La Lettre du rabbin Daniel Farhi. De mon temps…(4)

Shabbath Shalom שבת שלום !

De mon temps…(4)

Puisque l’antisémitisme en France va miraculeusement disparaître dans les mois qui viennent grâce au rassemblement des partis politiques du mardi 19 février lors de la kermesse organisée place de la République à Paris, et suite au discours lénifiant du Président Macron lors du dîner du CRIF du 20 février, je peux retourner à mes souvenirs l’esprit tranquille !

La synagogue Berith Shalom

Cette semaine, c’est à une parenthèse juive que je vous convie, me réservant la possibilité de revenir ultérieurement à d’autres souvenirs qui parleront davantage à tous mes amis non-juifs comme en attestent les nombreux témoignages que j’ai reçus depuis un mois. – Je veux vous parler des deux synagogues qui ont bercé mon enfance puis, pour la seconde, ma jeunesse et ma vie de jeune adulte. Il s’agit de celles de la rue Saint-Lazare (Berith Shalom) et de la rue Copernic (Union Libérale Israélite), sises dans deux quartiers bien différents de Paris : le 9ème et le 16ème arrondissements. Dans mon enfance, la synagogue de la rue Saint-Lazare était celle des Juifs originaires de Turquie, de Grèce, de Bulgarie, etc. c’est-à-dire des Judéo-espagnols. Mon père en faisait partie, étant originaire de Turquie. De surcroît, elle était à deux pas de chez ma grand-mère qui habitait, ainsi que la sœur de mon père, au 51 rue La Fayette. C’était essentiellement pour les grandes fêtes de Rosh-Hashana et de Yom Kippour, mais aussi pour des mariages, que nous nous y rendions. Deux hommes y officiaient, tout de blanc vêtus : le rabbin Maurice Cassorla et le hazane Joseph Papo. Les souvenirs que j’en garde sont très divers. Tout d’abord, il y avait cet interminable couloir pour passer de la rue à la synagogue. J’ai compris plus tard qu’en fait il passait sous un immeuble qui n’appartenait pas à la communauté. Au bout de ce couloir, et juste avant d’entrer dans la synagogue, se trouvaient de part et d’autre deux énormes bassines en cuivre qui ressemblaient à des marmites et sur lesquelles flottaient des centaines de petites veilleuses accrochées à une pastille de liège. J’imagine qu’elles avaient été allumées avant la sainte journée du Kippour à la mémoire des êtres chers disparus. A l’intérieur, l’atmosphère était bruyante et un peu étouffante. La lecture de la Torah s’accompagnait d’annonces chantées par la voix tonitruante de Joseph Papo appelant sur la personne qui venait de monter à l’honneur de lire la Torah et sur sa famille toutes les bénédictions du ciel et de la terre, et surtout, surtout, annonçant le don qu’elle faisait qu’attendait avec curiosité le public ! Je me rappelle des sommes extraordinaires pour mon entendement de petit garçon issu d’un milieu modeste, et parfois des dons en nature, par exemple une ambulance pour Israël. Inutile de dire combien le généreux donateur était entouré et embrassé à sa descente du pinacle. Je me rappelle également le shamash qui passait d’heure en heure l’après-midi parmi les fidèles pour vaporiser un produit à base de menthe qui apportait un peu de fraîcheur et de réconfort aux organismes torturés par la faim, la soif et la chaleur. Je crois que même les femmes à l’étage avaient droit à cette aspersion bénie !

La synagogue de l’ULI de mon enfance.

