette liberté de ton, cette proximité qui force le respect car il n’y a jamais de préétabli des mots, de théorie guidant le téléspectateur dans la « bonne » direction.
Jadis impressionnée par « La stricte observance » (Gallimard/Folio), petit texte (128 pages) limpide, d’une grande importance, peu remarqué, dans lequel Onfray s’interrogeait sur la mort (celle de la femme aimée, suivie du décès de son père, ouvrier agricole en Normandie), j’en avais rendu compte ici. L’auteur posait des questions à la foi chrétienne, qu’il respecte. L’homme qui advenait était vrai. Croyants ou pas, nous partagions sa peur. Sa douleur. « Humain, trop humain » : Michel Onfray nous ressemblait. « On ne fait jamais son deuil, disait-il, « c’est le deuil qui nous fait”. Bras tendus dans le noir,Onfray cherchait la lumière. Cela arrive à des gens très bien.Le deuil, la solitude, la peur.Pas très gai, mais universel. Ce récit romanesque, inspiré de « Vie de Rancé », dernière et magnifique oeuvre de Chateaubriand, disait presque tout de Michel Onfray. « Heureuse solitude, Seule béatitude, que votre charme est doux, De tous les biens du monde, en ma grotte profonde, Je ne veux plus que vous ». (François-René de Chateaubriand, Vie de Rancé/1844)
Avec « La résistance au nihilisme » et « Front populaire »Michel Onfray s’impose. Au point que le philosophe, de plus en plus « populaire », pourrait (dit-on) « songer à un destin politique ». Problème. Il y a deux Onfray. Le tribun, qui a l’art et la manière de développer la planète Onfray, et l’auteur de « La stricte Observance ». Pudique, sauvage. Une sorte d’ennemi intérieur du premier, résistant à la résistance. Entre l’homme des vidéos, des sites, des abonnements et de l’édition, et l’écrivain secret qu’est Onfray, – qui va l’emporter ? L’artiste fasciné par le « Cosmos », ou le dompteur des foules assoiffées de considération ? Le romancier de « La Stricte Observance » ou le bateleur du tarot ? A suivre.
« La résistance au nihilisme »/contre- histoire de la philosophie 12 (Grasset)/29 euros/ 528 pages
« Front populaire »/ Revue trimestrielle mise en ligne le 18 juin/ publiée en kiosque et dans les librairies le 23 juin/166 pages/ 14,90€.
Source: Atlantico. 21 juin 2020.
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