7 février 1929. Naissance de Chaïm Potok, l’écrivain qui ouvrit une fenêtre sur le monde fermé du hassidisme.
Chaïm Potok se fit connaître sur la scène internationale en 1967 avec son premier roman, « The Chosen » (L’élu). Contrairement à l’oeuvre de Philip Roth ou Saul Bellow, qui traitait surtout des névroses des juifs laïques assimilés, «The Chosen» fut le premier roman américain à rendre visible le monde fervent et fermé du hassidisme au grand public.
Situé dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn juste après la Seconde Guerre mondiale, « The Chosen » raconte l’histoire d’un jeune homme brillant qui s’efforce de concilier son obligation de devenir un rabbin et son désir d’une vie plus laïque.
Le roman figura pendant plus de six mois sur la liste des best-sellers du New York Times et fut finaliste du « National Book Award » (l’équivalent du Goncourt aux USA).
En 1981, « The Chosen » fut porté à l’écran avec Rod Steiger en vedette.
En 1988, il fut brièvement joué en comédie musicale à Broadway. Le roman a été tiré à ce jour à plus d’un million d’exemplaires.
Homme barbu à la mine d’un érudit, Potok écrit dans une prose simple que certains critiques ont trouvée simpliste et d’autres assimilée à celle d’un Hemingway urbain. Dans ses livres, il entraîne des lecteurs – juifs et non-juifs – dans un monde que peu de gens connaissent. Là où des hommes barbus et vêtus de noir maintiennent en vie une variante extatique du judaïsme, née en Europe de l’Est au XVIIIe siècle, centrée à la fois sur un chef spirituel charismatique, souvent appelé « tzadik » en relation directe avec Dieu.
Avec des détails presque picturaux, M. Potok évoque un univers d’hommes en caftans sombres et chapeaux garnis de fourrure. Les dîners du sabbat sont inondés de lumières de bougies. Les sons du yiddish résonnent dans les rues et ceux de l’hébreu traditionnel dans les synagogues. Les hommes s’abandonnent à une sauvage danse de mariage. Les commentaires talmudiques sont livrés avec une précision extrême dans une shul de quartier pleine à craquer.
Les héros de Potok, principalement des adolescents au seuil de l’âge adulte, se sentent à la fois soutenus et de plus en plus étouffés par leurs communautés traditionnelles. Bien qu’ils n’envisagent jamais d’abandonner le judaïsme, ils se demandent s’ils oseront chercher leur chemin dans le vaste monde, sachant pertinemment que s’ils le font, ils seront qualifiés d’apostats.
C’est un conflit auquel Potok est revenu de manière presque compulsive tout au long de sa carrière. Dans »The Chosen », cela se joue dans l’amitié entre deux garçons, Reuven Malter et Danny Saunders. Reuven, 15 ans, vit avec son père veuf, un doux érudit avec une approche rationaliste de l’étude des textes sacrés. Les Malters sont des Juifs pratiquants – ce qu’on appellerait aujourd’hui les Orthodoxes modernes – mais leur monde est très éloigné de celui de l’ami de Reuven, Danny.
Le père de Danny, qu’il adore et craint à la fois, est un tsadik, un rabbin dynastique vénéré par la communauté hassidique qu’il dirige. En tant que fils aîné, Danny est tenu de lui succéder. Mais Danny, qui lit en secret des livres profanes interdits, y compris Freud, aspire à devenir psychologue, terriblement conscient de la catastrophe que cela représenterait pour son père.
De même, dans «My Name Is Asher Lev» (Mon nom est Asher Lev), (1972), le personnage principal, artiste brillant, blesse profondément sa famille par ses peintures de nus et de scènes de crucifixion.
»In the Beginning » (Au commencement, 1975) traite du désir du héros de pratiquer l’érudition biblique moderne, un choix scandaleux dans une communauté où l’Écriture est considérée comme la parole révélée de Dieu et non comme un texte littéraire ouvert à de multiples interprétations critiques .
Les conflits de ces jeunes gens avaient été ceux de Potok lui-même.
Herman Harold Potok est né dans le Bronx le 17 février 1929. Tout au long de sa vie, il se fera appeler habituellement par son prénom hébreu, Chaim. Ses parents, Benjamin Max et Mollie Friedman Potok, étaient des Juifs hassidiques traditionnels, des immigrants venus d’Europe de l’Est.
Pour le jeune Chaim, la vie quotidienne était centrée, comme pour les garçons juifs du Vieux Monde, sur la yeshiva locale, ou le heder, où, à part les matières séculières obligatoires prescrites par l’État, l’accent était mis principalement sur l’étude des textes sacrés juifs. Le monde séculier ne s’introduisait que de temps en temps, généralement en la personne du Lone Ranger, un feuilleton radiophonique.
