C’est un de ses plus grands écrivains et un fervent promoteur de la réconciliation israélo-arabe qu’Israël perd aujourd’hui. Le monde entier titre sur sa disparition. Même des media inconnus de moi parlent de Lui. Amos OZ est mort. Et Reuven Rivlin déclara sobrement : C’était une histoire d’amour et de lumière. Maintenant, voilà une grande obscurité.
Amos Oz est mort. Si tous les israéliens n’ont pas lu Une histoire d’amour et de ténèbres et si la moitié du pays désapprouvait ses prises de position politique, je sais qu’Israël est triste ce soir : le cofondateur du mouvement Shalom Arshav – La Paix maintenant[1] faisait partie de ces êtres qui avaient la grâce. Auxquels on s’attachait. Qu’on allait pleurer longtemps lorsqu’ils se mettraient en tête de se barrer.
Même si à l’international ce porte-parole de la gauche sioniste israélienne est peut-être plus connu de certains pour ses prises de position politique que pour ses écrits, sachez que des grands écrivains comme Amos Oz, dits de la génération de l’Etat[2], Israël n’en a pas pléthore : Lui nous laisse une œuvre littéraire remarquable, traduite dans plus de 33 langues et maintes fois primée, riche de romans, nouvelles mais encore d’essais et d’articles de presse retentissants. Le tout formant une somme qui interroge et confronte à l’épreuve de la réalité le rêve sioniste de nos aînés.
Amos Klausner, né en 1939 à Jérusalem, est le fils unique de parents intellectuels émigrés en Palestine pour fuir l’antisémitisme grandissant en Europe de l’est. Lui-même jouera à décrire, en interview ou dans ses romans, l’enfant qu’il fut, élevé exclusivement en hébreu par un père qui pourtant parlait onze langues, comme un petit chauvin déguisé en pacifiste. Un nationaliste hypocrite et doucereux. Un fanatique : C’est que ses parents l’éduquèrent à la lumière du sionisme nationaliste de Jabotinsky.
L’écrivain de la Paix
Celui qui s’imposera comme l’écrivain israélien le plus important de sa génération, à l’image d’un David Grossman ou d’un Avraham Boolie Yehoshua, était appelé le Camus israélien. Sa participation au sein de Tsahal lors de la guerre des six-jours et celle de Kippour seront des expériences qui forgeront sa conviction et l’amèneront à cet engagement clair au sein de la gauche pacifiste en faveur d’un compromis territorial avec les Palestiniens et nul n’ignore dans l’Etat hébreu l’action de l’écrivain contre la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés : La paix n’est pas seulement possible, elle est inévitable, parce que nous n’avons nulle part ailleurs où aller et les Palestiniens non plus, proclamait en septembre 2016, lors de l’éloge funèbre de son ami Shimon Peres, prix Nobel de la paix, l’écrivain militant qui avait rejoint le Meretz, plus à gauche que le Parti travailliste, et dont la priorité était la paix avec les Palestiniens. Le Camus israélien ? Mais aussi Judas, figure du traitre de son ouvrage éponyme : celui qui avait, dans un premier temps, affirmé le droit d’Israël à se défendre dans le conflit israélo-libanais de 2006 avant d’appeler rapidement à un cessez-le-feu dans un article cosigné avec les écrivains israéliens David Grossman et Avraham Yehoshua dans le journal Haaretz, puis trouva l’offensive israélienne à Gaza justifiée, mais excessive, n’en laissa pas un indifférent. Camus israélien ou Judas, autant adulé que détesté… Au gré de ses prises de positions. Il continuait à espérer que ses livres ouvrent de nouvelles fenêtres dans le cœur des gens.
Un Ecrivain. Un grand.
Si la mort tragique de sa mère fut l’un des principaux sujets d’Une histoire d’amour et de ténèbres, publié en France en 2004, salué dans le monde comme un événement majeur de la littérature contemporaine, puis porté à l’écran en 2015, ses romans et nouvelles mettent en scène des personnages obsédés par la paix, l’amour, les idéaux impossibles ou trahis, les espoirs enfouis. Renaissants.
Ailleurs peut-être, qui dépeint la vie des membres d’un kibboutz imaginaire sur une année dans les années soixante fut adapté en feuilleton radiophonique[3]de 10 épisodes, alors que son roman Vie et mort en quatre rimes restera une référence sur les arcanes de la création littéraire.
A noter encore dans son œuvre ce Juifs par les mots[4], co-écrit avec sa fille : La généalogie nationale et culturelle des Juifs a de tout temps reposé sur la transmission intergénérationnelle d’un contenu verbal. […] Dans ce qu’elle a de meilleur, la révérence juive s’accompagne d’une irrévérence mordante. Dans ce qu’elle a de meilleur, la suffisance juive se teinte d’un examen de soi tantôt cinglant, tantôt cocasse.
