Jean-Luc Reitzer atteint par le Covid-19 : « Je ne voulais pas mourir, j’ai encore des choses à faire »

Le député du Haut-Rhin a été le premier parlementaire malade du Covid-19. À deux reprises, son pronostic vital a été engagé. Rentré à Altkirch le 16 mai, Jean-Luc Reitzer s’exprime pour la première fois en exclusivité pour L’Alsace: Propos recueillis par Laurent BODIN et Karine FRELIN le 29 mai 2020.

Rentré le samedi 16 mai à la maison, chez lui à Altkirch, après deux mois et demi passés à l’hôpital de Mulhouse, Jean-Luc Reitzer avait promis de réserver l’exclusivité de sa première parole à la presse régionale.

Il nous a donc reçu jeudi 28 mai, en convalescence, mais combatif, chez lui, avec son épouse. Sans concession, il raconte, dans ce long entretien, et en vidéo, cette « expérience », sa reconstruction, et évoque son avenir et ses chevaux de bataille futurs.

Jean-Luc Reitzer, comment allez-vous ?

Je vais du mieux possible, après quatre semaines dans le coma. J’ai dû être le deuxième patient à avoir été endormi à l’hôpital de Mulhouse. Les médecins, ma famille m’ont dit que j’avais, à deux reprises, eu un pronostic vital engagé. J’ai encore des examens médicaux à faire, un suivi tous les jours, je suis pour l’instant en convalescence. Il me reste aussi à passer chez le coiffeur !

Comment la maladie s’est déclarée chez vous ?

J’étais à l’Assemblée nationale, je revenais le week-end et comme d’habitude, je recevais du monde. Je le précise, je ne suis pas allé au rassemblement évangélique de Bourtzwiller, comme on a pu le dire. Pas plus que je n’ai quitté l’hôpital de Mulhouse pour être transféré à Paris ou à Marseille.

Je suis revenu de Paris le jeudi 27 février. Le vendredi, je ne me sentais pas bien. Le samedi, on a appelé le 15. Ils ont répondu qu’ils allaient contacter un virologue à Strasbourg et n’ont pas rappelé tout de suite. Nous pensions à une grippe, nous n’avions pas d’informations précises, à ce moment-là, sur les symptômes du coronavirus. J’ai attendu jusqu’au mardi suivant mais j’avais de la fièvre. Nous avons appelé un médecin généraliste à Altkirch qui a tout de suite pensé à ça et m’a fait faire une radio des poumons à l’hôpital Saint-Morand. On m’a trouvé une chambre en médecine interne à l’hôpital de Mulhouse et nous sommes partis après avoir mis quelques affaires dans un sac. Je me rappelle qu’on m’a installé dans une chambre, une dame m’a dit : « Je vous reconnais, c’est vous qui m’avez marié ». Le mercredi matin, j’appelais mon épouse pour lui dire que j’allais être endormi. Je faisais confiance aux médecins, je ne me suis pas rendu compte.

Jean-Luc Reitzer

De cette période, de quoi vous souvenez-vous ?

Les souvenirs des quatre semaines de coma sont ceux que ma femme a compilés, tous les jours. Moi, je ne me souviens de rien, hormis de cauchemars. La même chose que ce que racontent les patients qui ont été endormis. J’avais l’impression de les vivre dans ma chair, je sentais les odeurs, les sons, qu’on m’attachait les mains… Une fois, j’ai été extubé, mon corps a violemment réagi, je ne respirais pas seul, il a fallu me réintuber.

Et je me suis réveillé un beau jour. Après quatre semaines de coma et 20 kg de moins. Là, j’étais confus. J’ai demandé à mon épouse de faire le nécessaire car je croyais que notre voiture était aux Etats-Unis.

Que s’est-il passé après votre réveil ?

Il a fallu tout réapprendre, à marcher, à boire, à manger, tenir debout, tous mes muscles avaient fondu. Je voulais m’en sortir, ça a progressé petit à petit. Mais je ne pouvais plus avaler, je ne pouvais pas me nourrir. J’ai douté, voire déprimé. On m’a donné de l’eau gélifiée. J’ai dû faire de l’exercice avec des kinés, pour renforcer la langue, réapprendre à déglutir. En même temps, je regardais à nouveau les informations à la télévision et on parlait des séquelles possibles. J’ai vécu une période de doutes.

Quand je me suis réveillé, je voulais sortir. Les infirmières m’ont dit que ça n’était pas possible, que tout était fermé, les magasins, les restaurants. J’ai d’abord pensé que c’était pour me dissuader, mais je n’avais pas conscience que tout était confiné.

Pour les malades, c’est une épreuve physique et psychologique, car on se rend compte qu’on dépend des autres. Les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, les femmes de ménage qui venaient nettoyer jusqu’aux poignées de porte nous donnent une leçon d’humilité, de modestie et de respect. Leur travail m’a profondément touché. J’ai même une collègue députée, la suppléante de Christophe Castaner, Emmanuelle Fontaine-Domeizel, infirmière de métier, qui est intervenue en renfort à Besançon puis à Mulhouse, qui m’a retrouvé avant de repartir dans sa région (sourires). 

