Coup de tonnerre et Etats d’âme en Israël. Par Sarah Cattan

Alors qu’Israël a rejeté jeudi 28 février comme partial le rapport d’une commission de l’ONU sur sa riposte face aux manifestations et aux violences en cours depuis des mois dans la bande de Gaza, imputant au mouvement palestinien Hamas la responsabilité du bilan humain, et refuse catégoriquement l’imputation qui lui est faite de possibles crimes contre l’humanité, violations et autres mauvais traitements présumés aux manifestations à Gaza en 2018, allant jusqu’à évoquer des violations du droit international humanitaire et des droits humains, lesquels doivent immédiatement faire l’objet d’une enquête par Israël[1], tout cela ayant trait à la Marche du retour, où depuis le 30 mars 2018, des dizaines de milliers de Palestiniens de la bande de Gaza se rassemblent chaque semaine près de la frontière, revendiquant le droit des Palestiniens à retourner sur les terres dont ils auraient été chassés ou qu’ils auraient fuies à la création d’Israël en 1948, l’Etat hébreu a été bien heureux de trouver à sa tête… Benyamin Netanyahu.

Benyamin Netanyahu qui ne cesse de proclamer que cette protestation massive était orchestrée par le Hamas, mouvement islamiste qui dirigeait la bande de Gaza et auquel il avait livré trois guerres depuis 2008.

Benyamin Netanyahu qui rejette avec son ministre Israël Katz ce théâtre de l’absurde pratiqué au Conseil des droits de l’Homme et auteur de ce rapport hostile, mensonger et partial contre Israël.

Un coup de théâtre annoncé, ça existe donc

Coup de théâtre ? Pas tant que ça. Tant il était annoncé. Attendu. Promis. Planifié, irai-je dire : on apprend d’abord, de façon attendue, donc sans le moindre suspense, que le Procureur général d’Israël avait l’intention d’inculper Netanyahu pour corruption.

On apprend dans la foulée que le procureur a décidé d’inculper le premier Ministre israélien dans les 3 affaires, 1000, 2000 et 4000, et ce pour fraude, abus de confiance et corruption dans le dossier 4000, et seulement pour corruption dans le dossier 1000 et 2000, cela à moins de 40 jours des élections législatives en Israël.

Les réactions ne se sont pas fait attendre, fusant de la gauche, du centre, de la droite ou de l’extrême droite israéliennes.

Si le magistrat, Avichaï Mandelblit, a indiqué que sa décision n’était pas finale et qu’il offrait au Premier Ministre la possibilité de s’expliquer devant lui avant de prendre la décision définitive de le renvoyer devant un tribunal, cette décision, à 40 jours des législatives anticipées du 9 avril, est susceptible de changer la donne électorale.

Ainsi, aujourd’hui, est menacé le long règne de Bibi qui, à 69 ans et après bientôt 13 ans de pouvoir, brigue un cinquième mandat, et qui, s’il était reconduit à son poste et inculpé, serait le premier chef de gouvernement en exercice à connaître une telle avanie dans l’histoire du pays…

 Le Premier ministre a bien sûr dénoncé une chasse aux sorcières. Un plan de ses adversaires. Y compris de ses principaux challengers centristes assimilés à des gauchistes, qui auraient fait pression sur le Procureur général pour renverser son gouvernement de droite… Ces accusations seraient infondées et il entendait bien le prouver.

Pour Netanyahu, les choses sont très claires : le procureur a subi une pression de la gauche israélienne. L’objectif est faire tomber la droite. Je vais tout démonter . N’ayez pas peur. On ne peut permettre que les élections soient influencées.

Il a dénoncé, par ailleurs, ces émissions spéciales, ces éditions spéciales, et a rappelé tous les hommes politiques assassinés dans la presse : Ça s’est terminé par rien du tout. Il n’y a rien du tout. Je suis l’homme le plus honni de la Presse, a-t-il fini, avant de remercier le Président Trump de son soutien indéfectible, et d’assurer que ce château de cartes s’écroulerait totalement après les élections : J’ai l’intention de continuer à vous servir en tant que Premier ministre pendant encore de nombreuses années, a-t-il promis – ou menacé- au cours d’une intervention télévisée en prime time.

L’Affaire ?

Avichaï Mandelblit a l’intention d’inculper M. Netanyahu pour corruption, fraude et abus de confiance dans le dossier 4000, considéré comme le plus grave pour le Premier ministre : il y est soupçonné d’avoir tenté de s’assurer une couverture favorable de la part du site d’informations Walla, en contrepartie de facilités réglementaires gouvernementales qui pourraient avoir rapporté des centaines de millions de dollars à… Bezeq, principal groupe de télécommunications israélien…

Avichaï Mandelblit compte encore inculper le Premier Ministre pour fraude et abus de confiance dans deux autres dossiers, dits 1000 et 2000.