La littérature mondiale que j’aime est «religieuse» au sens large du terme. Elle pose plus de question qu’elle ne donne de réponse, répondit-il dans Le Monde des Livres du 16 septembre 2016, rappelant dans Le Soir[5] qu’Israël était né d’un rêve et d’un livre, lesquels étaient[6] un besoin humain, au même titre que le rêve. La façon de se raconter des histoires, à soi-même ou aux autres, est ce qui nous distingue des animaux.
Enfin, le dernier ouvrage de celui qui dénonça ces dernières années la politique du Premier ministre, protestant contre l’extrémisme croissant du gouvernement ? Chers fanatiques: trois réflexions[7] un essai qui s’adresse aux totalitaires et aux extrémistes de tout poil. Ne disait-il pas que son enfance passée à Jérusalem avait sans doute fait de lui un expert en fanatisme comparé… Il y renvoie dos à dos les extrémistes de tous bords et analyse les ressorts de toute radicalisation, sans omettre une adresse au lecteur pour qu’il s’interroge à son tour sur son propre potentiel d’intolérance.
Quitter Amos Oz. Mais en le citant encore.
Mon cher ami, je ne crois pas en l’amour universel. L’amour est limité par nature. On peut aimer cinq personnes, peut-être dix, très rarement quinze. Mais ne venez pas me dire que vous aimez le tiers-monde tout entier, ou l’Amérique latine, ou le beau sexe. Ce n’est pas de l’amour, c’est de la rhétorique. Des paroles en l’air. Des slogans. Nous ne sommes pas nés pour aimer plus qu’un petit nombre d’êtres humains. L’amour est une affaire intime, étrange et pleine de contradictions. On peut aimer quelqu’un parce qu’on s’aime soi-même, par égoïsme, convoitise, par désir ou par besoin de dominer l’objet de cet amour, le soumettre ou, à l’inverse, se livrer à lui.
Le judaïsme, le christianisme – et n’oublions pas l’islam – dégoulinent de bons sentiments, de charité et de compassion, tant qu’on ne parle pas de menottes, de barreaux, de pouvoir, de chambres de torture ou d’échafauds. Ces religions, en particulier celles nées au cours des siècles derniers et qui continuent à séduire les croyants, étaient censées nous apporter le salut, mais elles se sont empressées de verser notre sang. Personnellement, je ne crois pas en la rédemption du monde. En aucune façon. Non parce que je considère qu’il est parfait. En aucun cas. Il est retors, sinistre et rempli de souffrances, mais qui veut le sauver versera des torrents de sang. […] Le jour où les religions et les révolutions disparaîtront – toutes sans exception – il y aura moins de guerres sur la planète, croyez-moi. L’homme est par nature constitué comme un bois tordu, a dit Emmanuel Kant. Inutile de le redresser au risque de se noyer dans le sang.
Et pourquoi nous aimeraient-ils ? Coupa Samuel. Qu’est-ce qui vous fait penser que les Arabes n’ont pas le droit de lutter de toutes leurs forces contre des étrangers qui ont débarqué ici comme s’ils venaient d’une autre planète pour leur confisquer leur pays, leurs terres, leurs champs, leurs villes, les tombes de leurs aïeux et l’héritage de leurs enfants ? Nous voulons nous persuader que nous sommes venus ici pour « construire ce pays et être construits par lui «,« renouveler nos jours comme autrefois », « reprendre possession de l’héritage de nos ancêtres », etc. Mais dites-moi, vous, s’il existe un seul peuple au monde qui accepterait à bras ouverts l’invasion brutale ce centaines de milliers d’étrangers, puis d’autres millions encore débarquant de lointains pays sous le curieux prétexte que les livres sacrés qu’ils ont transportés avec eux leur promettaient e pays tout entier pour eux seuls ?
En somme, les Juifs forment ici [en Israël – 1948], un immense camp de réfugiés. Pareil pour les Arabes. Ils revivent jour après jour le drame de leur défaite, et les Juifs vivent nuit après nuit dans la peur qu’ils se vengent. Les deux peuples sont rongés par la haine et le fiel, ils sont sortis de la guerre avec une soif de vengeance et de justice. Des torrents de vengeance et de justice.
Les jérémiades, c’était bon pour les filles, pensait-on en ce temps-là [1959]. Une mauviette inspirait le mépris, voire la répulsion, un peu comme une femme à barbe. Schmuel souffrait de sa faiblesse, qu’il s’efforçait de surmonter. En vain. Au fond de lui-même, il était conscient du ridicule de cette hypersensibilité. Il en était venu à se résigner à sa virilité défaillante et, par conséquent, à une existence aussi vide que stérile.
