Quelques jours après la polémique déclenchée à propos du centenaire de l’Armistice de 1918 autour de la personne du « vainqueur de Verdun » et de son rôle pendant la seconde guerre mondiale, l’excellent site historique « Hérodote.net » remet le couvert. Il le fait de façon très exhaustive à l’occasion de la sortie récente d’un livre de Laurent Joly : « L’Etat contre les Juifs » sous-titré : « Vichy, les nazis et la persécution antisémite » (Grasset, septembre 2018).
Un nouvel ouvrage, direz-vous, sur le rôle du gouvernement de Vichy dans l’arrestation et la déportation de 76.000 Juifs de France vers les camps d’extermination nazis. Laurent Joly y pose des questions bien précises : pourquoi, dès l’été 1940, le régime du maréchal Pétain a-t-il impulsé une politique antisémite ? Pourquoi a-t-il accepté de contribuer aux déportations massives décidées par les nazis en 1942 et d’assumer pleinement ces opérations, à Paris comme en zone libre ? Dans quelle mesure l’administration a-t-elle collaboré à la politique génocidaire ? Et bien sûr, l’auteur de ce nouveau livre apporte ses réponses à ces questions. Mais il se trouve qu’un autre historien – à contre-courant des grands spécialistes de la question – relève un certain nombre de points litigieux selon lui. Il s’agit d’Alain Michel, non seulement historien, mais rabbin franco-israélien, qui avait défrayé la chronique lors de la publication d’un de ses livres : « Vichy et la Shoah » (Ed. Elkana, 2012 ; 2ème édition, 2015). Il y renoue avec les thèses de Léon Poliakov et Raul Hilberg, mises à mal par Robert Paxton qui condamne sans nuance le régime de Vichy. Alain Michel montre qu’en dépit de l’antisémitisme de Pétain et de ses lois sur le statut des Juifs, la politique de Laval face à l’occupant nazi a permis à près de 90 % des Juifs ayant la nationalité française d’échapper à la déportation.
Alain Michel, qui compte parmi ses émules Éric Zemmour, donne l’estocade à Laurent Joly en des termes peu amènes et, me semble-t-il avec une certaine mauvaise foi. En effet, face à la tragédie qui s’est abattue sur les Juifs de France, qu’importe de savoir que « seulement » 24.000 Juifs français ont été déportés, le reste étant des Juifs étrangers ? Est-ce qu’au nom d’un purisme sémantique, il convient de distinguer entre Juifs français et étrangers ? Les enfants des uns étaient-ils différents de ceux des autres ? Ne jouaient-ils pas aux billes ou à la marelle, à la poupée ou aux petites voitures ? Alain Michel reconnaît à Laurent Joly la qualité d’historien, mais il pose d’emblée ceci : « Rappelons au moins deux points fondamentaux sur lesquels il existe un consensus entre [nos] deux approches : oui l’Etat français du maréchal Pétain a été antisémite. Oui, son administration a contribué à l’arrestation et à la livraison aux nazis d’une partie des victimes. La question se pose au niveau du pourquoi et du comment. Pour Laurent Joly, suivant fidèlement Paxton, Vichy est automatiquement coupable, coupable d’avoir eu une volonté d’éliminer tous les Juifs de France et d’avoir ainsi renforcé sa collaboration avec les nazis en participant au crime pour bénéficier d’avantages en échange ». C’est le fameux argument selon lequel pétain aurait livré les Juifs étrangers pour protéger les Juifs français (ceux du moins qu’il n’avait pas fait dénaturaliser). On sent l’indécence de cette théorie, au demeurant fausse. – Voici ce qu’à son tour écrit Laurent Joly : « L’étude attentive de la politique de Vichy face à la déportation des juifs et à la pression nazie en la matière, de l’été 1942 à l’été 1944, permet d’identifier les ressorts principaux de cette politique, laquelle, pour reprendre la formule de Joseph Billig, n’était « nullement une politique de sauvetage » ou, plus exactement, ne l’était qu’accessoirement. […] Redisons-le, la collaboration est bien le principal ressort de la politique Laval-Bousquet de 1942. Vient ensuite l’antisémitisme xénophobe, si répandu à Vichy, sans lequel les juifs apatrides n’auraient pu être si facilement livrés aux nazis. La volonté de l’État français de protéger ses nationaux, ou plus précisément les plus « enracinés » parmi eux, dans un contexte de pression redoutable, n’est pas niable. Mais elle n’est qu’un ressort subsidiaire, et à bien des égards la justification des deux autres. »
