Lorsque Daniel Farhi écrivait pour TJ. « Yann Moix. Une étrange teshouva »

( Un écrivain à la recherche de son honneur perdu ).

C’est le temps de la rentrée littéraire. Les prix vont bientôt être décernés et chacun attendra celui qui marque le plus prestigieux d’entre eux : le Goncourt. C’est aussi, pour les Juifs, le temps des quarante jours de repentir qui, depuis le 1er eloul (cette année le 1er septembre) et jusqu’au 10 tishri (Kippour, cette année le 9 octobre), invitent les croyants à examiner leur conduite de l’an écoulé avant de se présenter devant le Maître de l’univers lors du « grand pardon ». Traditionnellement, les fidèles se rendent très tôt le matin, avant le lever du soleil, à la synagogue pour y implorer le pardon divin à travers les selihoth (prières de repentir) entonnées sur des airs de lamentations.

Daniel Farhi

Et c’est précisément le 31 août, tard dans la soirée, que France 2 a choisi pour la rentrée de la célèbre émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché ». Celle-ci avait été annoncée comme accueillant en invité principal Yann Moix, écrivain de renom, qui vient de publier une autobiographie, « Orléans », où il dénonce les mauvais traitements dont il a été l’objet de la part de sa famille dans son enfance. Mais l’attente du public ne concernait pas que ce livre immédiatement dénoncé par le frère et le père de Yann Moix comme mensonger. Cela aurait pu n’être qu’un épiphénomène s’il ne s’était accompagné de révélations sur le passé antisémite de l’écrivain. Révélations bien entendu malveillantes, mais non pas fausses puisque l’intéressé les a lui-même reconnues publiquement avant, et surtout pendant l’émission.

Mais avant d’aller plus loin, il me semble nécessaire de rappeler un certain nombre de choses sur Yann Moix. Né en 1968, il entre dans le monde littéraire en publiant son premier roman en 1996, Jubilations vers le ciel, qui reçoit le Goncourt du premier roman ainsi que d’autres distinctions. Suivent toute une série de romans à succès : Les cimetières sont des champs de fleurs, Anissa Corto, Podium, Partouz, Panthéon, Naissance (prix Renaudot) ; des essais : Mort et vie d’Edith Stein (rapports entre judaïsme et christianisme), Apprenti-juif, La Meute, etc. Moix est également journaliste, cinéaste, acteur, homme de radio et de télévision. – Depuis quelques années, il revendique publiquement son amour des Juifs, du judaïsme et d’Israël. Il se réclame de l’amitié de Bernard-Henri Lévy, son mentor, mais aussi de Benny Lévy, philosophe et écrivain mort en 2003 à Jérusalem, dont il a suivi l’enseignement.

Tout cela, et bien d’autres choses encore, fait de Yann Moix un homme parfaitement respectable et respecté. Je devrais dire « faisait » jusqu’aux révélations parues dans l’Express le 26 août 2019, documents à l’appui, selon lesquels l’écrivain qui clamait son amour pour les Juifs et pour Israël avait participé en 1989 et 1990 à trois numéros d’une revue artisanale Ushoahia, négationniste, antisémite et raciste. Il y a écrit des articles dont il a d’abord nié être l’auteur avant de les reconnaître ; il y a produit des caricatures antisémites. Bernard-Henri Lévy a été une de ses têtes de turc à l’époque. Moix qualifiait notamment ce dernier de « youpin dont le crâne n’a hélas pas été rasé par les amis d’Adolf ». Il faut croire que BHL n’est pas rancunier pour avoir ensuite accueilli Yann Moix dans sa revue et l’avoir introduit dans les cercles littéraires. Dans Libération du 27 août, l’écrivain a finalement reconnu avoir produit ces écrits. Il a déclaré tout assumer et tout endosser, et s’est dit « libéré de cette épée de Damoclès avec laquelle il vivait depuis trente ans ». Il a ajouté : « Aujourd’hui, l’homme que je suis en a honte. Tout le parcours que j’ai fait depuis, tout mon parcours d’homme, c’est l’histoire de quelqu’un qui a essayé de s’arracher à cette géographie toxique, m’extraire de cette nasse ». « Ça se voulait une provocation : celle-ci s’est soldée par un ratage total ». Ses dessins de l’époque lui donnent « envie de vomir ».

Vient alors la pénible séance de « On n’est pas couché » du 31 août dernier. Yann Moix y est accueilli par son ami et ancien collaborateur Laurent Ruquier qui va le livrer en pâture à ce qui ne se veut pas un tribunal, mais en a tous les semblants. Moix demande à faire une déclaration liminaire avant de répondre aux questions qui, bien entendu, ne porteront pas sur son roman Orléans pour lequel il était censé participer à l’émission. Que dire de cette longue confession de Yann Moix ? Son visage était dévasté, reflétant sans doute son état d’âme. Son discours fut pathétique. Cette autoflagellation télévisée et donc vue par des millions de spectateurs ressemblait à l’humiliation infligée par le pape Grégoire VII au roi des Romains Henri IV, futur empereur germanique, à Canossa en Italie le 28 janvier 1077. Sauf que cette humiliation, c’est Yann Moix lui-même qui se l’est infligée anticipant les questions de ses interlocuteurs et les nôtres. Je ne souhaite pas me poser en juge comme ont pu le faire, entre autres, Pierre-André Taguieff, Bernard-Henri Lévy ou hier même Sarah Cattan dans Tribune Juive. Certains ont cru à sa sincérité et sont prêts à lui accorder leur pardon ; d’autres sont implacables et affirment que ses écrits et dessins passés ainsi que sa fréquentation jusqu’à il y a peu de personnages douteux ne méritent aucune indulgence, et qu’ils invalident tout ce que Yann Moix a pu écrire depuis.

