Un chercheur israélien explique la division entre Gaza et Ramallah par l’abîme culturel qui les sépare

La culture de Gaza est bédouine, tandis que celle des Arabes de Judée et Samarie est paysanne et citadine. C’est principalement pour cette raison que les deux territoires ne s’intègrent pas.

Le journal israélien Yediot Aharonot nous a appris cette semaine que les Américains avaient l’intention de promouvoir le rattachement de la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne. Jason Greenblatt, le représentant spécial du président Trump pour les négociations internationales, l’aurait déclaré. Si c’est vrai, Greenblatt aurait révélé un élément important du plan de paix américain en préparation depuis plus d’un an.

Mordechaï Kedar

Ceux qui ont inscrit la reconnexion de Gaza à la Judée et à la Samarie dans le plan US (qui n’a pas encore été publié), ont dû être impressionnés par les professions de foi de divers porte-parole palestiniens. Tous, jusqu’au dernier, qu’il s’agisse de l’AP (Autorité palestinienne) ou du Hamas, soulignent à tous coups la nécessité de réunir les deux « parties du territoire national ». Israël de son coté, préfère qu’elles restent distinctes et hostiles l’une à l’autre. Les sondages effectués dans la zone de l’AP montrent sans équivoque que la rue arabe, que ce soit à Gaza ou en Judée et Samarie, veut aussi la réunification, la fin à la coupure qui a suivi la prise de contrôle du Hamas à Gaza en juin 2007.

Les Américains ont entendu le consensus palestinien sur cette question et ils en ont conclu que les dirigeants palestiniens et l’opinion publique y étaient unanimement favorables. Cela les a amenés à intégrer cette donnée dans leur plan, espérant qu’en conséquence les Palestiniens l’accepteraient. L’OLP -Organisation de libération de la Palestine-, le Hamas, les divers Fronts et organisations ont tous refusé le plan américain avant même de l’examiner. Greenblatt a aussi indiqué que  » Netanyahou devra prendre des décisions difficiles « , ce qui signifie qu’Israël devra accepter la réunification de Gaza avec la Judée et la Samarie.

Donc, si tous les Palestiniens veulent la réunification et si les Américains sont d’accord, où est le problème ? Pourquoi les Palestiniens n’acceptent-ils pas cette partie du plan de paix à tout le moins ? La réponse se trouve dans un aspect très important de la culture du Moyen-Orient, qui n’a pas d’équivalent dans la culture occidentale; il s’agit des nuances variées que l’on attribue à la parole.

La culture occidentale prend ce qui est dit au pied de la lettre. Par exemple : si je dis que je suis d’accord avec la personne à qui je parle, cela signifie que j’ai écouté ce qu’elle dit, que j’y ai réfléchi, et que j’ai décidé d’accepter son opinion. L’Occident a foi en la sincérité de la personne qui parle, croit ce qu’elle dit et l’accepte tel quel. Après tout, il y a la liberté d’expression et chacun peut dire ce qu’il pense, de sorte que quand quelqu’un dit quelque chose, c’est ce qu’il le pense et le ressent vraiment.

Par contre, au Moyen-Orient, tout ce que l’on dit comporte trois couches. La couche supérieure, visible, est le contenu de ce qui est dit, la couche du milieu est ce que la personne qui parle veut vraiment dire, et la couche inférieure est ce qu’elle cache. En entendant les paroles prononcées par un locuteur, son vis-à-vis du Moyen-Orient tente de pénétrer dans les couches cachées, de comprendre ses intentions réelles et de déceler ce qu’il lui cache.

C’est pourquoi quand un politicien arabe palestinien, de l’OLP ou du Hamas, déclare : « nous devons réunifier Gaza et la Cisjordanie , » cela veut-il dire  » je comprends que c’est ce que veut l’homme de la rue, et je dis ce qu’il veut entendre « , tout en cachant le fait qu’il est certain que cela n’arrivera jamais et qu’il entend blâmer l’autre partie pour la poursuite de la coupure à laquelle il ne compte pas mettre fin.

Pourquoi la réunification n’aura-t-elle pas lieu ? Parce que les deux entités diffèrent totalement du point de vue de la culture, de la langue, du comportement et des schémas de pensée. L’arabe de Gaza est un dialecte bédouin, dérivé de l’arabe saoudien, tandis que celui des Arabes de Judée et de Samarie est un dialecte palestinien similaire à l’arabe parlé en Syrie. Le fossé linguistique n’est pas seulement un élément technique de communication, il est l’expression des différences culturelles : la culture de Gaza est bédouine, tandis que celle des Arabes de Judée et de Samarie est une culture de paysans et de citadins.