« Il s’agissait essentiellement d’une atmosphère fondamentaliste, par définition à la fois joyeuse et oppressante », déclara M. Potok dans une interview non publiée de 1992. »Joyeuse au sens que vous savez appartenir à une communauté soudée qui prendra soin de vous, aux célébrations de laquelle vous pourrez participer pleinement, et qui vous aidera à faire votre deuil aux temps de tragédie personnelle. Et répressive, car elle définit des limites, et si vous sortez des limites, toute la communauté vous le fait savoir. »
Jeune garçon, Chaim montra des dons pour le dessin et la peinture et rêvait de devenir artiste. Cela ne rencontra pas la faveur à la maison. Dans la tradition orthodoxe, les arts sont considérés avec dédain comme des « narishkeit – yiddish pour « bétises » – comme tout passe-temps nuisible à l’étude de la Torah et du Talmud. De plus, les arts visuels constituent une violation du tabou du Deuxième Commandement contre la fabrication d’images taillées.
Il se tourna donc plutôt vers la littérature. À l’adolescence, Chaim, à l’instar de Danny Saunders, dévorait des livres profanes en secret à la bibliothèque publique. Le premier titre qu’il prit sur l’étagère, presque au hasard, fut « Brideshead Revisited » (Retour à Brideshead) d’Evelyn Waugh, rapidement suivi de « Portrait de l’artiste en jeune homme » de James Joyce. Ces deux romans d’auteurs catholiques se rappelait Potok plus tard, allaient tracer la voie de son avenir.
Alors que ses parents toléraient son intérêt pour la littérature – le mot écrit, après tout, était le fondement du judaïsme – cela ne pouvait, lui expliquèrent-ils clairement, constituer une vocation. »Tu veux écrire des histoires? » lui dit sa mère. »C’est très bien. Tu deviens chirurgien du cerveau et à tes moments perdus, tu écriras des histoires. »
Pendant ses études à la Yeshiva University, Potok commença à décortiquer Hemingway pendant son trajet de 20 minutes en bus pour se rendre au campus et en revenir. Il était déterminé à apprendre le métier de romancier par le biais d’une dissection quasi talmudique du texte du maître. Il commença également à écrire ses propres nouvelles et, en entrant en dernière année d’université – il obtint son diplôme avec mention en 1950 – il savait qu’une rupture avec sa famille était imminente.
« Personne ne peut travailler comme romancier et rester au sein d’une secte fondamentaliste », déclara Potok au Philadelphia Inquirer en 1973.
Il entra au Jewish Theological Seminary, une institution juive « conservative » située près de l’université de Columbia. « Je pensais qu’au JTS, je trouverai une lecture non fondamentaliste de la tradition juive », déclara Potok en 1992. « Je pensais que je me la devais à moi-même comme écrivain ».
Mais pour sa famille et ses amis, son choix constituait une défection presque aussi grave que de devenir un goy. « Après avoir quitté le système scolaire traditionnel », déclara Potok lors d’une interview en 1981, « je dut reconstruire mon monde à partir de zéro. Et jusqu’à ce jour, il y a des gens de mon ancien monde qui ne veulent pas m’adresser la parole. »
Potok obtint son diplôme de maîtrise en littérature hébraïque au JTS en 1954. Cela allait de pair avec l’ordination comme rabbin « conservative », mais il ne prit cette option en considération que « pendant environ cinq minutes » selon ses termes.
Il servit comme aumônier de l’armée des États-Unis en Corée de 1955 à 1957, une expérience qui nourrit ses romans »The Book of Lights » (1981), l’histoire d’un aumônier juif de plus en plus attiré par la tradition cabaliste mystique, et « I am the Clay » (1992), un de ses rares romans non centrés sur le monde juif, qui raconte l’histoire d’une famille de paysans coréens.
Après son service militaire, Potok obtint un doctorat en philosophie de l’Université de Pennsylvanie en 1965. Il enseigna à l’Université du Judaïsme de Los Angeles de 1957 à 1959 et de 1965 à 1974, fut rédacteur en chef de la Jewish Publication Society. Au fur et à mesure que sa réputation littéraire grandissait, Potok devintt capable de se consacrer à l’écriture à plein temps. Il revint également à la peinture.
Passant en revue sa carrière en 1992, Potok rappela que personne ne fut plus surpris que lui par le succès retentissant de « The Chosen ». « Je pensais qu’il pourrait se trouver 500 personnes intéressées par la lecture de cette histoire de deux enfants juifs ».
Mais comme il en vint à se rendre compte, il avait plongé dans quelque chose de beaucoup plus universel. Bien que certains critiques lui reprochèrent de revenir à plusieurs reprises sur la lutte entre foi et sécularité, c’est son exploration répétée de cette tension qui lui permit d’explorer une série de questions supplémentaires: obligation familiale, rôle de la religion dans la société contemporaine, sens de la souffrance humaine.
« Tandis que cette tension est épuisante », déclara-t-il un jour, « c’est mon carburant. Sans cela, je n’aurais rien à dire. »
Chaïm Potok s’est éteint le 23 juillet 2002 dans sa maison de Menon, en Pennsylvanie, des suites d’un cancer.
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