La vidéo de l’agression de Julia, dimanche 31 mars, ne peut laisser personne indifférent. Je veux vivre comme je suis, répète la femme transgenre, qui n’est pas sans nous rappeler les tendres personnages du cinéma d’Almodovar.
C’est Lyes Alouane, militant LGBTQI + et délégué Ile-de-France de Stop Homophobie, qui a partagé 2 jours plus tard ces images sur les réseaux sociaux. On y voit Julia, jeune femme transgenre, être prise comme cible par une foule de barbares, une meute qui se jette sur Elle alors qu’elle tentait de rejoindre le métro et qu’elle se retrouva piégée Place de la République au cœur-même d’un rassemblement contre le président algérien.
La jeune femme faillit être lynchée, n’eût été l’arrivée des agents de sécurité de la RATP, les hommes du GPSR.
https://youtu.be/8g-FGpuvPFM
Elle racontera qu’outre les coups et les crachats, un homme lui toucha la poitrine, un deuxième la gifla et qu’un autre lui montra son sexe.
Un de ses agresseurs a depuis été interpellé et Julie dit attendre que justice soit rendue, tout simplement. Et que les gens comprennent et s’ouvrent un petit plus. Elle ajoute que ces agressions sont quasi quotidiennes. Qu’elle est la cible de comportements déplacés : Comme beaucoup de femmes au final, qu’on soit une femme biologique ou trans…Les personnes qui l’ont agressée sont à ses yeux des personnes ignorantes. Elle veut vivre comme elle est.
Pour info, sachez qu’en 2017, SOS homophobie a recueilli 1650 témoignages d’actes LGBTphobes et que les cas spécifiquement transphobes ont augmenté de 54 %.
Lyes Alouane évoque une honte pour notre pays, une honte pour le drapeau auquel les émeutiers, ici algériens, pensaient faire honneur.
Eh oui. Cette agression nous rappelle douloureusement que pour les personnes trans, le simple droit à l’existence est aujourd’hui encore un véritable calvaire. Parfois une double peine : Les agents de sécurité de la RATP qui ont physiquement secouru Julia et la mirent à l’abri l’ont appelée Monsieur et ont cru devoir lui faire la leçon sur … la façon de se vêtir… Ainsi, l’humiliation se poursuivait, comme il arrive encore trop souvent à celles, violées ou battues par exemple, qui espéraient vainement un soutien franc des institutions répressives et judiciaires. Un zeste de tact. Le respect dû à la victime.
Pour info, souvenons-nous que la transphobie tue. En août 2018, Vanessa Campos, prostituée transgenre de 36 ans, arrivée peu avant du Pérou, était assassinée dans la nuit du 16 au 17 août, au bois de Boulogne, parce que trans et prostituée. Seulement pour ça.
L’agression collective qui s’est produite Place de la République n’a rien d’exceptionnel. Ce type de violences se produit souvent. Surtout lors de rassemblements masculins. Ainsi, le combat transphobe rejoint la lutte contre le système global d’oppression des femmes, quelles qu’elles soient : trans, lesbiennes, bi : elles multiplient la tare : elles sont femmes aussi.
Julia, elle s’est prêtée volontairement aux sollicitations médiatiques. Pour donner de la visibilité aux actes transphobes : Pour montrer à ces ignorants que je sortirai de cette expérience la tête haute, tient-elle à préciser avec une dignité qui force le respect. Elle insiste et dit qu’en rien elle ne s’affiche : Il y a une différence entre assumer ce que l’on est, et la vanité de l’ostentation. Les insultes sont quotidiennes, mais c’est la première fois que je me fais agresser. Le plus difficile ce n’est pas les coups, c’est l’humiliation, témoigne-t-elle. J’avais réussi à avoir confiance en moi et là ils ont tout détruit. C’est un choc psychologique, je me suis sentie salie.
Dans son cas, une enquête a été ouverte pour violences aggravées par la circonstance qu’elles ont été commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre.