Après avoir enquêté depuis fin 2016, interrogé Benyamin Netanyahu à plusieurs reprises et entendu une multitude de témoins et de suspects, la police a recommandé en 2018 l’inculpation du Ministre dans ces trois dossiers touchant donc à des échanges de bons procédés entre gouvernants et patrons, des dons présumés de champagne et de cigares ou une tentative de collusion avec la presse.

Persécution politique, répond le Likoud.

Benny Gantz, tête de la liste centriste représentant la menace électorale la plus sérieuse pour le Premier Ministre, lui a succédé sur les plateaux de télévision pour le presser de… partir : Benyamin Netanyahu, je me tourne vers vous ce soir pour vous exhorter à faire preuve de sens des responsabilités nationales et à démissionner.

Notons que si cette inculpation se concrétisait, elle ne devrait pas intervenir avant plusieurs mois et que Benyamin Netanyahu ne serait donc pas inculpé avant les législatives. Il ne serait de fait plus tenu légalement de démissionner s’il était inculpé après avoir été reconduit à son poste.

Mais il va sans dire qu’aujourd’hui une telle décision du Procureur général enfonce davantage la campagne dans l’incertitude…

Benyamin Netanyahu n’est pas encore inculpé, Mais…

Mais la question est désormais posée:

Ses électeurs prendront-ils le risque qu’il soit reconduit alors que l’inculpation le guette…

Cette mise en examen aidera-t-elle, paradoxalement, à la mobilisation des partisans de ce Bibi accepté et disons-le, aimé, telle la figure paternelle et protectrice garante de la sécurité du pays.

Les prochains sondages seront scrutés dès demain attentivement.

Aujourd’hui la liste centriste de ses principaux challengers, Benny Gantz et Yaïr Lapid est donnée favorite avec 35 sièges. Cette alliance de deux partis qui ont déjà fait leur cuisine interne : Gantz aux commandes les deux premières années avant de céder le job à Lapid…

Ce soir la plupart des partis de droite ont dit maintenir leur soutien à Benyamin Netanyahu. Un Benyamin Netanyahu qui a mis le cap un peu plus à droite avant même l’annonce de l’accord passé entre Benny Gantz, ancien chef d’état-major à la tête du nouveau parti Résilience, et Yaïr Lapid, numéro un du parti centriste Yesh Atid, et que mercredi, il a signé un accord poussant plusieurs formations tout à la droite du spectre politique à s’unir en vue des législatives, au risque d’être accusé d’avoir fait entrer une formation d’extrême droite raciste à la Knesset, son objectif étant de ne pas laisser des voix de droite s’éparpiller sur de petites listes qui, au bout du compte, ne recueilleraient pas assez de votes pour être représentées au Parlement.

Lapid et Gantz, plagiant Verlaine, ont aussitôt accusé Benyamin Netanyahu d’être responsable du vent mauvais qui souffle dans nos rues : Au lieu des provocations, nous proposons une réconciliation nationale, lancèrent-ils, face à un Premier ministre qui souhaitait faire entrer au Parlement le racisme et la violence.

A quoi Netanyahu rétorqua que ses rivaux voulaient, eux, constituer un bloc avec des députés arabes qui ne reconnaissaient pas Israël, et qui, au contraire, voulaient le détruire : Un gouvernement Lapid-Gantz va créer très vite avec les députés arabes un Etat palestinien qui s’étendra jusqu’à la banlieue de Tel-Aviv. Le choix est clair (pour les électeurs) : soit un gouvernement de gauche Lapid-Gantz soutenu par un bloc de partis arabes, soit un gouvernement de droite dirigé par Netanyahou.

Un sondage de la chaîne de télévision privée 13 vient de créditer l’alliance Gantz-Lapid de 36 sièges sur 120, et d’attribuer au Likoud 26 députés contre 30 dans le Parlement sortant.

Le bloc de l’opposition de gauche, du centre avec les députés des formations arabes, ferait jeu égal avec le Likoud et ses alliés d’extrême droite et ultra-orthodoxes, selon ce même sondage.

 Netanyahu bénéficiera-t-il de la présomption politique d’innocence. Est-il coupable de corruption et d’abus de confiance dans les enquêtes menées contre lui. L’annonce officielle aura, quoi qu’il en soit, des répercussions évidentes sur les élections et la question de savoir si cela les biaise injustement est une toute autre affaire. Le fait de taire des allégations suffisamment fondées pour justifier une mise en accusation aurait constitué une atteinte inacceptable dans une démocratie exemplaire.