Toute la puissance du monde ne suffirait pas à transformer la haine en amour. On peut changer un adversaire en esclave, mais pas en ami. Tout le pouvoir du monde serait impuissant à faire d’un fanatique un modéré. Tels sont les problèmes existentiels de l’État d’Israël : convertir un ennemi en amant, un fanatique en tolérant, un vengeur en allié.
L’essentiel de son œuvre est disponible en français, traduite par Sylvie Cohen, aux éditions Gallimard : Amos Oz n’est pas mort.
Sarah Cattan
[1] 1978. La Paix maintenant. Mouvement opposé à la colonisation dans les Territoires palestiniens et prônant la réconciliation israélo-arabe.
[2] Avraham Boolie Yehoshua fait partie de cette génération d’écrivains née au moment de la création de l’Etat d’Israël.
[3] Diffusé sur France Culture du 20 juin au 1er juillet 2016. Podcast disponible.
[4] Gallimard.
[5] Lesoir.be 9 septembre 2016. Interview de Kerenn Elkaïm.
[6] Livres Hebdo. 2016.
[7] Gallimard. Octobre 2018.
Personnellement, j’ai d’abord connu Amos oz comme le grand homme de lettres qu’il était , notamment au travers de sa merveilleuse autobiographie « une histoire d’amour et de ténèbres ». J’y ai lu un petit garçon intelligent et livré à lui-même entre un père perçu comme faible et égoïste et une mère belle,seule et triste plongée dans un monde de forêts de l’Europe quittée peuplées d’êtres étranges qu’elle partagera avec lui dans sa souffrance solitaire . J’y ai aussi lu un petit garçon grandissant avec une indisposition croissante pour la vulnérabilité et l’impuissance. Un écrivain qui prit donc par la suite le patronyme OZ la force.
Alors j’ai tenté de comprendre l’articulation entre cette construction et cet univers interne et les prises de position politiques que beaucoup lui connaissent. Je me suis sincèrement interrogé sur ce qui motivait réellement sa condamnation globale de tous les fanatismes (qui dirait le contraire excepté les fanatiques eux-mêmes)et son rejet des religions :
« Le judaïsme, le christianisme – et n’oublions pas l’islam – dégoulinent de bons sentiments, de charité et de compassion, tant qu’on ne parle pas de menottes, de barreaux, de pouvoir, de chambres de torture ou d’échafauds. Ces religions, en particulier celles nées au cours des siècles derniers et qui continuent à séduire les croyants, étaient censées nous apporter le salut, mais elles se sont empressées de verser notre sang .(…). L’homme est par nature constitué comme un bois tordu, a dit Emmanuel Kant. Inutile de le redresser au risque de se noyer dans le sang. »
Car pour ne parler que de ce que je connais, nous voyons rarement des « fanatiques juifs » semer chaos et destruction pour châtier les infidèles de ce qu’ils sont.
Par ailleurs, critiquer la religion pour la désolation qu’elle entraîne indirectement ce serait à mon sens et certes trivialement comme critiquer le vin en ce qu’il provoque alcoolisme, cirrhose et mort sans parler de tous ces moments de joie et convivialité qu’il peut procurer.
Kant, cité ici, et sa philosophie de la morale n’a t-il pas été déterminé par une éducation marquée de rigorisme protestant?
Puis enfin sur cette dernière citation
« Tels sont les problèmes existentiels de l’État d’Israël : convertir un ennemi en amant, un fanatique en tolérant, un vengeur en allié. »: cette assertion laisserait plutôt penser que ce sont les fanatiques « d’en face » le problème pour n’évoquer que le cas de cet interminable conflit.
Les nôtres se contentent de se faire du mal à eux mêmes ou à leur proches mais pas aux « autres », « étrangers », « infidèles » parce que le judaisme n’est fondamentalement pas prosélyte mais peut être parfois instrumentalisé par des cyniques à des fins politiques mais ça c’est un autre sujet.
Un tel discours finalement consensuel ne constituerait-il pas une légère entorse à la lucidité aiguë restituée par ses écrits et surtout à l’exigence de force qui semblait occuper une place si importante, comme une concession d’un homme résigné par un rapport de force éternellement défavorable quoi qu’on dise alors que c’est justement ici qu’intervient le miraculeux.
Une possible illustration que l’exercice d’équilibrisme mental du juif ne s’arrête pas aux frontières européennes. Où faire la concession pour ne fâcher personne et être entendu pour dire quoi d’ailleurs? Alors je répondrai à mes questions en arguant que Chacun fait ce qu’il peut et je veux comprendre ce que c’était précisément là son message.
Une très modeste contribution à un grand écrivain fidèle à la tradition du questionnement. Qu’il repose en paix. Amen.
Mon cher Claude, ce soir TJ publiera la traduction de la dernière interview d’Amos Oz, datée du 30 octobre je crois bien.
Votre point de vue est particulièrement intéressant et personnel
J’y souscris sur de nombreux points