L’implantation de la Licra, association antiraciste française, en Tunisie avait tout pour réussir : le soutien du gouvernement tunisien et du gouvernement français, un bureau composé d’universitaires tunisiens de premier plan, une expertise juridique locale et même quelques subventions. Lancée en fanfare en février 2018, Licra-Tunisie n’a pas vécu deux jours. Sous les coups de BDS (Boycott Discrimination Sanctions), un mouvement antisioniste et pro-palestinien, Licra-Tunisie a été perçue comme une opération d’implantation sioniste. La structure s’est effondrée comme un château de cartes.
Le projet de la Licra d’ouvrir une section en Tunisie remonte à la fin de l’année 2016. Une conjonction d’évènements favorise l’ouverture du dossier : comme toutes les ONG, la Licra rêve d’étendre sa représentation à l’international – elle est déjà présente dans plusieurs pays européens – pour mieux assoir son audience auprès des gouvernements et des organisations internationales. Et la « révolution de jasmin » qui chasse l’autocrate Ben Ali crée un cadre favorable. Un bureau à Tunis, c’est l’occasion d’un peu d’universalisme en terre d’islam ; d’un peu d’aide aux minorités non arabes et non musulmanes qui perdurent en Tunisie sans parler de l’aide urgente qu’il faut apporter à ces dizaines de milliers de migrants africains qui déferlent au Maghreb en vue d’un embarquement pour l’Europe. Enfin, l’enthousiasme et les nombreux contacts que Corinne Lahmi, chargée de mission de la Licra, a tissé en Tunisie … font que la mayonnaise prend.
La Licra France se saisit du dossier et toutes les questions sont étudiées : évolution historique en Tunisie ces dix dernières années, changements législatifs récents et étude des tendances au sein de la société civile, poids social et représentation légale des mouvements islamistes, attentes de la société civile, actions à envisager (droits de l’Homme, liberté d’expression, liberté de religion…). Progressivement, le bureau local se constitue et des soutiens politiques commencent à se mettre en place.
En février 2018, Licra Tunisie est fin prête. Des personnalités tunisiennes de renom sont au bureau de Licra Tunisie comme Habib Kazdaghli, ancien doyen de la Faculté des lettres de Manouba. L’association est régie par la loi tunisienne sur les associations et affirme qu’elle n’est pas une antenne de la Licra même si elle en porte le nom.
Las, le bureau de Licra Tunisie est à peine constitué, puis inauguré en fanfare que le pro-palestinisme, puissant en Tunisie, se déchaîne. Le site Tacbi (Appel Tunisien pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël), devient le fer de lance d’une campagne contre cette « manipulation sioniste ». Tacbi dénonce « le lancement d’une branche tunisienne de la Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA) une organisation française connue pour son soutien inconditionnel à l’État d’Israël, sous couvert de lutte contre l’antisémitisme. » Les termes de Tacbi sont repris in extenso sur des dizaines de sites internet tunisiens qui dénonce le débarquement en Tunisie d’« un important lobby sioniste français ».
Personne ne sait ni ne comprend quel est le but du complot – lutter contre l’antisémitisme en Tunisie attente-t-il aux droits du peuple palestinien ?-, mais les liens entre Licra Tunisie et Licra France sont présentés comme des « preuves ». Si la Licra est une organisation sioniste, alors son clone tunisien l’est aussi. Les maladresses ajoutent aux « preuves » : Licra Tunisie qui comprend qu’elle a eu tort d’afficher ses liens avec la Licra France tente de reprendre son autonomie. Mais Tacbi retrouve sur le site de la Licra, en date du 8 novembre 2018, une annonce qui présente Licra Tunisie comme la section tunisienne de la Licra.
Autre maladresse, l’acte de naissance de Licra Tunisie publiée au journal officiel tunisien, indique que sa présidente est Madame Mona Tekia. Or, dans ses communiqués, l’association affirme que son président est Achref Sallami. Le nom de Mona Tekia apparait aussi sur le site de la LICRA France précisément comme étant la présidente de sa section en Tunisie. Bref, les erreurs de communication et les réactions maladroites sous le feu se cumulent pour accélérer la débâcle.
