On en ressort ébloui ! Secoué ! C’est un thriller sur fond d’espionnage. ( sortie à Paris le 13 Novembre )
On ne s’attendait pas à voir autant de détails dans le décor et une telle performance des acteurs qui ont rendu passionnant ce film. Ce “j’accuse”, évidemment, raconte l’Affaire Dreyfus, scandale majeur de la IIIe République (1894-1906). Mais attention ! Sous un angle inédit qui fait toute l’originalité de ce film : toute l’affaire Dreyfus à travers le personnage du lieutenant-colonel Marie-Georges Picquart. Celui qui avait réhabilité le capitaine Dreyfus injustement condamné. Un personnage central du dénouement de l’affaire, et qu’on oublie toujours. C’est ce lieutenant-colonel, antisémite déclaré, qui a largement contribué à innocenter Alfred Dreyfus, ce capitaine juif, condamné en 1894 pour intelligence avec l’ennemi et déporté sur l’île du Diable, au large de la Guyane.
Thriller sur fond d’espionnage, ce film de Roman Polanski reconstitue les faits avec une précision d’horloger, dans une ambiance noire, grise, blafarde, et macabre. Marie-Georges Picquart, magistralement interprété par Jean Dujardin, l’acteur Oscarisé de The Artist, mène en secret son enquête, comme une sorte de détective, pour faire éclater la vérité. Aucun détail n’est négligé. Tout est passé au peigne fin, Tout paraît petit, réprimé, poussiéreux, car la vérité se niche au fond de couloirs et de tiroirs, sur des bouts de papiers, des feuilles si fines que l’écriture y est précaire. Les vrais coupables, il faut les chercher partout. Jean Dujardin est absolument remarquable. Il ne néglige rien : les ministres, les officiers de l’armée française qui défilent en rivalisant d’infamie, de bêtise autosatisfaite ou de bouffonnerie.
Epoustouflant ! Roman Polanski montre l’incroyable machination comme une sinistre farce, faite d’approximations et d’improvisation.
Pas besoin d’être grand clerc pour deviner que derrière la persécution subie par Dreyfus, incarné par Louis Garrel, se dessine de manière souterraine – mais, aussi, secondaire – une part du harcèlement dont Polanski se sent lui-même victime. En tout cas, sur le plan du cinéma, c’est imparable. Et glaçant, même du côté des deux protagonistes principaux. Louis Garrel en Dreyfus, fantomatique, raide et tremblant, et Jean Dujardin plus en chair, mais opaque, tenu par sa seule mission, qui est en quelque sorte synonyme d’obsession. Dujardin trouve là son premier grand rôle tragique, mais cette minutie, ce souci de la preuve donnent au film une solidité, une épaisseur auxquelles ne parviennent que rarement les reconstitutions historiques. J’accuse met donc ces deux personnages à distance l’un de l’autre mais en miroir, pas plus aimables l’un que l’autre, mais qui portent très haut leur sens de l’honneur.
A 86 ans, Polanski poursuit ainsi l’œuvre de transmission commencée avec Le Pianiste (2002), qui mettait en scène la survie d’un juif dans la Pologne occupée, ayant lui-même échappé de justesse à l’extermination des habitants du ghetto de Cracovie). J’accuse est situé à un moment où l’antisémitisme n’est pas encore devenu le moteur d’une machine d’extermination, mais est déjà un mal qui défait une société.
Dans ce film, tout est reproduit à l’identique. On voit le lieutenant-colonel Picquart poussant la porte d’une pièce où des policiers en civil jouent aux cartes et l’on entrevoit Cézanne ou encore au cabaret, les danseuses composant un Lautrec, ou au concert ou l’on entend Fauré. C’est pourtant la même société qui pousse la foule à huer l’officier lorsque ses enquêtes le conduisent au tribunal. Parce qu’il est convaincu de l’innocence de Dreyfus, Roman Polanski dénoue les nœuds de trahison, de mensonge dans lesquels s’étaient piégés l’état-major et la majorité conservatrice au pouvoir qui ont tissé l’affaire Dreyfus. Pris séparément, ce ne sont que des péripéties, de celles qui font les romans d’espionnage. Dans l’objectif de l’auteur du Pianiste, elles font tourner une machine infernale, faite d’aveuglement, de préjugés, de haine, que le cinéma a rarement montrée avec autant de puissance.
Roman Polanski a toujours dit qu’il voyait dans cette affaire un écho à sa propre histoire, s’estimant “harcelé” et “persécuté”. “Je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’œuvre dans ce film et cela m’a évidemment inspiré” a-t-il dit. Voilà pourquoi depuis plus de sept ans, que le cinéaste voulait évoquer l’affaire Dreyfus.
Il a donc choisi pour son film, d’adapter le livre de Robert Harris (intitulé “D” publié chez Plon) qui oppose le bon, le lieutenant-colonel Picquart, au véritable traître, Esterhazy, occultant de fait, le véritable protagoniste, Dreyfus.
Or – coïncidence ?- voilà que paraît ce 23 octobre, un livre de l’historien Philippe Oriol (“Le faux ami du capitaine Dreyfus”. Grasset) qui répond à Harris en lui faisant remarquer un certain nombre de contre-vérités. En effet, il réfute, point par point, les agissements de Picquart censé s’être sacrifié pour Dreyfus ! Il s’en dégage un personnage bien plus ambivalent que Oriol nomme “ Le faux ami de Dreyfus”….
Alain Chouffan
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