À l’occasion des élections législatives israéliennes, ce mardi 9 avril, Tamar Hermann, directrice académique du Israel Democracy Institute (IDI), revient sur le sentiment de sécurité de la population, très élevé depuis dix ans.
Entretien
La Croix : Dans quelle mesure la sécurité est-elle une priorité des électeurs israéliens ?
Tamar Hermann : C’est simple, la sécurité est la priorité numéro un. Mais les interprétations diffèrent. À gauche, la sécurité implique la paix, à droite, que le pays ait une très grande activité militaire. Actuellement, le sentiment de sécurité est assez élevé, les habitants jugent les agences efficaces. Cela n’a rien à voir avec le très bas niveau des années 2001, 2002 et 2003, durant la deuxième Intifada.
Paradoxalement, c’est l’une des raisons pour lesquelles la population approuve la baisse des dépenses sécuritaires dans le budget. Aussi, cela explique pourquoi lorsque l’on demande aux électeurs quelle est leur priorité individuelle au moment de voter, ils mentionnent les questions socio-économiques, et non la sécurité. Étant bien gérée, celle-ci est déjà garantie à leurs yeux. En revanche, quand vous leur posez la question de manière générale, « quelle est la priorité des Israéliens ? », ils mentionnent la sécurité.
Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
T. H. : Nous appelons cela l’« ignorance pluraliste ». Les personnes interrogées ne fournissent pas de réponses fondées sur leurs propres priorités mais sur des suppositions qu’ils font au sujet de ce que pensent les autres. Cela s’explique par le fait qu’elles sont sous l’influence des médias et des experts, qui répètent que tout n’est qu’affaire de sécurité en Israël. Elles finissent par penser que c’est ce que les autres pensent.
Quelles sont les menaces que perçoivent les Israéliens ?
T. H. : D’abord, les attentats-suicides. Fort heureusement, cela fait plusieurs années qu’il n’y en a pas eu. Les habitants ne sont pas si effrayés des missiles iraniens. Sur le sujet, Benyamin Netanyahou (le premier ministre, NDLR) n’a pas créé de panique générale parce que d’autres experts ne partagent pas sa position selon laquelle l’Iran pourrait frapper Israël. Ce serait la destruction mutuelle assurée. S’ils nous frappent, nous les frappons en retour, et probablement plus fort.
Les habitants s’attendent donc davantage à des frappes indirectes, menées par un intermédiaire, auxquelles ils considèrent que le pays sait faire face. L’Iran n’est donc pas perçue comme une menace immédiate. Le fait que les habitants investissent à ce point dans l’immobilier montre qu’ils se sentent en sécurité.
Benyamin Netanyahou n’est donc pas parvenu à convaincre l’opinion du péril iranien ?
T. H. : Il a essayé, à l’intérieur comme sur la scène internationale. Cela a très bien fonctionné avec les États-Unis. Mais en Israël, il n’utilise pas les mêmes arguments, sachant que s’il crée une panique générale, certains vont vouloir partir. Or, il ne veut pas provoquer l’émigration. À l’intérieur même d’Israël, il ne parle jamais de la vulnérabilité du pays face à l’Iran.
Israël a-t-elle redouté la réaction palestinienne lors de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis ?
T. H. : Surtout la gauche. Mais les Palestiniens ne sont plus perçus comme une menace stratégique. Depuis la deuxième Intifada (achevée en 2005, NDLR), ils sont très faibles. Les agences de sécurité israéliennes ont très bien infiltré la société palestinienne, où elles ont pu s’appuyer sur une forme de collaboration.
Aussi, la plupart des Israéliens ne se préoccupent pas de savoir où se situe l’ambassade américaine. Mais la décision américaine était symbolique. La gauche a tiré la sonnette d’alarme, en prévenant que quelque chose de terrible se produirait. Et il ne s’est rien passé. C’est le paradoxe de la gauche. Elle crie toujours au loup mais rien ne se passe.
La reconnaissance par Washington de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan, fin mars, aide-t-elle le premier ministre ?
T. H. : Il y a un consensus en Israël sur le fait que le plateau du Golan ne doit pas être restitué à la Syrie. Mais cela peut aider Benyamin Netanyahou car la décision américaine souligne la très grande affinité entre Donald Trump et Israël. Pour les électeurs, c’est important car les États-Unis sont le seul allié d’Israël.
Quelles sont les différences entre les principaux candidats sur la sécurité ?
T. H. : Sur la sécurité, les positions de la coalition Bleu Blanc sont à peu près semblables à celles du Likoud. Pour Benyamin Netanyahou, la Cisjordanie est une partie intégrante d’Israël pour des raisons liées à l’histoire et à la tradition juives, à la promesse divine…
Pour Bleu Blanc, Israël doit contrôler la Cisjordanie pour des raisons sécuritaires, parce qu’il est impossible de savoir ce qu’il s’y passerait si Israël s’en retirait. Mais d’un point de vue palestinien, il n’y a aucune différence entre eux. Le premier clip de Benny Gantz (qui codirige la coalition, NDLR) portait sur la défaite infligée à la bande de Gaza pendant la guerre de 2014 (alors que ce dernier était chef d’état-major, NDLR). Pour lui, c’est un titre de gloire.
Qu’en est-il de leurs différences au sujet des colonies ?
T. H. : Ce n’est pas clair. Nous ne savons pas où la coalition Bleu Blanc se situe sur le sujet. Je pense que ses membres considèrent qu’en cas de paix, ils pourraient envisager une évacuation des colonies les plus petites et les plus isolées, mais certainement pas des plus importantes.
Et pour ce qui concerne la solution dite à deux États ?
T. H. : Il n’y a aucune chance pour que le processus de paix soit lancé dans un futur proche. Mais la solution à deux États demeure l’unique scénario aujourd’hui. Rares sont ceux qui envisagent une solution à un État. Que signifierait un État binational ? Que le pouvoir politique serait divisé entre les deux Nations indépendamment de leur poids démographique ? Israël ne sera jamais prêt à partager la propriété de la terre avec les Palestiniens. Et les Palestiniens ne sont pas prêts à renoncer à leur droit à un État-nation.
Mais de toute façon, à quel problème deux États seraient-ils la solution ? Le sujet n’est pas débattu. Quand nous suggérons certains sujets aux personnes que nous interrogeons, et que nous leur demandons lequel d’entre eux devrait être la priorité de l’État, la paix est toujours la dernière des priorités, et ce que nous leur donnions le choix entre quatre, cinq, six thèmes…
Le plan de paix américain, censé être dévoilé après les élections, suscite-t-il des attentes ?
T. H. : Nous ne connaissons pas les détails mais il ne mentionne pas d’État palestinien indépendant. On évoque un processus progressif à l’issue duquel, si certaines conditions sont remplies, il pourrait y avoir un État palestinien à l’horizon de dix, vingt, trente ans… Mais les Israéliens savent que Trump n’imposera rien à Netanyahou.
Les Palestiniens ont donc refusé de rencontrer les émissaires américains. Pourtant, lorsqu’on est faible, on ne peut se permettre de faire le difficile. Les Palestiniens jouent un jeu très dangereux pour eux-mêmes.
Recueilli par Marianne Meunier, à Jérusalem
Source : la-croix.com
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