La direction de Gaza est assurée par le Hamas, une organisation à caractère religieux qui reflète la composition de sa population, tandis que l’OLP dirige l’AP avec un programme laïque qui convient à la population arabe de Judée et de Samarie, à l’exception des collines Hébron dont les habitants sont plus traditionnels. La division entre Gaza et la Judée/Samarie n’est pas seulement politique. Elle est fondée sur un abîme culturel séparant deux populations différentes qui n’ont jamais vécu ensemble, sauf pendant la courte période allant de la création de l’OLP en 1994 à la division en 2007, quatorze ans plus tard. Une période durant laquelle il n’y a eu aucune interpénétration culturelle véritable entre les deux régions.

Ce qui est encore plus significatif, c’est la nature pathologique des échanges entre les deux organisations dirigeantes des deux territoires , l’OLP et le Hamas. Les expressions qu’elles utilisent l’une contre l’autre sont les plus empoisonnées de la langue politique arabe : « traîtres », « collaborateurs avec Israël », « corrompus », « suceurs de sang », « police des frontières israéliennes » et autres matraquages beaucoup plus malveillants.

La colère et les rancœurs réciproques jouent également un rôle important : les terroristes du Hamas se souviennent des tortures innommables qu’ils ont subies dans les cachots des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne, tandis que ceux de l’OLP ont le souvenir cuisant de l’année 2007, où les terroristes du Hamas exécutèrent les membres des forces de sécurité de l’OLP sous les yeux de leur famille, et précipitèrent dans le vide les gens qui s’étaient réfugiés sur le toit des immeubles les plus élevés de Gaza. En outre, au Moyen-Orient, il n’y a pas d’oubli ni de pardon. On préfère attendre avec patience et vigilance le bon moment pour se venger et retrouver l’honneur perdu par la famille de la victime.

Le Hamas a été créé à la fin de l’année 1987 et, depuis cette date, il conteste la direction de l’OLP et le monopole que le monde arabe lui reconnait sur le front international en tant qu’unique représentante du « peuple palestinien ».

Israël a soutenu l’idée que l’OLP était la meilleure alternative et, longtemps, les dirigeants israéliens – Pérès, Beilin et un Rabin réticent – ont pensé que l’OLP, malgré son éloignement du sionisme, constituait une réponse pertinente au Hamas. Il ont rêvé qu’en donnant à l’OLP le pouvoir de gouverner les Palestiniens, celle-ci se transformerait en une entité favorable à la paix et qu’elle « s’occuperait rapidement de régler le compte du Hamas sans craindre l’ingérence des tribunaux et des groupes de défense des droits humains ».

Le monde a été convaincu par le raisonnement des dirigeants israéliens et il l’a fait sien, bien que les chefs du Hamas aient refusé cette perspective avec véhémence, affirmant qu’en signant les Accords d’Oslo l’OLP avait perdu son leadership légitime et donné à Israël une « police d’assurance ». Selon le Hamas, Israël devrait être rayé de la carte de la terre sainte de Falestin, une région réservée uniquement aux musulmans.

Mahmoud Abbas a failli être assassiné lorsqu’il s’est rendu à Gaza pour la première fois après son élection comme président de l’AP. Une balle a frôlé son visage et tué l’un de ses gardes du corps. Il y a plusieurs mois, il a envoyé son premier ministre, Rami Hamdallah, et le chef de ses forces de sécurité, Magd Faraj, à Gaza. Alors qu’ils passaient à quelques centaines de mètres du poste de contrôle d’Erez, une bombe a explosé près de leur convoi et les a ratés d’un cheveu.

Je dis depuis plus de 11 ans – depuis le jour où le Hamas a pris le pouvoir à Gaza – qu’en raison de ces profondes différences, ces conflits et ces différends, le divorce entre Gaza et la Judée/Samarie est définitif, et qu’il n’y a aucune chance de combler l’abîme qui sépare les deux organisations. Leurs représentants se sont rencontrés des centaines de fois pour tenter de mettre fin à la division et malgré la signature de centaines de documents par les deux parties, il ne s’est rien passé. L’avenir nous amènera peut-être à une réconciliation, mais il s’agira d’un compromis, et non d’une réconciliation, car les deux organisations ont depuis longtemps dépassé le point de non-retour.

Il ne reste plus qu’à découvrir ce qui a poussé Jason Greenblatt à annoncer la réunification de Gaza et de la Judée/Samarie dans le cadre du « deal du siècle  » de l’Amérique. Il pense évidemment que c’est une chance parce que c’est ce qu’ils demandent tous et, comme tous les Américains, il croit qu’il veulent ce qu’ils disent vouloir. Les Américains ne croient pas qu’au Moyen-Orient, quelqu’un puisse dire une chose, penser exactement le contraire, et cacher ses manœuvres pour éliminer la personne qu’il inonde d’amour, d’affection, de câlins et de baisers.