Mais, il est un point que ni Alain Michel, ni Laurent Joly n’abordent dans leur querelle. C’est celui, majeur, de la découverte par Serge Klarsfeld le 3 octobre 2010 d’un document préparatoire au funeste « statut des Juifs » d’octobre 1940, annoté au crayon de la main de pétain lui-même établissant son rôle déterminant dans la rédaction de ce statut. Le projet de loi – dont le document est issu – est débattu en Conseil des ministres le 1er octobre 1940 et adopté le 3 en ayant intégré les corrections du Maréchal. Ce texte de loi complète la liste de juridictions d’où sont exclus les juifs et ajoute aux mandats qui leur sont déjà interdits, les sièges dans « toute assemblée issue de l’élection ». Il élargit également à « tous les membres du corps enseignant » l’interdiction pour les juifs d’exercer, alors que le projet initial prévoyait une interdiction pour les recteurs, inspecteurs, proviseurs et directeurs d’établissement primaires et secondaires seulement. Enfin, alors que le projet initial épargnait « les descendants juifs nés français ou naturalisés avant 1860 », le Maréchal a décidé de rayer cette mention.
Pour nous qui venons écouter, convoi après convoi, la lecture des noms de ceux et celles qui firent le voyage sans retour Drancy-Auschwitz, en ce soixante-quinzième anniversaire (cette année les convois de 1943, l’année prochaine ceux de 1944), lorsque nous entendons des noms d’enfants accompagnés de leur âge : 2 mois, moins d’un an, 2 ans, 3 ans, etc. notre cœur se serre, la rage nous étreint et nous ne voulons pas entrer dans les débats indécents sur le fait de savoir ce qui a réellement animé les décisions de ce vieillard à qui la peine de mort ne fut épargnée qu’eu égard à son âge, mais dont l’indignité nationale que lui infligea la Haute Cour de Justice de Paris le poursuivra jusqu’à la fin des temps.
Shabbath shalom à tous et à chacun,
Daniel Farhi.
« Mais, il est un point que ni Alain Michel, ni Laurent Joly n’abordent dans leur querelle. C’est celui, majeur, de la découverte par Serge Klarsfeld le 3 octobre 2010 d’un document préparatoire au funeste « statut des Juifs » d’octobre 1940, annoté au crayon de la main de pétain lui-même établissant son rôle déterminant dans la rédaction de ce statut. »
C’est parce que ce l’authenticité de ce document n’est toujours pas établi il me semble. Et personne ne sait si c’est bien l’écriture de Pétain.
J’ai tjrs lu que le texte avait été écrit à la main par Pétain. On peut tjrs mettre en doute mais qui pouvait « corriger « et voir admise sa correction sinon celui qui devait signer le décret ?
La mise au point d’André Mamou est très claire.
Le texte de Daniel Farhi n’est pas clair sur la vieille rengaine du régime de Vichy qui aurait livré des Juifs étrangers pour « sauver » des juifs français. Seuls des voyous osent encore proposer cette fiction, à laquelle Paxton n’a jamais, évidemment adhéré. Les historiens français ont fait un travail énorme (Marc Olivier Baruch sur l’administration…), sur toutes les archives, ils ne suivent pas un dogme de Paxton. Celui-ci a le mérite d’avoir posé clairement que la collaboration, politique, économique, militaire et raciale, était le seul moyen de Vichy pour rester au pouvoir et que la trahison de l’Armistice était le seul moyen de prendre le pouvoir; ce qui fut toujours l’enseignement du général de Gaulle et de la France Libre.
L’antisémitisme de Vichy n’était pas l’extermination des Juifs mais la vieille position politique: « Juifs-pas Français » qui autorisa le génocide.
L’affaire Loustaunau-Lacau a révélé que cette perversion n’était pas éteinte.