Quand vous n’avez plus de contact avec l’extérieur, plus de téléphone, pas de visite, qu’une infirmière vous caresse doucement le bras et vous encourage, on est très touché. Le 1er mai, les fleuristes de Mulhouse sont venus distribuer du muguet. Moi, j’ai eu un gros bouquet de fleurs le 3, quand j’ai pu enfin revoir ma femme de loin, au bout du couloir, après deux mois.

Pour un homme, vous savez, c’est une leçon de vie. Mais je ne voulais pas mourir, j’ai encore des choses à faire.

Pendant que vous étiez endormi, beaucoup de choses ont été racontées sur votre état de santé. Quand et comment l’avez-vous appris ?

Ma famille m’a protégé, ne m’a pas tout dit tout de suite, que Jean-Marie Zoellé, Bernard Stalter, Patrick Devedjian, qui était mon ami, étaient décédés. Elle ne m’a pas parlé du nombre de victimes alsaciennes. On m’a dit mort aussi, deux fois. Des personnes appelaient mes voisins, qui sont aussi des amis, pour confirmer l’information. On a raconté n’importe quoi, qu’on m’avait transporté à Paris, que j’avais été contaminé lors d’un voyage à l’étranger, puis au rassemblement évangélique. A quoi ça rime ? Je ne vais pas aller chercher qui m’a contaminé. Je n’ai jamais mis les pieds au rassemblement de Bourtzwiller. J’ai effectivement rencontré un des participants –le Dr Jonathan Peterschmitt, que Jean-Luc Reitzer a vu courant février pour évoquer le projet de pôle médical qu’il souhaite mettre en place près de Bernwiller, NDLR- mais à quoi bon chercher ? Ce virus est un ennemi féroce, il vous choisit au hasard. Et moi, je ne suis qu’un malade parmi d’autres.

Je précise encore que je suis resté à Emile-Muller, à Mulhouse, du début jusqu’à la fin, je suis sorti, ça fait quinze jours ce samedi. Après le coma, il y a eu les soins intensifs, puis la médecine interne et enfin quinze jours de rééducation. J’ai tout fait sur place. Et je ne suis plus contagieux depuis un mois.

« Je me suis remis rapidement parce que je le voulais »

On ne ressort pas d’une telle épreuve sans une farouche volonté de se battre. Quel a été votre moteur ? La foi ? La famille ? Une condition physique particulière ?

(Rires). On dit que je suis un battant, un roc. Quand on m’a dit que j’étais passé à deux reprises près de la mort, qu’on dépend des autres pendant plusieurs semaines, on remet tout en cause. Je me suis remis rapidement parce que je le voulais.

Je suis catholique, certes, et sur mes courriers, j’écris souvent « si Dieu le veut », ou « Inch’allah, pour plaisanter », quand je réponds à une invitation. Car je sais que tout peut être remis en cause à tout moment. Et quand on atteint un certain âge, même si je suis encore coté à l’Argus, on doit rester humble face au destin. Après tout, le 31 décembre, personne n’imaginait ça…

Après une telle expérience, on relativise tout et on s’attache à ce qui est beau.

Ce que vous venez de vivre va-t-il avoir des conséquences sur votre action politique ?

Il faudra absolument revaloriser la situation des personnels soignants. J’ai un respect profond, sans flagornerie, pour eux. J’en viens à mon combat depuis trente ans, sur les établissements de proximité. Notamment l’hôpital d’Altkirch, dont on a réussi à maintenir la chirurgie. Mais aussi les écoles, la sous-préfecture. Je me suis toujours battu pour ça, même contre mon parti. Je n’ai pas voté la loi Bachelot –la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » promulguée le 21 juillet 2009, NDLR. Les élus basculaient dans un conseil de surveillance, purement consultatif. Ils n’étaient plus décisionnaires et on se heurtait à un mur. Je suis premier vice-président du conseil de surveillance du GHRMSA.

Quant à l’hôpital d’Altkirch, il a montré, durant cette période, toute son utilité, déchargeant Mulhouse de plus de 50 patients au plus fort de la crise. Il faut qu’on arrête de dire « moins de médecins, moins de dépenses ». Sans mauvais jeu de mot, on vit aujourd’hui une thrombose du système. Il va falloir réactualiser tout ça et rendre les professions de santé attractives, notamment les médecins. Mais c’est une action à long terme pour qu’ils aient envie de revenir dans les petits établissements.

« Cette expérience me donne envie de plus m’impliquer »

J’ai deux fiertés à Altkirch : le quartier militaire et l’hôpital. Mes trois enfants sont nés ici. Ici, on n’a jamais eu d’incident. On avait tout bordé.