Selon un tout dernier sondage[2], le Likoud de Netanyahu perdrait quatre sièges prévus à la Knesset aux élections d’avril si le procureur général Avichaï Mandelblit annonçait son intention de porter plainte contre lui.

Menée cette semaine par la société de sondage Number 10 Strategies, l’enquête montre que le Likoud passerait de 29 sièges si aucune accusation de corruption n’était portée contre Netanyahu, à 25 sièges si des accusations étaient portées, en attendant une audience.

Plus d’un quart (28 %) de ceux qui envisagent de voter pour le Likoud ont déclaré qu’ils n’avaient pas l’intention de voter pour le parti si le procureur général annonçait son intention d’inculper le Premier ministre.

Le parti Kakhol lavan de l’alliance Benny Gantz-Yair Lapid, en revanche, passerait de 36 à 44 sièges, si Mandelblit annonçait son intention d’inculper le Ministre.

En cas d’annonces de mise en accusation, le Parti travailliste arriverait en troisième position avec huit sièges, soit une légère baisse par rapport à la hausse enregistrée dans les sondages après ses primaires au début du mois.

Si 56 % des électeurs du Likoud se déclarent satisfaits de Netanyahu, 44 % déclarent qu’ils soutiendraient son éviction s’il y avait une alternative.

Ce sondage[3] a été réalisé par le biais de panels en ligne entre le 24 et le 27 février 2019 auprès d’un échantillon représentatif de 708 électeurs probables aux prochaines élections à la Knesset.

Enfin, un sondage publié hier soir donnait que 40% des interrogés s’opposeraient au Gouvernement d’Union nationale formé par le duo Gantz-Lapid…

Sarah Cattan

[1] Déclaration de Santiago Canton, président de la Commission.

[2] Mené en exclusivité pour le Times of Israël.

[3] L’enquête a été formulée par le Times of Israël et Simon Davies, un partenaire du cabinet de conseil politique Number 10 Strategies.

 

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5 Comments

  1. « En 1940, j’ai mis un terme à la déroute »: quel brillant cerveau militaire avait su combattre la déroute en annonçant: »c’est la mort dans l’âme que je vous dis qu’il faut cesser le combat », cela quand les combats se poursuivaient et que ce défaitisme avait toute l’apparence d’une trahison; trahison confirmée par un armistice, préféré à la capitulation , et qui installait par nature et par le texte de la convention d’armistice l’obligation de la collaboration avec les nazis. Il s’agit bien du Maréchal de France, chef du gouvernement, chef de l’Etat, suivant la formule officielle. Le vent mauvais de Verlaine fut repris par Pétain dans son discours du 12 août 1941, qui attaquait tout le monde, y compris les « serviteurs des trusts »! Ce même poème contenait les deux lignes utilisées pour annoncer, à la Résistance, le débarquement. L’écolier devenu président social démocrate devait s’en souvenir quand il parla des « vents mauvais »; le vent mauvais s’était multiplié, comme les moutonsss de Topaze, probablement parce que les Français étaient plus nombreux.

    Pour la France, cette élection est importante car elle montre qu’une démocratie parlementaire réussit avec une proportionnelle intégrale comme Israël ou un scrutin uninominal à un tour, pour le Royaume Uni. La démocratie Israëlienne l’emportera une nouvelle fois et TJ s’honore de ne pas prendre parti, tandis que des énergumènes français de tous poils préfèrent donner des leçons à tout le monde, dans tous les pays mais principalement Israël, en oubliant que notre pays a besoin d’affermir son régime parlementaire, avant toute révolution ou contre-révolution.

  2. Rélativisons.

    Israël est coutumier du fait d’inculper, juger et même emprisonner ses personnages politiques de premier ordre pour des crimes de droit commun perpétrés pendant leurs mandats.
    Les derniers en date furent Ehud Olmert, ancien Premier Ministre, emprisonné pour corruption et Moshé Katsav, ancien Président de l’Etat, emprisonné pour….viol !!!

    Bibi en prison est donc d’une probabilité élevée ; connaissant le sérieux et la durée de l’enquête.

    Par ailleurs, le télescopage chronologique entre la campagne électorale et l’inculpation de Bibi est du fait du dernier, et non des instances judiciaires.
    Il s’agit d’une élection anticipée et c’est lui qui l’avait voulu.

  3. Oui en effet. Je faisais remarquer combien la presse française fut prompte, cette fois, à relayer « l’info »!
    Et combien elle eut du mal à cacher… un satisfaction … certaine.
    Un article neutre?
    Concernant Israël?
    Et puis quoi encore.

  4. « Info » relayée immédiatement et partout en Europe. Comme si c’était déjà prouvé et advenu. Pas surprenante non plus la satisfaction… presque générale. Si, par hasard, il n’y a pas de prison ferme, ce sera bientôt un scandale?

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