Pour info, en 2017, 186 témoignages ont été reçus par l’association, contre 63 en 2015. Une hausse qui, pour l’association, traduit également une volonté de ne pas laisser tomber ces actes transphobes dans l’oubli, de ne pas les minimiser, mais, au contraire, de les dénoncer.
On nous dit à ce propos que le gouvernement prépare un plan d’urgence contre les violences LGBT.
Le Ministère de l’Intérieur explique que l’identité de genre et l’orientation sexuelle font partie des 23 critères de discrimination, comme le sexe, l’âge, le handicap, l’apparence physique ou encore les opinions politiques et religieuses, qui sont un délit passible de sanctions pénales. Le code pénal a d’ailleurs évolué en 2017 : Être visé en raison de son identité sexuelle – ce qui est reconnu comme une circonstance aggravante – a été remplacé par la notion d’identité de genre vraie ou supposée.
Ne crions pas pour autant victoire. D’abord, le mal est fait et lourd de conséquences. Par ailleurs, le nombre de condamnations pour des infractions commises en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre est encore faible : entre 30 et 50 condamnations par an… Au début, la police ne voulait pas retenir le caractère aggravant de la transphobie. Ce qui aggrave la difficulté pour les victimes à porter plainte : à quoi cela servira-t-il, disent-elles, confiant encore la crainte de ne pas être bien considérées, tant il n’est pas rare que leurs interlocuteurs ne respectent pas leur civilité, comme il arriva à Julia.
Pire. Joël Deumier, de SOS Homophobie, pointe du doigt un phénomène d’invisibilisation de la transphobie : elle est peu connue. Donc quand une personne porte plainte, elle n’est pas toujours prise au sérieux. Mais pour info : la possibilité de faire cette démarche en ligne va aider les victimes. Pour info encore, des formations des services de police se multiplient, pour mieux prendre en charge les victimes.
Ainsi, un jour, peut-être que ces agressions se feront plus rares. Peut-être encore que les agents, quels qu’ils soient, venus mettre la victime à l’abri, sauront être moins maladroits que ceux du métro République : Même avec eux j’ai été humiliée. Ils m’ont appelée Monsieur, puis m’ont demandé pourquoi j’étais sur la place de la République pendant cette manifestation, vu les dangers que cela pouvait comporter pour moi. Ils m’ont ensuite dit : Il ne faut pas s’habiller comme ça, Monsieur, sous-entendant que si je n’avais pas mis ce short, je n’aurais pas été agressée, rapporte Julie, qui ajoute : La société n’aime pas qu’on sorte des codes. Pour mes agresseurs, je ne suis pas une femme, je suis un homme déguisé en femme, comme s’ils y voyaient une tromperie et ça les rend violents.
Un ressenti corroboré par ce sociologue, spécialiste du genre et des transidentité[1], qui explique que la notion de genre n’est pas clarifiée, celle d’identité de genre non plus, et que pour beaucoup de personnes, le genre fait peur : C’est pourquoi certains, comme le Pape, parlent encore, à tort, de théorie du genre. Mais c’était aussi, selon lui, une preuve que les personnes trans sont encore loin d’être acceptées par la société : Quand on leur pose des questions sur leurs organes génitaux, chose qu’on ne ferait jamais avec des non-trans, on leur montre qu’elles ne font pas partie de la vie commune, de l’humanité[2].
On les appelle encore … les invisibles de la société. En effet, lorsqu’ils ne donnent pas lieu à des clichés où tous prostituent et se maquillent à outrance, ils sont sous-représentés, pour ne pas dire inexistants, dans les médias ou à la télévision, et on en parle beaucoup moins que des homosexuels dont la sensibilisation publique fut, souvenons-nous, bien longue.
Sarah Cattan
[1] Du transsexualisme aux devenirs trans. Thèse d’Arnaud Alessandrin.
[2] Le Huffington Post. 17 mai 2017.
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