Eric Dupond-Moretti est l’avocat d’Abdelkader Merah, frère de celui qui tua sauvagement en 2012 Imad, Abel, Mohamed, Jonathan, Arié, Gabriel et Myriam, et laissa Loïc tétraplégique.
Eric Dupond-Moretti, fustigé de toutes parts pour son choix par ceux qui ne voulaient pas savoir la mission de l’Avocat, a droit à notre entière considération : déjà célèbre et a priori exempt de tout désir d’une médiatisation supplémentaire, il se retrouva promu avocat du diable[1]. Désormais autant honni que son client, il découvrit la haine des réseaux sociaux, où il fut vilipendé et injurié au titre de l’avocat qui allait se faire du fric sur le dos de nos morts, agressé de toutes parts, menacé, lui, et surtout ceux qui lui étaient chers.
Eric Dupond-Moretti, redisons-le, a droit à toute notre considération, pénaliste capable, alors que la charte de déontologie inclut une clause de conscience permettant de refuser un dossier quand la cause heurte trop les convictions pour bien défendre l’homme, de défendre aujourd’hui le frère de Mohammed Merah, un terroriste islamiste, un lâche, un paquet de haine, un pur produit du djihadisme.
C’est que … Toute personne doit être défendue.
Souvenons-nous, alors que personne ne voulait du dossier de Patrick Henri jugé indéfendable par la corporation, que Maître Robert Badinter s’y colla et de surcroît le sauva de la peine capitale, rompant toute tentation d’amalgame entre le client et son Conseil.
D’évidence, accordons à Eric Dupond-Moretti que loin d’être l’avocat de la terreur, il est juste celui des terroristes. Et n’oublions jamais le distinguo entre le crime et son auteur. D’autant qu’ici, il s’agissait… du frère du criminel.
Les défendre tous. Rappelons-nous qu’en 1998, Maître Francis Vuillemin, plaidant pour Maurice Papon, avait expliqué qu’un avocat qui refusait un dossier n’en était pas un. Que ce serait comme un chirurgien à qui on amènerait un homme éventré et qui déciderait de ne pas l’opérer parce qu’il aurait une sale tête ou que ce serait une crapule[2].
Les défendre tous. Rappelons-nous qu’un Jacques Vergès prétendit[3] qu’il aurait défendu Hitler. Jacques Vergès, symbole de l’avocat qui défendait, si on l’appelait, toute personne se retrouvant devant un tribunal. Quelle qu’elle soit. Sinon, nous expliqua-t-il, l’avocat n’est plus avocat : il devient juge, et ce sans aucune légitimité.
Défendant donc ce que l’humanité avait fait de plus horrible, de plus détestable, de plus écœurant, de plus condamnable, défendant Klaus Barbie parce que là était son métier et n’étant pour cela ni un nazi en puissance ni un antisémite refoulé. Rejoint, justement, par Eric Dupond-Moretti qui précisa qu’il défendrait un négationniste s’il le lui demandait. Sauf s’il lui demandait de défendre le négationnisme, ajoutant : Je défends des Hommes, pas des causes.
C’est que certains doivent bien faire le sale boulot… Et il nous faut donc avec Créon répondre à Antigone : Il faut pourtant qu’il y en ait qui disent oui. […] Pour dire oui, il faut suer et retrousser ses manches, empoigner la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’aux coudes. Face à Antigone la rebelle, celle qui dit non, Créon représente celui qui dit oui, qui accepte de faire le sale boulot parce que c’est son rôle et qu’il faut bien que quelqu’un le fasse.
Les défendre tous. Choisi ou commis d’office. Faire corps avec eux. C’est ce que pensait aussi Maître Jean-Yves Liénard[4], qui n’envisageait pas son métier autrement.
Il était là, le vrai cas de conscience de l’avocat : défendre le diable sans pour autant devenir son instrument, et laisser, au final, le juge dire le droit. Lequel n’est pas exempt de morale, car le législateur, quand il légifère, est aussi inspiré par des préceptes moraux et se réfère à sa conception du juste pour déterminer quelle solution devra apporter la loi.