En tant que rabbin, donc appartenant au judaïsme que Moix a porté aux nues depuis plusieurs années, et étant donné la période de l’année liturgique dans laquelle nous nous trouvons et que j’ai rappelée en introduction, je voudrais essayer d’apporter quelques réflexions spécifiques. Notre grand philosophe et théologien Maïmonide (1138-1204) a travaillé sur les hilkhoth teshouva, les lois du repentir. Il s’appuie sur l’unique commandement de la Torah qui en parle (Nombres 5:6-7) : « Si un homme ou une femme a causé quelque préjudice à une personne, et par là commis une faute grave envers le Seigneur, mais qu’ensuite cet individu se sente coupable, il confessera le préjudice commis, puis il restituera intégralement l’objet du délit, augmenté du cinquième, et qui doit être remis à la personne lésée ». Maïmonide reconnaît dans ces versets une double démarche face à la faute : le sentiment de culpabilité (le repentir) et la confession. Il ajoute d’ailleurs une troisième condition à une teshouva totale : le fait de repasser à côté de la faute qu’on avait commise et de ne plus la commettre. La question est donc de savoir si le sentiment de culpabilité éprouvé par Yann Moix est réel ou circonstanciel. D’aucuns avanceront que s’il n’avait pas été découvert, il ne se serait pas confessé publiquement comme il l’a fait, et que donc son repentir n’est pas total au regard de Maïmonide. D’autres diront peut-être que toute son œuvre ultérieure et surtout ses prises de position en faveur du judaïsme et d’Israël valent repentir. En vérité, seul Dieu connaît le cœur de chacun d’entre nous et peut se prononcer sur cette confession tardive. − Dans une leçon sur les lois du repentir de Maïmonide, sur le site de Torah Box, j’ai lu un commentaire que je vais vous résumer. Un homme posait la question au rabbi sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’un homme qui venait lui demander pardon pour l’avoir trompé avec sa femme, lui disant : « Vous aviez épousé une femme, et je suis la cause de votre séparation. Je vous ai fait du mal. Que Dieu me pardonne ». L’homme écrit au rabbi qu’il a compris que la démarche de celui qui voulait être pardonné venait de la souffrance qu’il endurait à son tour car cette femme l’avait quitté, lui laissant des enfants et des dettes, et il pensait que si lui le pardonnait, Dieu lui accorderait son pardon. « La question que je pose est la suivante : étant donné que sa démarche est avant tout présidée par un désir de se délivrer de sa douleur propre et non de sa faute, peut-on considérer qu’il y a là une démarche de vidouy techouva (confession de repentir) ? S’il ne s’était pas trouvé dans cette grande détresse, il n’aurait certainement pas senti ce besoin de demander pardon. » − C’est exactement la question qu’on peut se poser face à la confession de Yann Moix. Il a dit lui-même que celle-ci l’avait libéré de cette épée de Damoclès suspendue depuis trente ans au-dessus de sa tête. Il n’a pas vraiment formulé qu’il regrettait sincèrement le mal que ses écrits et dessins de jeunesse avaient pu produire. Il a éprouvé le besoin – parce que les circonstances l’y ont amené – de libérer sa conscience. Encore une fois, je ne veux pas porter de jugement, tirer sur l’ambulance, hurler avec les loups, etc. Il y a devant nous un homme face à son passé qui a sans doute essayé de l’exorciser par certains écrits de la maturité et d’effacer ainsi le mal infligé par les écrits de sa jeunesse. Je plains cet homme de tout mon cœur. J’espère qu’il trouvera la paix et que s’il repasse à coté de ses fautes passées, il ne les commette pas à nouveau.

Shabbath shalom à tous et à chacun, Daniel Farhi.

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3 Comments

  1. Dans Esquisse d’une philosophie de l’hitlerisme, Emmanuel Levinas oppose le judaïsme et ses moutures religieuses et séculières à l’hitlerisme en insistant sur la question de la liberté qui existe dans le premier et implique la faculté du repentir – alors que l’hitlerisme consiste à river l’être humain au déterminisme absolu du sang ce qui fait que la liberté n’existe pas.

    Dans cet ordre d’idées un être humain qui a été antisémite peut fort bien se repentir et changer d’attitude. Yann Moix est-il dans ce cas de figure ? Nous ne le saurons vraisemblablement jamais car seul Dieu peut sonder les cœurs et les reins. Ce n’est, je pense, pas à un autre être humain tant de le condamner en le rivant irrémédiablement à son passé ni de l’absoudre en lui donnant le bénéfice du doute. Seul Dieu ou sa conscience peuvent répondre à cette question. Maintenant je voudrais pour ma part que Moix qui, en effet, a attendu que d’autres révèlent son passé peu reluisant pour s’en excuser, s’engage dans un travail citoyen auprès des collégiens et des lycéens pour raconter de manière très précise comment il a dépassé son antisémitisme premier. C’est cette bascule qui serait passionnante à comprendre pour notre société et en particulier une jeunesse des banlieues (et pas que…) qui sombre dans le nouvel antisémitisme. Chiche, Monsieur Moix ?! Merci à ceux qui auraient ses coordonnées de lui transmettre ma suggestion !!

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