Jonas Haddad, avocat de la famille de Mamoudou Barry, explique que lors du drame, le discernement du tueur n’était ni aboli, ni altéré et qu’il était en pleine possession de ses moyens. On parle bien trop souvent d’antécédents psychiatriques, alors qu’il peut s’agir de courts séjours même répétés !
Atlantico : « Vous êtes l’avocat de la famille de Mamoudou Barry, tué par un individu présenté à l’origine comme supporter algérien. L’interruption de la garde à vue a eu lieu pour raisons médicales et il disposait d’antécédents psychiatriques. Quelles informations possédez-vous sur cette affaire ?
Jonas Haddad : « J’ai passé du temps avec la famille Barry et j’ai remarqué un fait peu souligné dans les médias. Lorsque l’agresseur de Mamoudou Barry porte les coups qui voulaient être mortels et lorsque sa femme se rend compte que son mari est mort, elle dit à l’agresseur : « Tu as tué mon mari ! ».
« Là, l’agresseur lui répond : « Reste à ta place ou je te réserverai le même sort ! » En cela, on se rend compte que son discernement n’est ni aboli, ni altéré, et qu’il est en pleine possession de ses moyens.
« Autre point intéressant, sa compagne serait venue indiquer aux enquêteurs où il se trouvait. C’est donc quelqu’un possédant une vie sociale et qui n’est pas « dérangé » comme on a pu le présenter.
Atlantico : « Selon vous, le motif amené à l’origine comme étant la cause de cette agression, à savoir le racisme, serait toujours possible ?
Jonas Haddad : « C’est notre conviction et c’est aussi celle du procureur, puisque c’est ce qu’il a retenu pour ouvrir l’instruction. Nous ne sommes pas dans le domaine de la supposition (« plausible ») et nous avons avancé sur ce terrain-là. Ça veut dire que si le procureur le retient, c’est qu’il a des indices qui le lui laissent penser. Nous avons des témoignages concordants sur les propos adressés par l’agresseur.
Atlantico : « L’argument des (soi-disant antécédents et) problèmes psychiatriques est-il trop souvent brandi lors d’affaires judiciaires françaises ?
Jonas Haddad : « On parle souvent d’antécédents psychiatriques, mais on peut avoir des antécédents psychiatriques à l’âge de 10 ans sans être fou à 20 ans. Il y a une ignorance du Code Pénal. Le Code Pénal prévoit que la responsabilité pénale demeure si une personne a son discernement altéré, c’est écrit en toute lettres dans l’article 122-1 : la personne est punissable. L’article prévoit un aménagement de la peine, mais pas d’irresponsabilité pénale. Quand on entend les mots « déséquilibré » ou « antécédents psychiatriques » dans les médias, les gens se disent que c’est terminé et qu’il n’y a plus de responsabilité pénale, mais c’est faux.
« Le seul cas de figure où la personne peut être considérée comme irresponsable pénalement, c’est si son discernement est totalement aboli, et pour cela il faut que la personne ait perdu totalement le contrôle de ses actes et qu’elle n’ait plus aucun libre-arbitre. Certains auteurs juridiques parlent de « folie généralisée ».
« On a trop souvent tendance à qualifier le discernement d’aboli alors qu’il n’est qu’altéré. Il faut bien faire la différence entre le moment où le discernement est altéré et le moment où il est aboli.
« Ce n’est que parce que le discernement est aboli qu’il y a irresponsabilité pénale.
Atlantico : « Peut-on appliquer cette réflexion au cadre du terrorisme, dans les cas où l’auteur d’actes terroristes est présenté comme psychologiquement déséquilibré ?
Jonas Haddad : « Assimiler immédiatement un terroriste à un individu déséquilibré psychologiquement est un très mauvais réflexe parce qu’il disqualifie l’enquête et la justice alors que ce sont justement elles qui doivent avoir le plus d’influence et de pouvoir dans ce cas-là. Ce sont à elles de déterminer, par le biais d’une étude psychiatrique, le fait que demain quelqu’un soit considéré comme ayant été en capacité de discerner ses actes ou non. Même si quelqu’un est décrit comme « déséquilibré », bien que juridiquement ce terme n’ait aucun sens et n’existe pas dans le Code Pénal, cela n’enlève pas la responsabilité pénale de la personne qui commet l’acte. Il est indéniable que quelqu’un qui s’apprête à commettre des atrocités, comme cela peut être le cas dans les actes terroristes, n’est jamais quelqu’un de très équilibré.
Atlantico : « Dans les cas politiquement sensibles (suspicions de racisme, sexisme, actes terroristes etc.), ce recours au cas psychiatrique n’est-il pas un acte politique qui vise à nier certains problèmes par la facilité de l’argument du « déséquilibre » ?
Jonas Haddad : « Sans doute cela peut-il servir d’argument politique. Mais c’est un argument qui ne tient pas juridiquement. Quelqu’un qui est « déséquilibré », qui a son discernement altéré et non aboli, à moins qu’il soit sous contrainte, sous la menace de sa vie, a une responsabilité pénale complète. La perte à un moment de son équilibre psychologique ne peut jamais justifier l’irresponsabilité pénale. D’un autre côté, cela peut atténuer la peine si jamais on arrive à démontrer que ce discernement était altéré. Sur cette question-là, ce ne seront jamais les journalistes qui pourront en décider, mais toujours des experts psychiatriques. »
Kobili Traoré pourrait ne pas être jugé, car les juges ont estimé « plausible » l’abolition du discernement de Kobili Traoré lors du meurtre de Sarah Halimi. Aujourd’hui, « plausible » signifie tout sauf certain !
« Le dictionnaire de l’Académie française, 5ème édition, définit ce qui est plausible mais pas comme une preuve recevable en justice qui repose sur des faits, mais seulement comme une « apparence de preuve ».
Des raisons plausibles sont des raisons probables, des raisons fondées sur une apparence de raison.
Des raisons probables et plausibles sont des raisons qui ne sont point démonstratives.
« Le dictionnaire de l’Académie française, 5ème édition, donne quelques synonymes : Raison plausible, Raison probable, Raison frivole, Raison fausse. Prétexte plausible : Faux prétexte. »
Cette perspective de plausibilité de d’abolition du discernement de Kobili Traoré a provoqué la colère des parties civiles après une décision des juges d’instruction qui estiment plausible mais non prouvé l’abolition de son discernement au moment des faits, synonyme d’irresponsabilité pénale et d’abandon des poursuites.
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