Accordons donc à Eric Dupond-Moretti qu’il appartient à ces avocats, ces Créon, qui permettent la pérennité d’un système judicaire juste dont nous ne pouvons qu’être fiers. Lui qui plaida mercredi dernier qu’on ne devait pas traiter Abdelkader Merah comme il le serait dans un État islamique, sans avocat, lapidé. Si l’on condamne un homme sans preuve, fût-il un islamiste radical de la pire espèce, on oublie que ce qui distingue la civilisation de la barbarie, c’est la règle de droit, et ce sont les terroristes qui ont gagné, avait-il encore plaidé.
Le revoilà donc en appel, face à une cour d’assises spécialement composée de magistrats professionnels, aujourd’hui comme en 2017.
Sauf que les magistrats du cru 2019 eurent une autre lecture du dossier que leurs prédécesseurs et sauf que, dans les 12 pages de motivation du verdict, la cour d’assises de Paris estima, jeudi soir, que Mohammed Merah avait bénéficié de la complicité de son frère, Abdelkader, pour préparer son périple sanglant entre Toulouse et Montauban.
Sauf qu’à l’issue de douze heures de délibérations, les magistrats annoncèrent qu’ils condamnaient Abdelkader Merah à 30 ans de réclusion criminelle, assortis d’une peine de sûreté de 20 ans : ils avaient retenu cette fois les faits de complicité : les magistrats présidés par Xavière Simeoni avaient tranché en assurant dans leurs motivations qu’Abdelkader Merah était parfaitement informé des projets de son frère.
Eric Dupond-Moretti eut du mal à accuser le coup.
Il annonça, Eric Dupond-Moretti, qu’il allait se pourvoir en cassation pour offrir à son client une chance de pouvoir bénéficier d’un nouveau procès.
Il dénonça, l’avocat d’Abdelkader Merah, le fait que son client eût été condamné à une peine au bénéfice du doute et déclara que cela lui était insupportable. Le voilà même qui, outrepassant le smic de la décence, se livra à un effet de manche en assurant que le procès de Nuremberg avait été plus digne que celui de son client, lequel aurait même été traité d’animal, épisode qui faisait référence, en réalité, au procès de 2017 et non pas au procès en appel.
Eric Dupond-Moretti parla encore de procès inéquitable. Il reprocha aux juges d’avoir condamné Abdelkader Merah sans preuves : Quand on est reconnu coupable d’une complicité d’assassinat, dans les pires faits qui puissent exister, il est saugrenu de ne pas être condamné au maximum de la peine. C’est pour moi une peine au bénéfice du doute et c’est insupportable, répéta-t-il en toute mauvaise foi, de plateau en plateau : le maximum de la peine n’est-il pas réservé à l’auteur du crime…
Evoquant le procès d’Abdelkader Merah et sa présence à ses côtés, il crut encore devoir nous émouvoir en nous rappelant qu’il n’y avait pas eu mille avocats qui s’étaient bousculés au portillon pour le défendre : C’était pour moi un risque, mais je trouve que c’est un honneur pour un avocat d’être là, à ce moment-là, dans cette difficulté-là, et pour cet homme-là, que l’on a considéré comme un monstre, comme l’incarnation du mal absolu. J’ai rappelé qu’à bien des égards, le procès de Nuremberg a été plus digne que celui-là. On n’y a pas traité les hommes d’animaux, comme Abdelkader Merah a été traité d’animal à son procès. Quand la justice omet cette règle essentielle qu’est le doute, et son bénéfice, il y a de quoi désespérer de tout, même si l’accusé s’appelle Abdelkader Merah , s’étrangla-t-il au lendemain du verdict, dénonçant une justice rendue au pied du mur de l’exemple.