Le site Tacbi qui mène la danse est piloté ouvertement par un chercheur franco-tunisien du CNRS, Ahmed Abbes, Directeur de recherche à l’IHES à Paris et qui se présente comme le « Coordinateur de la Campagne Tunisienne pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël (TACBI) et le « Secrétaire de l’Association Française des Universitaires pour le Respect du Droit International en Palestine (AURDIP) ».
L’autre accusation phare de Tacbi est la volonté de la Licra de « faire de la Licra Tunisie un exemple pour le Moyen-Orient, et notamment dans un pays qui a toujours été pionnier dans la défense de l’universalisme. » Pour les islamistes et les propalestiniens, « universalisme » est LE signe par excellence du complot, juif et du complot que l’Occident mène incessamment contre l’innocence musulmane.
C’est peu dire que campagne de Tacbi mord immédiatement. Slim Laghmani, professeur de droit international et membre de la Commission sur les libertés individuelles et l’égalité (Colibe) affirmera sur Facebook qu’il « s’est fait avoir » par Licra Tunisie. Il rendra son tablier. L’universitaire Cherif Ferjani tweete que « Habib Kazdaghli s’est fait piéger par le nom de la LICRA (Ligue Internationale contre le Racisme et l’antisémitisme) sans savoir que derrière le nom se cache un véritable alignement sur la politique d’Israël que la LICRA soutient inconditionnellement : La LICRA assimile antisionisme et antisémitisme, comme les islamistes assimilent rejet de l’islam politique (ou islamisme) et islamophobie ! ».
Amine Jelassi, vice-président et chargé des affaires juridiques à Licra Tunisie annonce sur Facebook que lui aussi a été trompé. « il ne connaissait pas la nature des activités de l’organisation française et son engagement pro-sioniste. » Il réaffirme son engagement propalestinien et annonce « qu’il n’a plus désormais aucun lien avec cette organisation douteuse »
Le parti al Massar auquel adhère Habib Kazdaghli, président d’honneur de Licra Tunisie « gèle l’adhésion de M Kazdaghli à Licra Tunisie « jusqu’à l’adoption d’une décision définitive à son sujet ». Selon le Huff Post Maghreb, un lien éventuel de Habib Kazdaghli « avec le mouvement sioniste et qui opère sous couvert d’une association tunisienne » est une affaire gravissime. Avec beaucoup de dignité, Habib Kazdaghli tentera de se dresser contre la déferlante qui l’accuse de « soutenir Israel et le sionisme », mais en vain.
Aujourd’hui, après beaucoup d’efforts, Licra Tunisie n’est plus qu’un petit tas de cendres. A qui la faute ? A la sous-estimation du climat « antisioniste » qui règne en Tunisie ? A certains des dirigeants de la Licra qui ont pris des décisions en petit comité sans tenir compte des avis d’experts dont ils disposaient ? Il est difficile de tirer un bilan en raison de l’omerta organisée au sein de l’association par l’équipe dirigeante.
La Licra souhaite d’autant moins communiquer sur ses déboires que cette affaire a réassigné la Licra à son ancrage d’origine, la lutte contre l’antisémitisme. Sous la houlette de son ancien président Alain Jakubowicz, la Licra avait pourtant entrepris de rompre avec son passé historique, une organisation juive spécialisée dans la lutte contre l’antisémitisme ».La Licra n’avait pas encore rejoint le club des autres associations droit-de-l’hommiste spécialisées dans la lutte contre « l’islamophobie ». Mais elle avait fait un pas de géant dans leur direction en s’associant au CCIF (Collectif contre l’islamophobie) pour demander aux tribunaux de condamner l’historien Georges Bensoussan présumé coupable de racisme anti musulman. Le message que les pro-palestiniens tunisiens ont fait passer à la Licra est que juif égalera toujours sionisme.
Yves Mamou
Pourtant, après le honteux procès contre Georges Bensoussan (l’un des seuls esprits lucides de notre époque médiatiquement parlant), la LICRA ne devait pas s’attendre à cela…
Je ne crois pas plus à l’antiracisme politisé qu’aux petits hommes verts et aux licornes. Il n’existe à ce jour aucune preuve factuelle de l’existence de l’antiracisme (au niveau politique et associatif). Il existe en revanche un faisceau d’indices tendant à prouver son inexistence.
Amateurisme, relativisme et une certaine arrogance de la direction de la licra