Cette expérience me donne envie de plus m’impliquer. On me retrouvera à la pointe de ce combat sur tous les services de proximité. J’avais d’ailleurs reçu Jonathan Peterschmitt pour évoquer les conditions favorables à la mise en place d’un pôle médical. A Altkirch, l’équipe municipale semble vouloir travailler aussi sur le lien entre l’hôpital et la médecine de ville.

Il y a autre chose aussi : pendant que j’étais à l’hôpital, je me suis rendu compte que les professionnels de santé qui se sont occupés de moi savent peu de choses sur notre fonction, et notre fonctionnement. Il y a un gros travail d’explication à faire encore.

Personne ne vous a oublié durant ces deux mois, vous avez été le premier député malade de l’Assemblée nationale. Quels messages avez-vous reçu ?

Mon épouse a eu des appels du Premier ministre, de la conseillère santé du président de la République, du président de l’Assemblée nationale, de Damien Abad –le patron de son groupe LR, NDLR-, Christian Jacob, et beaucoup de parlementaires dans tous les groupes. Toutes les semaines, Damien Abad donnait des nouvelles de ma santé.

Mais j’ai surtout été l’objet d’un mouvement incroyable de sympathie. Le mot qui revient souvent dans les cartes que je reçois, c’est « empathie ». Ici, les gens me disent que je fais partie de leur vie. Dans le quartier Saint-Morand, une famille que je ne connais pas a même mis une banderole devant sa maison pour me souhaiter un bon rétablissement. Avec ce virus, tout le monde est susceptible d’être touché.

Je me souviens que quand j’avais été élu maire, et la tension avec mon adversaire politique était très forte, une dame d’un certain âge m’avait dit en alsacien : « Pour une fois qu’on a un maire qui dit bonjour à tout le monde ! » C’est vrai que c’est difficile, pour moi, maintenant, de ne pas aller serrer la main des gens ! Mais c’est vrai, le contact avec eux m’a manqué.

« Je ne suis pas de ceux qui vont lancer une polémique »

Vous avez beaucoup regardé la télévision après vous être réveillé. Quels premiers enseignements tirez-vous de la gestion de cette crise sanitaire ?

C’est vrai, je connais désormais tous les spécialistes, tous les médecins qui tournent en boucle sur BFM ! (rires)

On n’est pas sûr de l’avoir passée, cette crise, on doit d’abord la passer. Et je ne suis pas de ceux qui vont lancer une polémique. J’espère juste qu’on prendra conscience qu’on est un pays suradministré. On meurt de ça. Il y a une telle judiciarisation du travail politique qui fait qu’on n’ouvre plus des parapluies, mais des parasols.

Au niveau régional, l’Alsace a été très touchée. Qu’avez-vous ressenti en observant tout ce qui s’est passé autour de vous ?

Le décès de Jean-Marie Zoellé m’a énormément touché. Cet homme me paraissait si solide. Bernard Stalter aussi. Il avait pris de mes nouvelles et il a été emporté.

Une personnalité a émergé aussi, à mon sens : Jean Rottner, après toutes ces semaines.

« Je veux dire aux habitants de ma circonscription que je les aime »

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis en convalescence au moins jusqu’à la prochaine session parlementaire de septembre. Je fais partie des trois plus anciens députés de l’Assemblée nationale sans discontinuer (il sourit). Il me reste deux ans de mandat, et en deux ans, on peut faire beaucoup de choses. J’ai bien l’intention de participer à ça et me battre beaucoup plus. Il est nécessaire que la politique prenne à nouveau le dessus sur l’administratif.

J’ai toujours été un élu local, un bâtisseur, tout ça me parle. Mais je sais aussi qu’il ne faut pas faire le mandat de trop. La décision se prendra le moment venu.

Aux habitants de votre circonscription, et évidemment aux Altkirchois, avez-vous un petit message personnel à transmettre ?

Je veux juste leur dire que je les aime. Et à l’équipe qui me succède, à Nicolas Jander, le maire, je souhaite bonne chance et réussite, ils représentent le changement dans la continuité.

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3 Comments

  1. Il ne voulais pas mourir, dit-il.
    Il a encore des choses à faire, croit-il.
    Ignore-t-il que les cimetières sont pleins de gens qui étaient indispensables de leur vivant?

    • Des choses à faire … pour lui même ou sa famille ! Il ne s’est pas déclaré indispensable mais il a parlé de ses projets personnels et de son envie de les mener à bien et de survivre ! Ça ne mérite pas votre remarque acerbe!

      • Cette remarque est philosophique ET universelle.
        Elle concerne la condition humaine; elle vise à nous (moi compris, pas vous?) rappeler des vérités première; ce n’est pas le cas personnel de Reitzer, que j’ignore et qui m’indiffère, qui me fait prendre la plume.
        C’est clair?
        Ai-je mérité votre remarque acerbe?

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