Eric Dupond-Moretti nous déçoit
L’avocat qui eut le fort mauvais goût de parler, en première instance, de Zoulikha Aziri comme de la mère d’un mort, elle aussi, s’est forcément rendu compte de ce qui différenciait les deux procès. Il ne peut ne pas avoir remarqué l’extrême tenue du procès en appel. La sobriété, la dignité des parties civiles. La quasi absence d’incidents entre confrères, laquelle avait émaillé le procès en première instance. Il ne peut, sans nous tromper, parler à nouveau de poison de l’émotion ou de surmédiatisation, l’une comme l’autre nous ayant été épargnées cette fois, et ce grâce à la personnalité de Xavière Simeoni, la Présidente, mais aussi à la volonté des avocats des parties civiles.
Eric Dupond-Moretti devrait éviter de répéter l’honneur qu’il y a à défendre un Abdelkader Merah : qu’il se satisfasse de nous donner des leçons de devoirs.
Eric Dupond-Moretti se moque lorsqu’il raconte être conforté par la lourdeur de la peine : son client a écopé du tarif du complice. Si l’auteur des 7 crimes avait été vivant, les 2 frères n’auraient, d’évidence, pas écopé de la même peine.
Eric Dupond-Moretti sait fort bien par ailleurs que jamais son client ne fut par aucun traité ou qualifié d’animal. Certes, si Eric Dupond-Moretti veut parler ici de l’absence totale d’empathie à l’encontre de son client, donnons-lui raison. Si Eric Dupond-Moretti veut nous dire que chacun, dans son for intérieur, voyait dans le box tout sauf un homme, oui, il a encore raison : le complice de l’homme qui tua 7 innocents restera gravé dans nos mémoires comme définitivement lié à la brute sans foi ni loi capable de saisir une Myriam, têtine à la bouche, par la tempe et d’appuyer sur la gachette. Eric Dupond-Moretti voudrait-il que l’on n’appelât pas barbare, sauvage, bête immonde, animal en somme, celui qui se rendit complice de cela ?
Enfin, Eric Dupond-Moretti a mal choisi en s’en référant au procès de Nuremberg. Parmi les 4 chefs d’inculpation du dit procès, celui de crime contre l’humanité ne nous paraît pas usurpé ici : après tout, un Merah ne vaudra-t-il pas un Göring, un jour, lorsque l’Histoire jugera.
L’enjeu de cette affaire dépassait très largement l’appréciation d’un dossier judiciaire, et la France, qui en effet regardait, semble depuis l’énoncé du verdict rassurée de vérifier que son système judiciaire a su s’adapter à ce premier procès terroriste en infligeant au doctrinaire la peine quasi maximale. Ce procès et son verdict feront date dans l’histoire judiciaire de la lutte contre le terrorisme et permettront d’appréhender plus sereinement les procès à venir, qu’ils concernent les terroristes du Bataclan ou ceux du carnage de Nice. Croire qu’il existe une justice capable de se renouveler et de juger le doctrinaire pour avoir enseigné et donc aidé l’exécutant.
Sarah Cattan
[1] La dure loi des « avocats du diable ». Julie Brafman. Libération. 27 avril 2016.
[2] MCETV.fr 30 avril 2016.
[3] Interview Jacques Vergès. Le Télégramme. 2009.
Les Sanguinaires. Jacques Vergès. Editions Michel Lafon. 1992.
[4] La dure loi des « avocats du diable ». Julie Brafman. Libération. 27 avril 2016.
Les rues ont besoin d’éboueurs pour être praticables.
La savane a besoin de charognards pour être viable.
Et la Justice a besoin d’avocats pour être juste.
Sans oublier ce que l’on attribue (à tort…) à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».
Dupont Moretti a donc le droit voire le devoir de se comporter à sa manière.
Fustiger l’avocat puisqu’on souhaite le châtiment exemplaire de son client mérite tous les reproches que cet article fait à l’égard de Dupont Moretti.
Vous avez raison ! Le titre est excessif et la démarche de l’avocat conforme à la déontologie ! On modifiera !
