Les raisons d’un revirement
La République démocratique du Congo nomme un ambassadeur en Israël, une première depuis vingt ans. Et le président Félix Tshisekedi vient d’annoncer à Washington son soutien au plan de paix de l’administration Trump, un plan jugé trop défavorable aux Palestiniens. Comment expliquer un tel virage diplomatique en totale contradiction avec les positions tenues par l’Union africaine ? Analyse.
C’est une scène surprenante. Ce 1er mars, le président de la République démocratique du Congo, Félix Tshisekedi, se tient sur le podium du congrès de l’AIPAC ( American Israel Affairs Comitee), le groupe de pression pro-israélien, à Washington. Il est venu annoncer de manière très solennelle la reprise des relations diplomatiques de haut niveau de son pays avec Israël. Les applaudissements couvrent sa voix. C’est une nouvelle chargée de sens.
En effet, un simple chargé d’affaires représentait la RDC à Tel Aviv, depuis vingt ans. Un ambassadeur devrait être nommé et une partie de l’ambassade, notamment son antenne économique, devrait partir pour Jérusalem. Félix Tshisekedi a également réaffirmé son soutien au plan de paix au Proche-Orient de l’administration Trump. Le plan a pourtant été rejeté par la majorité de la communauté internationale, notamment par l’Union africaine car jugé très défavorable aux Palestiniens.
Comment expliquer un tel tournant, pro-israelien de la part du nouveau pouvoir congolais alors que les relations entre les deux pays étaient jusque-là quasiment inexistantes ? S’agit-il d’une politique dictée par des considérations internes ? Faut-il satisfaire les Églises du Réveil, puissantes en RDC, et pétries des versets de la bible hébraïque ?
Aux États-Unis les principales communautés évangéliques soutiennent la politique israélienne au Proche-Orient. Le président Tshisekedi a lui même mutiplié les références bibliques dans son discours. « Je désire tisser avec Israël des liens forts et une alliance dans laquelle mon pays sera une bénédiction pour la nation d’Israël, selon la promesse de l’Eternel qui dit à Abraham dans Genèse 12:3 ; ‘Je bénirai ceux qui te béniront' ».
Une opinion publique pro-palestinienne
Bob Kabamba, politologue, spécialiste de la République démocratique du Congo, ne croit pas à une pression des communautés évangéliques congolaises dans ce sens. « L’opinion publique congolaise reste très pro-palestinienne », estime le chercheur. Pourquoi alors un tel rapprochement avec Israël ?
« Ces annonces restent surprenantes, car Félix Tshisekedi qui reste vice-président de l’Union africaine, prend justement à contre-pied les positions de cette même institution. Cyril Ramaphosa, le président sud-africain à la tête de l’Union africaine, avait tenu des propos assez durs contre le plan de paix de Donald Trump. L’Union africaine, le 10 février, s’est clairement prononcée contre ce plan qui ne reconnaît pas aux Palestiniens la possibilité de constituer un Etat », explique Bob Kabamba, chercheur à l’université de Liège en Belgique.
Le risque de l’isolement
« Le président de la RDC prend le risque de l’isolement sur le continent », ajoute le chercheur. Félix Tshisekedi veut également mettre en place une coopération avec Israël notamment sur les questions agricoles.
« Les investissements israéliens en RDC envisagés n’auront pas le poids qu’aurait pu avoir l’argent des pays arabes du Golfe, notamment celui des Émirats arabes unis », estime Bob Kabamba. Pourquoi une telle position ? La raison est sans doute à chercher dans les rapports entre Kinshasa et Washington. L’administration Trump ne veut plus entendre parler de l’influence de Joseph Kabila jugé responsable de l’instabilité dans le pays. Washington veut tourner la page Kabila ( président de la RDC de 2001 à 2019) selon le politologue Bob Kabamba.
Pression de Washington
« Mais Joseph Kabila reste présent. Ses fidèles contrôlent encore l’appareil de l’État. Et Félix Tshisekedi subit de fortes pressions de la part de Washington pour mettre fin à l’État Kabila. Le président congolais a essayé de remanier l’état-major de l’armée mais la route est encore longue et cela prend du temps. Washington ne cesse de répéter à Tshisekedi qu’il est son obligé. Son élection a été contestée par son adversaire Martin Fayulu. Et Washington a fait le choix Félix Tshisekedi », décrit le politologue Bob Kabamba.
Et Félix Tshisekedi veut montrer qu’il est bien un allié fidèle, estime Bob Kabamba, n’hésitant pas à prendre le contrepied des positions de la majorité des pays africains.
Le discours devant l’AIPAC ne passe pas pour de nombreux Congolais. La Lucha, le mouvement de lutte citoyen, craint que l’ambassade de RDC se mette à déménager à Jérusalem comme l’ont fait les États-Unis. La Lucha rappelait dans un communiqué : « Jérusalem est, de par son histoire, un lieu qui appartient aux juifs, aux arabes comme aux chrétiens. La considérer comme seule capitale d’Israël, c’est accepter sa privatisation ».
Israël et l’Afrique
Ces dernières années, Israël mène une politique active sur la scène africaine. » Israël a une politique africaine. Elle a noué des liens solides avec plusieurs pays africains notamment l’Ethiopie et le Rwanda. Tel Aviv demande aux états africains d’acceuillir les migrants africains qu’elle a chassés de son sol. Israël propose en échange son expertise sur les questions de sécurité « , décrit le chercheur Bob Kabamba.
Ces dernières années, des sociétés privées israéliennes, chargées de la protection des hautes personnalités, œuvrent dans des palais présidentiels africains. « On trouve à la tête de ces sociétés des anciens du Mossad, les services secrets israéliens. Ces gens ne représentent pas directement l’Etat israélien », précise Bob Kabamba.
Israël vend un autre savoir-faire, ses connaissance en matière d’agriculture et d’irrigation. Le goutte à goutte a été perfectionné par des sociétés israéliennes. Félix Tshisekedi a d’ailleurs annoncé un accord de coopération dans ce sens.
Poster un Commentaire