Une étude réalisée sous la direction des Prof. Oded Rechavi de l’École de neurobiologie, biochimie et biophysique de la Faculté des sciences de la vie de l’Université de Tel-Aviv, et Dino Lévy, neuro-économiste de la Faculté de Gestion, tous deux membres de l’École des neurosciences de l’université, a révélé un mécanisme du système nerveux qui explique le comportement irrationnel chez les vers. Selon les chercheurs, il est probable que ce mécanisme fonctionne également chez les humains.
L’étude, réalisée par les doctorants Dror Cohen, Guy Teichman et Meshi Volovich du laboratoire du Prof. Rechavi, a été publiée récemment dans la revue Nature Communications.
« En économie, un comportement irrationnel désigne une incohérence dans la prise de décision », explique le Prof. Rechavi. « Les travaux des psychologues israéliens Daniel Kahneman et Amos Tversky, par exemple, ont montré que les créatures, y compris les humains sont incohérents dans leurs décisions. Le Prof. Kahneman a même reçu le Prix Nobel pour cela. Mais les explications données à ce phénomène relèvent du domaine de la psychologie, par exemple l’interférence des sentiments ou autres dans notre prise de décision. Nous avons voulu vérifier ce phénomène sur le plan biologique, plus facile à explorer. Comme nous n’avons pas d’accès direct au cerveau humain, qui est par ailleurs composé de milliards de neurones, nous avons utilisé un ver spécifique appelé C-elegans qui sert de modèle très important en biologie, car il n’a que 300 neurones, et nous disposons de plus d’outils très puissants pour étudier le fonctionnement de son système nerveux central ».
Les vers sont cohérents dans leur prise de décision
D’après lui, les recherches effectuées sur ce ver ont déjà été à l’origine de six prix Nobel depuis 2000, et on a découvert par la suite que leurs résultats étaient également confirmés chez de nombreuses créatures, y compris les humains. Dans la présence étude, les chercheurs ont voulu vérifier la rationalité du comportement de ces vers en partant de l’un des axiomes de base de l’économie et de la prise de décision, selon lequel un choix cohérent entre deux éléments ne devrait pas être affecté par la présence d’un troisième qui n’a pas de rapport (‘indépendance des alternatives non pertinentes’).
Pour optimiser nos décisions, nous sommes censés fonctionner uniquement sur la base de considérations simples », explique le Prof. Rechavi. « Par exemple, si je préfère la pomme à la poire, le fait qu’on me présente par la suite une orange ne devrait rien changer à cela. Je suis censé continuer de préférer la pomme à la poire, même si je déteste l’orange. C’est-à-dire que nos choix rationnels ne sont pas censés dépendre du contexte ». Les chercheurs ont donc vérifié ce mécanisme chez les vers, qui s’orientent grâce à leur sens de l’odorat très développé. Pour cela, ils ont tout d’abord évalué leurs degrés de préférence en leur faisant sentir différentes odeurs. « Disons que le ver préfère une odeur A à une odeur B. Nous avons testé si l’ajout d’un troisième parfum C qu’il aime encore moins affecte sa prise de décision et change soudainement son choix de A à B. Il suffit de regarder vers où il se dirige. Bien sur, nous avons observé pour cela des milliers de vers ».
A la surprise des chercheurs, les vers se sont avérés extrêmement cohérents dans leur prise de décision. « Nous avons fait de telles expériences pendant un an et demi, et ils ne se sont jamais trompés, ils ont toujours préféré A à B, qu’on leur ai offert ou non l’option C ».
Une illusion des nerfs
Les chercheurs ont donc ensuite vérifié dans quelles circonstances les vers pourraient se comporter de manière irrationnelle. Pour cela, ils ont affecté l’odeur A à un neurone sensoriel spécifique et l’odeur B à un autre, puis ils ont diffusé une odeur C de manière différente vers ces deux neurones. Ils ont alors constaté que s’ils modifiaient les odeurs ou les concentrations des parfums de sorte que l’odeur de C interfère différemment avec le traitement des informations nécessaires aux neurones pour détecter les autres odeurs, le ver devenait confus et préférerait B à A. « Cela signifie que la rationalité de leur choix dépend de la façon dont les odeurs qu’ils sentent activent leur système nerveux central. Cela repose tout simplement sur une limite de base du système nerveux. Les neurones ont une certaine ‘capacité’ et si nous les surchargeons, le système commence à se tromper. Notre perception du monde, notre façon de prendre des décisions, sont dépendants du contexte. C’est comme un genre de court-circuit dans la façon dont nous percevons le monde, qui nous fait nous comporter de manière irrationnelle, au moins ici pour les vers ».
Les chercheurs ont ensuite composé un modèle mathématique expliquant le phénomène. Il s’est avéré que ce modèle est similaire à celui qui explique les illusions visuelles, par exemple pourquoi un carré blanc entouré de noir nous semble plus lumineux que le même entouré de gris. « Nous avons montré que le même mécanisme explique pourquoi nous nous trompons dans la prise de décisions. C’est une sorte d' »illusion » des nerfs, conclut le Prof. Rechavi. « Notre cerveau possède des ressources limitées, mais en fin de compte, il s’adapte à son environnement, et ainsi nous parvenons à survivre. La quantité de stimuli que nous recevons nous oblige à utiliser des ‘raccourcis’ pour nous orienter dans un monde complexe et nous faisons le maximum avec ce que nous avons. Notre cerveau adopte toutes sortes de mécanismes de base selon lesquels nous agissons et qui nous permettent généralement de nous débrouiller, mais dans certaines situations, ils nous font nous méprendre, et souvent les réseaux de grande consommation font des tests pour apprendre comment exploiter nos faiblesses et nous faire nous tromper ».
Photos:
1. Le Prof. Dror Rechavi 2. Guy Teichman 3 Meshi Volovich
Source : ami-universite-telaviv.
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