On peut se légitimement se demander si vous auriez fait preuve de la même « hauteur de vue » si cela avait été vos enfants qui vous avaient été atrocement enlevés. Non bien sûr vous, vous faites partie de ceux qui sont au-dessus de tout ça, ou peut-être de ceux qui sont en plein dedans justement.
Aurais-je mal lu ?
Il me semble que ce billet justifie, je dirais même exige, un avocat dans le rôle que vous dites. (J’ai par ailleurs assez de mal à voir « l’intelligence du débat » et les Droits de l’homme comparés au currage des rues ou des savanes.)
J’ai lu précisément la déception -le mot est employé en intertitre- non du rôle de l’avocat, mais du côté «mauvais perdant» -également employé- des déclarations d’après verdict.
J’ai eu beaucoup de mal à ne pas éclater de rire quand j’ai entendu (je crois sur FInfo reprenant un extrait de FInter) Maître Dupont-Moretti déploré «la dictature de l’émotion», compte tenu du terrain où il s’était placé. Il est vrai que nous sommes passé du temps des Desgraupes et Dumayet ou Badinter à celui des Runa et Hanouquier ou Dupont-Moretti…
Le rôle de l’avocat est assurément vital pour qu’une démocratie reste une démocratie, il est assurément tout aussi vital que chaque avocat l’assume en toute liberté sur le fond et sur la forme. Il n’est cependant pas vain, et encore moins malvenu, de relever ce signe du temps par lequel la passion le reprend sur la raison.
Cet homme exaspère par son « pompeux mythomane » et son humilité embryonnaire, mais il fait son boulot.
Le frere complice de crimes aussi abominables contre des enfants et un rabbin sans defense doit etre puni severement par les juges.Les deux freres ont etes insemines par le meme toxic et lethal breuvage des leur naissance. Pardonner ou trouver des circonstances attenuantes a des etres depourvus de toute humanite est exposer notre civilization a une culture animaliste destinee a tuer sans remords mais avec un sense de devoir accompli au nom d’un Dieu barbare et assoiffe de sang. Nous devons nous proteger contre un Jihad islamist visant a detruire notre moderne civilization au nom d’une foi feodale veritable jungle ou imposing la force est un act de survie.
Comment une journaliste libre qui sait manier l’ironie et le second degré peut écrire de telles inepties?
La déception, et j’en suis navré, c’est vous.
Comparer un avocat acceptant fièrement de défendre le complice avéré d’un multi-assassin monstrueux, (comme le fait ici un des commentateurs), à un chirurgien qui est amené à opérer d’urgence, malgré lui, un blessé quel qu’il soit, c’est « dire n’importe quoi ».
Autrement dit, (sans trop philosopher), ce sont deux choses non comparables, et Maître Dupont Moretti pourrait ainsi réserver son temps précieux et son énergie vitale à des causes plus honorables.
En effet, les « clients » ne manquent qui mériteraient ses compétences reconnues.
Bien à vous, Docteur S.K.
Serge Hommage à Sarah Cattan
Félicitations Madame ! J’aime vous lire. Vous avez la stature, non d’une journaliste des drames de la vie mais le souffle d’une romancière éthique des questions existentielles!
Le journalisme d’aujourd’hui est corrompu par le pouvoir, la bienséance des hypocrisies, la saveur de l’argent et le désir de vendre à tous prix du spectaculaire rassurant pour que rien ne bouge.
Vous avez Madame, la hauteur d’échapper aux règles du conventionnel, soit le désir de se rassurer par ce que J.P. Sartre appelait « la mauvaise foi »! Et, en ce sens vous, Sarah Cattan, êtes une noble fille du peuple Juif, dans l’éthique du Suprême, alors que nous venons de célébrer la Pâques juive, c’est à dire notre libération permanente, inscrite dans l’histoire et, au-delà d’elle, la Loi reçue et entendue par le peuple et les prophètes d’Israël.