Les Juifs de Corfou

Quand Benjamin de Tudèle visita l’ile en 1147, il ne trouva qu’un seul coreligionnaire. Après 1150, le roi Roger de Sicile (protecteur des Juifs) ayant conquis Thèbes et Corfou, déplaça des Juifs de Thèbes vers Corfou pour qu’ils y implantent la serriculture, domaine où ils excellaient, d’autres vinrent volontairement de Sicile pendant toute la période des rois angevins du Royaume de Naples et de la Sicile qui favorisaient les Juifs. Un document daté de 1365, période angevine, fait état de l’existence d’un ghetto et de son rabbin. Quand une situation confuse, due, à des rivalités de succession vers 1382, dégénéra en guerre civile et en pillages, une délégation de Corfou débarqua à Venise en 1386 pour solliciter la protection de la République Sérénissime.

Cette délégation de six Corfiotes, était composée de deux Grecs, deux italiens et deux juifs. De quoi attester le poids de la communauté juive avant même le début de la période vénitienne, qui allait marquer l’expansion croissante de la communauté juive. Les Angevins favorisèrent leur installation et les Vénitiens les protégèrent. A partir de 1492 et durant tout le 15ème siècle, des Juifs chassés d’Espagne, puis du Portugal et de Sicile vinrent s’installer à Corfou (parmi eux, le célèbre Don Isaac Abrabanel, les familles Aboaf, Gaon, Cherido, Sarda, Razon, Castro, Sforno…).

En 1540, Don Pedro de Tolède, le vice-roi de Naples, chasse les Juifs des Pouilles et nombreux sont ceux qui se réfugient à Corfou, ils sont si nombreux qu’ils imposent leur dialecte et leurs costumes aux autres Juifs. De nombreux Juifs des Pouilles ont des noms bibliques (Israël, Nissim, Elia, Baruch…)

Durant les deux premiers siècles de leur établissement, la position des Juifs était enviable car les princes angevins avaient issus des décrets de protection à leur égard (1317, 1324, 1364, 1365 et 1370). En fait souvent renouvellés car mal appliqués. En 1332, Philippe II de Tarente a protesté auprès des autorités de Corfou du fait que son décret de protection de 1324 n’était pas respecté. Ces privilèges furent renouvellés par son petit-fils Philippe III en 1370 puis par Charles III, le roi de Naples en 1382.

En 1386, l’île a volontairement cherché le protectorat de Venise et elle est restée sous sa domination jusqu’en 1797.

Tous les Juifs de Corfou se mirent à parler une langue judéo-vénitienne (1).

En 1665, on comptait environ 500 maisons juives à Corfou. Au XVIIIème siècle, les juifs détenaient presque tout le commerce du port. De surcroît, s’ils résidaient en principe dans un lieu désigné, ils n’habitaient plus depuis longtemps dans le ghetto, celui-ci ayant été rasé en 1524.

Après le référendum qui rattache Corfou à la Grèce en 1864, les  juifs se voient reconnaître l’égalité des droits. Le fanatisme religieux ne désarme pas pour autant : en 1891, à la suite de la découverte dans des circonstances demeurées mystérieuses du cadavre d’une fillette juive, la  communauté  grecque se déchaîne contre le ghetto. La violence est si menaçante que la flotte anglaise quitte Malte et cingle vers Corfou pour y rétablir l’ordre et la paix civile. Le souvenir des violences n’est  pas effacé pour autant. La  communauté cherche en Égypte à Alexandrie surtout, en France, en Amérique, des terres plus sûres.

Ce que l’on appelait à l’époque d’Albert Cohen (2) le « ghetto de Corfou » était en réalité le quartier juif avec sa vibrante petite ruelle d’or, trépidante de vie avec ses nombreux commerçants et artisans. Le grand-père paternel d’Albert Cohen figure patriarcale et sacerdotale qui fit si grande impression à son petit-fils, habitait une demeure spacieuse, perchée noblement au haut d’une colline. C’est à peine transposé dans « Solal » (3), « le Dôme » où réside majestueusement le grand-rabbin Gamaliel, chef de la communauté et père du héros. Tout cela, Albert Cohen enfant le connaissait par les récits de sa mère, elle-même fille de notables, qui avait transmis à son fils la joie de vivre, la chaleur et la richesse de l’existence de cette communauté. La vitalité de cette culture, attestée par la persistance d’une langue savoureuse et musicale, transmise dès l’enfance, imprégna toute l’œuvre d’Albert Cohen.

En 1901, sur un total de 25 000 habitants, Corfou compte 5000 Juifs c’est à dire 20% de la population. Puis la population juive décroît, beaucoup émigrent à Alexandrie.

La communauté juive a été anéantie par les Nazis, des 2000 juifs de Corfou en 1940, il n’en reste plus que 180 après la guerre, le cimetière a été complètement détruit aussi ainsi que de nombreux vestiges juifs, il ne reste plus que la synagogue Scuola Greca. Il reste aujourd’hui une centaine de Juifs à Corfou.

Source : danilette.com

Notes :

  1. Comme le disait Zia Emilia, une de mes grandes-tantes originaire de Corfou : « évidemment que je parlais italien puisque j’étais grecque », ce qui nous faisait toujours beaucoup rire sans qu’on en saisisse le sens profond 
  2. Parmi les Juifs célèbres de Corfou : Albert Cohen écrivain français prix nobel de littérature, la famille Olivetti (machines à écrire), le chanteur Georges Moustaki,  Alessandro et Americo Aboaf (industrie du cinéma), Victor et Rafaële Israël (négociants et philantropes, Iquitos, Pérou) etc.
  3. Dans l’oeuvre d’Albert Cohen, les livres fabuleux parlant des Juifs de Corfou (transposé à Salonique) sont : Mangeclous, Solal, Les Valeureux…

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