Humeur du jour : Intégrer, Réinsérer, Resocialiser par Khaled Slougui

Hier, Charles Rojzman a publié un texte très intéressant sur la récupération des territoires perdus de la république, dont il a exposé le fil conducteur en ces termes : « Il est plus que jamais nécessaire de reconquérir des territoires qui ne sont pas complètement perdus. Les habitants de ce qu’on appelle désormais « les quartiers » ont des caractéristiques souvent identiques (chômage, insécurité, sentiments de relégation et d’abandon) mais ils ont aussi des visions et des aspirations différentes ». J’y ai répondu en énonçant l’idée implicite qu’il fallait changer de regard sur ces quartiers.

L’islamisme veut se donner une légitimité, mais c’est moins son programme que son radicalisme qui mobilise les masses et gagne leur confiance, alors que les idéologies concurrentes piétinent. Or, ces masses sont beaucoup plus attirées par la dimension politique contestataire que par l’esprit de piété et la réconciliation avec la morale religieuse.

Dans mon livre, j’ai développé une partie sur le lien entre exclusion et radicalisation en proposant des moyens et attitudes pour mener l’action de déradicalisation. Entre autres, elle tient en trois infinitifs : intégrer, réinsérer, resocialiser. L’HUMEUR d’aujourd’hui se propose, sans prétendre à l’exhaustivité, de rétablir certaines vérités occultées par la pensée dominante.

Primo : Beaucoup de fantasmes existent sur « les territoires perdus de la république », alimentés souvent par des gens qui n’y ont jamais mis les pieds. L’expression de Bensoussan a été prise à la lettre, caricaturée, très mal comprise en somme; l’auteur n’a jamais voulu signifier une fatalité insurmontable. Je pense que l’objectif c’était de faire prendre conscience d’une réalité pour justement la dépasser et procéder à la reconquête de ces territoires.

L’enjeu, c’est aussi de dépasser les clichés négatifs qui collent à la « peau » de ces quartiers et leurs habitants.

Toute une terminologie marquée socialement est adoptée pour en parler, elle traduit et en même temps accompagne regards stigmatisants et discours dévalorisants qui alimentent indubitablement la spirale de l’exclusion.

Pourtant, il est évident que ces quartiers sont riches de potentialités et de compétences, encore faut-il les aider à s’exprimer. Des logiques d’action spécifiques peuvent s’y développer.

Elles sont susceptibles de promouvoir des dimensions nouvelles d’une culture populaire et plurielle. Le lien social peut s’en trouver renforcé et la cohésion nationale rétablie.

Secundo : L’exclusion est un phénomène qui prend de l’ampleur depuis la fin des trente glorieuses, et l’entrée en crise de l’économie, avec notamment le premier choc pétrolier (1973). Cette crise a vu l’émergence d’un nouveau mode de production déterminé par la mise en œuvre et l’adoption d’un important progrès technique.

Il en est résulté un bouleversement des structures économiques et sociales du pays dont l’un des effets majeurs est la transformation du marché du travail avec pour corollaires : une montée du chômage et la précarisation du marché de l’emploi (travail à temps partiel, intérim, contrats à durée déterminée, flexibilité…).

L’on mesure mieux la gravité d’une telle tendance, quand on sait que le travail, avec l’extension du salariat, est l’un des modes privilégiés d’insertion à la vie sociale.

La fragilité du lien au travail entraîne à son tour un affaiblissement des liens sociaux qui peut être vecteur d’autres risques, et à l’origine d’une spirale de l’exclusion.

En réalité trois phénomènes sont concomitants : l’entrée de l’économie et de la société en crise ; une insécurité sociale et économique liée aux rapports sociaux d’exclusion et de discrimination (Manuel Valls parlait même d’ »apartheid social ») qui précarisent une part croissante des milieux populaires et de la classe moyenne modeste, participant par là-même à un creusement sans précédent des inégalités ; l’apparition de nouveaux mouvements sociaux dont la revendication ne porte plus seulement sur la reconnaissance de droits sociaux mais culturels.

Tertio: L’islamisme a toujours exploité la pauvreté et l’exclusion dans une démarche politique qui prospère sur le terreau du communautarisme. De ce fait, la lutte contre les inégalités cède de plus en plus la place à des combats déterminés par des enjeux symboliques d’ordre religieux, culturels, ethniques… Et qui mettent en avant les spécificités et le droit à la différence.

Manifestement s’opère un glissement incontestable du champ du profane vers le champ du religieux. Ou si l’on préfère, le fait politique se transforme en fait religieux. C’est ce qui constitue le substrat et la trame du processus de radicalisation.

Parmi les causes de la radicalisation, celles liées au déclassement socio économique sont à privilégier non pas en établissant un lien mécanique, systématique entre pauvreté, exclusion et processus de radicalisation : la majorité des pauvres et des exclus ne sont ni radicalisés, ni délinquants. Les délinquants en col blanc, ceux qui ont pour eux une forme d’immunité, sont peut-être aussi nombreux.

Il s’agit ici de lieux communs établis par ceux qui n’ont aucune connaissance ni des territoires, ni des personnes qui vivent en zone de relégation sociale.

Mais en considérant que les islamistes exploitent ces difficultés pour du recrutement, en donnant corps à des oppositions sur une base religieuse.

Le mensonge aidant, il leur est expliqué que l’exclusion est liée à l’appartenance religieuse ; ce qui est complètement faux, puisque, les arabes, les roms, les africains, les asiatiques, les latinos concernés par le phénomène ne sont pas tous, loin s’en faut, musulmans. Cet élément doit être en permanence mobilisé dans le dispositif de déconstruction du discours islamiste.

Les différences sociales et économiques transcendent l’appartenance religieuse et plus largement communautaire.

Moi, j’appelle a déconnecter l’exclusion de l’appartenance religieuse; car a en croire les islamistes, la stratégie de victimisation aidant, seules les musulmans seraient exclus, d’où l’argument de l’islamophobie. Or c’est faux! Et c’est cette vérité qu’il faut rétablir.

Conclusion : la machine à intégrer a bien fonctionné par le passé, il n’y a d’autre choix que de la réhabilter.

Ce qui signifie, s’agissant des jeunes radicalisés : Les sortir du ghetto communautaire, les remettre en situation d’apprentissage (réapprendre à apprendre) ; les aider à renouer avec le doute et le questionnement ; les inciter à un ré apprivoisement de la réalité ; leur redonner le goût de la communication ; leur permettre à nouveau d’accéder à la culture dans sa dimension d’universalité ; les amener à retrouver des réflexes normaux (le sens de la réjouissance, l’humour, le rire, la fête…) ; les encourager à se projeter dans l’avenir (être en projet) ; leur faire retrouver la confiance et l’estime de soi et enfin rétablir les liens rompus avec l’environnement social, la famille surtout.

Nos responsables devraient méditer cette pensée d’Henri Bergson : « Agir en homme de pensée et pensée en homme d’action », voila le vrai « en même temps ».

Une bonne journée!
Demain sera un autre jour

Khaled Slougui

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