Monsieur, Personne ne nous a jamais respectés comme vous. Quamel Pusati

« Monsieur, personne ne nous a jamais respectés comme vous » m’a dit un jour de printemps 2004 une dénommée Sabrina, jeune fille discrète et agréable, d’un niveau plutôt faible et issue de la classe la plus difficile à qui il m’ait été donné de « faire cours », le verbe « faire » revêtant pour l’occasion toute sa polysémie.

C’était ma première année à Saint-Denis, je ne savais pas encore que suivraient cinq années d’accomplissement en tant que professeur, et je luttais chaque jour pied à pied pour instaurer une forme d’autorité dans un groupe sans tête de classe mais pas sans têtes à claques, dont trois seraient exclus définitivement et un terminerait même plus tard derrière les barreaux pour trafic de pièces de voitures.

Cette hostie de reconnaissance

J’ai laissé fondre sur ma langue cette hostie de reconnaissance jusqu’à la fin de l’année et aujourd’hui encore je la savoure avec une certaine émotion mêlée de fierté. Ce n’est que bien plus tard que j’ai commencé à l’analyser. Elle n’avait pas dit « Nous n’avons jamais respecté quelqu’un autant que vous », ce qui aurait été tout aussi gratifiant, voire davantage pour le narcissique que je suis, mais c’est bien le respect que je leur avais témoigné qui l’avait touchée.

Certes, je les vouvoyais et m’habillais souvent en costume pour instaurer une certaine distance, certes c’était aussi une marque de considération envers eux, mais sa remarque, je l’espère en tout cas, visait plus loin. C’est la volonté de leur attribuer des notes qui fassent sens, qui correspondent au niveau réel attendu, qui ne leur mentent pas, l’exigence ainsi que le désir de leur faire découvrir les grands textes, les seuls qui vaillent, qu’elle célébrait à travers cette expression.
Préconiser d’apprendre aux élèves en difficulté à lire dans des notices, comme l’a fait Meirieu, renoncer à l’exigence, « adapter » sans cesse l’enseignement, leur fourguer de la sous-culture, c’est les mépriser ; les priver de la vraie littérature, de ce qui s’est écrit de mieux, de ce qui s’est dit de plus beau au cours de notre histoire, c’est nier leur statut d’enfants de la République. 
Les élèves des zones défavorisées le sentent mieux que quiconque. Cette année-là, malgré leur faible niveau, j’ai prolongé, devant leur insistance, ma séquence sur la poésie de plusieurs semaines.  Sabrina voulait me signifier que mon attitude les avait influencés, elle ne se doutait pas que ses mots me changeraient à jamais.

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1 Comment

  1. C’est comme cela qu’il aurait fallu faire, hélas nous n’en serions pas ou nous en sommes aujourd’hui !
    Beau texte touchant d’une belle expérience pleine d’intelligence et d’humanité vraie!

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