C’est peut-être la véritable raison de l’échec des plans de paix américains et israéliens. Les Américains et les Israéliens pensent comme des Occidentaux, tandis que les Palestiniens et leurs compatriotes arabes pensent comme on pense au Moyen-Orient. Tant que les Américains et les Israéliens ne comprendront pas en profondeur la culture orientale, avec toutes ses couches de signification, ils continueront à imaginer des plans de paix.

Nous aurons beaucoup de projets de paix , mais pas la paix.

Source : lebloc-note.fr

Titre original : The PLO-Hamas divorce is final

Auteur : Dr. Mordechai Kedar: il enseigne au département des sciences islamiques de l’Université Bar-Ilan. Il était spécialiste de l’analyse du discours politique arabe dans le cadre des renseignements militaires pendant 25 ans.

Date de publication : 17 octobre 2018 pour Arutz Sheva

Traduction : Jean-Pierre Bensimon

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2 Comments

  1. Des responsables de la sécurité nationale israélienne se sont assis autour de la même table mardi matin que leurs homologues de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de Bahreïn, d’Oman et des Emirats Arabes Unis, pour discuter de la situation humanitaire dans la bande de Gaza.

    Le sommet sur Gaza, appelé par Jared Kushner, gendre du président américain et principal conseiller sur la paix au Moyen Orient, ainsi que Jason Greenblatt, son représentant spécial pour les négociations internationales, marque un moment sans précédent pour la diplomatie israélienne, alors que leur dialogue avec des représentants d’états arabes est publiquement reconnu pour la première fois.

    L’administration Trump a planifié la réunion pendant plusieurs semaines et a publié une liste des participants le matin du sommet, qui comprenait également des représentants de l’Egypte, de la Jordanie, du Canada et de divers pays européens.

    Les responsables de l’autorité palestinienne n’ont pas assisté à la réunion.

    « Nous regrettons que l’autorité palestinienne ne soit pas parmi nous aujourd’hui », a déclaré Greenblatt dans son discours d’ouverture de la conférence. « Ce n’est pas une question de politique. Il s’agit de la sante, de la sécurité et du bien être de la population de Gaza et de tous les palestiniens, israéliens et égyptiens. »

    « Comme vous le savez, nous sommes ici aujourd’hui pour examiner des idées sur la manière de révéler les défis humanitaires à Gaza – un sujet qui a longtemps été au premier plan de tous nos esprits, » a poursuivi Greenblatt. « Cela l’a certainement été dans le mien. »

    Greenblatt et Kushner mettent la dernière touche à un plan de paix global pour le conflit israélo-palestinien, dont la résolution de la crise à Gaza fait partie intégrante. A l’heure actuelle, les responsables de la Maison Blanche réfléchissent à comment mettre en œuvre le plan en quelques semaines ou quelques courts mois.

    L’envoyé américain a souligné le besoin d’aide sanitaire, d’électricité, d’eau potable, de sécurité alimentaire et d’emploi dans la bande côtière.

    « Nous savons tous que rien de tout cela ne sera facile, » a déclaré Greenblatt. « Et tout ce que nous faisons doit être fait de manière à ne pas mettre en péril la sécurité des israéliens et des égyptiens et à ne pas responsabiliser par inadvertance le Hamas, qui porte la responsabilité de la souffrance de Gaza. »

    Greenblatt a demandé au groupe « d’accepter de laisser la politique à la porte ».

    Les gouvernements américains et israéliens successifs ont critiqué le Qatar pour son soutien généreux au Hamas à Gaza depuis des années.

    « Il n’y a pas d’excuse pour l’inaction, » a-t-il poursuivi. « L’inaction entraine non seulement plus de souffrances pour les palestiniens a Gaza, mais crée aussi plus de défis sécuritaires pour les israéliens et les égyptiens, et pousse de plus en plus loin les perspectives d’un accord de paix global entre israéliens

  2. Lorsque Kedar dit qu’il faut une connaissance approfondie des mentalités, états d’esprit, démographie et naturellement de la langue arabe locale pour éviter de proposer des solutions irréalistes, il dit vrai.

    SAUF qu’il faut qu’il cesse de présenter les Américains et les Israéliens qui s’activent dans ce dossier comme naïfs ou ignares. Ce n’est pas les spécialistes arabisants qui manquent dans les équipes et ils sont quand même un peu plus à jour que Kedar, un peu déconnecté à 66 ans et ayant laissé sa place dans l’opérationnel à des plus jeunes depuis longtemps.

    C’est ainsi que sa prétention à une divergence culturelle profonde entre palestiniens de Gaza et de « Judée-Samarie » est particulièrement sujette à caution.

    Culturellement c’est EXACTEMENT la même population ; la culture dominante à Gaza n’est pas plus bédouine qu’à Ramallah.

    La cassure entre ces deux parties est certes profonde ; mais elle est la conséquence d’une lutte à mort pour le pouvoir entre engeances intéressés, politiques et idéologiques rivales et non de divergences culturelles.

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