Dans Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen[1], Stefan Zweig raconte que Bertha von Suttner aurait influencé la fondation de ce prix en convainquant Alfred Nobel de réparer le mal qu’il avait causé avec sa dynamite. Décerné cette année au gynécologue congolais Denis Mukwege et à la Yézidie Nadia Murad, le Nobel de la paix joue plus que jamais son rôle, mettant en lumière deux figures de la lutte contre les violences sexuelles utilisées en tant qu’arme de guerre.
Le gynécologue qui répare les femmes, celui qui dédia sa vie à réparer l’horreur subie par ces victimes de guerre oubliées car seulement violées, beaucoup en entendirent parler…
Nadia Murad, moins connue du grand public, est une survivante. Une ex-esclave sexuelle du groupe État islamique. Devenue activiste yézidie.
Lui, spécialisé en gynécologie-obstétrique en France après des études de médecine au Burundi, déclarait en 2015 que l’homme cessait d’être homme lorsqu’il ne savait plus donner l’amour ni l’espoir aux autres : l’hôpital de Panzi qu’il créa en 1999 pour permettre aux femmes d’accoucher convenablement devint, dès la deuxième guerre du Congo (1998-2003) et ses viols de masse, une clinique du viol. Oui, ça existe : une clinique du viol.
Sa fondation est aujourd’hui sous la protection permanente de soldats de la Mission des Nations unies au Congo[2] et est soutenue par l’Union européenne.
Son hôpital, après avoir réparé le corps des femmes, a à ce jour accompagné 50 000 d’entre elles qui apprirent à lire, à écrire, se formèrent à un métier.
Le monde doit savoir. Denis Mukwege n’hésite pas à parler de génocide. D’une arme pas chère et efficace. Du corps des femmes devenu champ de bataille.
Sache, Lecteur, que cette guerre sur le corps des femmes, comme l’appelle Denis Mukwege, continue : une augmentation des violences sexuelles est notée depuis fin 2016.
Sache aussi que c’est un des opposants les plus sévères envers le régime du président Joseph Kabila qui est récompensé : qui mieux que lui a dénoncé sans relâche le climat d’oppression et de rétrécissement de l’espace des libertés fondamentales qui régnait dans son pays» dans son pays. Qui a dénoncé la farce d’élections falsifiées : lui. Qui avait déjà reçu le prix Sakharov. Ce Nobel à deux mois et demi d’élections cruciales en RDC prennent tout leur sens.
Nadia Murad, ex-esclave du groupe État islamique, n’a que 25 ans. Survivante des pires heures traversées par son peuple, les Yézidis d’Irak, considérés comme hérétiques par les combattants de Daech, elle en est devenue la porte-parole.
Visage de l’association Yazda fondée en 2014 par de jeunes yézidis, avec le soutien d’activistes américains, Nadia Murad tint tête aux autorités du Kurdistan irakien qui tentèrent de limiter ses activités.
La jeune femme n’eut de cesse de répéter, avec son amie Lamia Haji Bachar qui partagea avec elle le prix Sakharov du Parlement européen en 2016, que plus de 3 000 Yézidies sont à ce jour portées disparues, probablement encore captives des djihadistes du groupe État islamique qui firent irruption en 2014, sur des pick-up surmontés de leur drapeau noir, massacrant à tout va, transformant les plus jeunes en enfants-soldats et réglant leur sort aux femmes : les plus âgées seront assassinées ou réduites aux travaux forcés. Les plus jeunes leur serviront de sabaya : entends bien, Lecteur : esclaves sexuelles.
Nadia, qui vit mourir sa mère et six de ses frères sous les coups des djihadistes, sera, elle, avec 150 autres du village, enlevée, puis vendue. Vendue à moult reprises. Endurant le calvaire : torture et viols, qu’ils soient collectifs ou non, ne cesseront plus.
Mariée de force, battue, elle réussira à fuir Mossoul et retrouvera sa sœur en Allemagne, où vivent nombreux yézidis : elle deviendra une porte-parole écoutée de son peuple.
Celle qui était depuis 2016 ambassadrice de bonne volonté des Nations unies pour la dignité des victimes du trafic d’êtres humains a publié Pour que je sois la dernière[3], préfacé par Amal Clooney, avocate et militante des droits de l’Homme.
Denis Mukwege et Nadia Murad ont tous les deux risqué personnellement leur vie en luttant courageusement contre les crimes de guerre et en demandant justice pour les victimes. Un monde plus pacifique ne peut advenir que si les femmes, leur sécurité et droits fondamentaux sont reconnus et préservés en temps de guerre, a déclaré la présidente du comité.
Pour rappel, la résolution 1820, adoptée en 2008 par le Conseil de sécurité de l’ONU, stipulait que les violences sexuelles en temps de conflit pouvaient constituer un crime de guerre, un crime contre l’humanité ou un élément constitutif du crime de génocide.
Les efforts de ces deux-là pour mettre fin à l’emploi des violences sexuelles en tant qu’arme de guerre n’incarnent-ils pas aujourd’hui une cause qui dépasse le cadre des seuls conflits : Le prix Nobel signifie beaucoup, déclara Nadia Murad le 5 octobre. Pas seulement pour moi mais pour toutes ces femmes en Irak et dans le monde entier qui ont été victimes de violences sexuelles. Celle que l’on nomme la survivante veut partager cette récompense avec les Yézidis, les Kurdes, et toutes les minorités persécutées et victimes de violences sexuelles à travers le monde.
Invitée en juillet 2017 au Musée du peuple juif de l’Université de Tel Aviv, Nadia Murad établit un parallèle étroit entre les souffrances du peuple yézidi et celles du peuple juif pendant la Shoah. Emily Gatt cita ses paroles pour I24 News : L’histoire du peuple juif est une histoire unique et pourtant, une grande partie de celle-ci fait écho aux expériences de ma propre communauté. Comme les Juifs, les Yazidis ont une histoire ancienne vieille de plusieurs milliers d’années. Malgré des persécutions récurrentes, nos deux peuples ont survécu, déclara la jeune femme. Depuis trois ans, ISIS a volé la paternité de l’histoire de Yazidi. Mais nous ne les laisserons pas écrire notre avenir. Mon séjour en Israël m’a montré qu’au lendemain de l’oppression et du génocide, une communauté pouvait émerger plus forte.
Sarah Cattan
[1] Die Welt von Gestern. Erinnerungen eines Europäers
[2] Monusco.
[3] Editions Fayard.
Merci, Sarah Cattan, pour votre article clair et concis, nous précisant tout à la fois : l’origine du Prix Nobel, la situation socio-politique du Congo, les antécédents, le dévouement et la bravoure admirable des deux personnalités exceptionnelles que sont la yézidi Nadia Murad et le docteur-gynécologue Denis Mukwege.
Plasticienne française, je dédie mon oeuvre « Noli me tangere » à Nadia Murad et Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018. Une oeuvre pudique sur l’inviolabilité du corps de la femme : https://1011-art.blogspot.fr/p/noli-me-tangere.html
Elle fait écho à une série sur les mutilations sexuelles intitulée « Infibulation ». Quand l’art permet de parler de la barbarie des Mutilations Génitales Féminines.
A découvrir : https://1011-art.blogspot.fr/p/blog-page.html
Une initiative à suivre.
Merci infiniment.
Si ça vous dit nous pourrions en parler…