Mais mes souvenirs de synagogue sont surtout liés à la rue Copernic où nos parents avaient décidé que nous suivrions les cours de Talmud-Torah. J’ai dû commencer de fréquenter l’Union Libérale Israélite (ULI devenue plus tard ULIF) dès 1950. J’y ai célébré ma bar-mitsva en décembre 1954. Par la suite, j’ai continué de fréquenter les cours post-bar-mitsva, et dans le droit fil de cette démarche, j’ai suivi activement les activités de jeunes, pour enfin, plus tard, rejoindre la JLI (Jeunesse Libérale Israélite). Parallèlement j’achevais mes études secondaires au lycée Jean-Baptiste Say et je m’engageai dans les études rabbiniques jusqu’en 1966, date de ma semikha. J’eus l’occasion, très jeune, d’enseigner aux enfants : cours de Talmud-Torah et cours particuliers. J’accompagnai également pendant deux ans M. Emile Kaçmann, le hazane tant apprécié de Copernic, le dimanche matin à l’école des Roches pour y assurer l’aumônerie à l’intention des élèves juifs. – De cela et de bien d’autres choses, j’ai déjà parlé et écrit. Ici et maintenant, c’est de l’atmosphère de Copernic dans ces années 1950-1966 que je voudrais vous parler. L’immeuble ne comportait alors que deux étages. Tout le rez-de-chaussée était occupé par la synagogue, son balcon et sa mezzanine. Le premier et le deuxième étages comportaient les bureaux et les salles de classe. J’aimais particulièrement les offices du shabbath (vendredi soir, samedi matin et samedi soir) auxquels je participais assidument. Pour les deux premiers, leur début était marqué par l’entrée solennelle du rabbin André Zaoui suivi par M. Emile Kaçmann, le tout sur un premier chant des choristes, généralement le Ma tovou. Tous deux étaient revêtus de la robe noire, du taleth et d’un calot noir pour le rabbin, d’une toque de magistrat pour le hazane. Les offices se déroulaient essentiellement en français, les parties hébraïques étant entonnées par les choristes. Sur le plan tenue, et sur le plan musical, ces prières étaient magnifiques et provoquaient mon enthousiasme. J’y prenais ma part en chantant de tout mon cœur avec l’assemblée. Le sermon du rabbin était un grand moment d’élévation et d’inspiration qui se terminait par la bénédiction sacerdotale qu’il nous transmettait les bras étendus tenant son taleth comme pour nous protéger. C’est un geste que j’ai par la suite conservé au cours de ma carrière. Au point que, bien des années plus tard, en 1980, lorsque l’architecte du Mjlf (Ionel Schein ז »ל) conçut l’arche sainte, il lui donna une forme concave pour, nous expliqua-t-il, reproduire mon geste enveloppant et protecteur envers la communauté. – Les offices du samedi soir marquant la fin du shabbath étaient célébrés par les jeunes. Ils étaient moins solennels mais beaucoup plus recueillis. Je ne sais pas pourquoi, mais j’en garde un souvenir d’une délicieuse mélancolie. Peut-être était-ce dû à l’absence des adultes et au fait que nous étions peu nombreux. La mélodie de la havdala était comme un chant d’adieu au shabbath. Je revois la boîte à épices passant de rangée en rangée pour que nous puissions humer ce mélange intemporel entre le shabbath et ses délices dont nous nous détachions, et la semaine et ses promesses qui s’ouvraient à nous. C’était un moment de bonheur recueilli et sans débordement qui m’envahissait tendrement. J’aurais voulu (et je voudrais encore aujourd’hui) que cet instant s’éternise et que ce judaïsme-là ne me quitte jamais. – Je suis à jamais reconnaissant envers la synagogue de Copernic et ses dirigeants spirituels qui m’ont introduit à ce judaïsme du sens et des sens. Je suis également reconnaissant envers nos parents qui, issus d’un judaïsme traditionnel, ont eu la clairvoyance de diriger mes sœurs, mon frère et moi vers une forme de religion, à eux inconnue mais dont ils ont pressenti que c’était par elle qu’ils transmettraient le plus sûrement à leurs enfants nés avant, pendant et après la guerre.

(A suivre).

Shabbath shalom à tous et à chacun,

Daniel Farhi.

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