Michèle Chabelski, qui nous livre chaque matin un billet addictif, a abordé hier un sujet a priori pur ashké.
A sa lecture et à celle des commentaires qui suivirent, il était quasi impossible d’échapper à l’universalité de la problématique de… La Valise.
A sa spécificité si juive.
« Certains lecteurs m’ont demandé de manière pressante ce qu’était une valise ashkénaze.
Etant donné la dilution de l’esprit ashkénaze, appelé yiddishe tam, dans les paillettes et l’insouciance attachante du mental séfarade, il me paraissait urgent , vu que j’appartiens à une communauté aux rouages souvent méconnus , d’expliquer le fonctionnement d’une voyageuse en partance pour..
Bah… n’importe où puisque le référentiel est le même quelle que soit la destination.
Bon prenons pour exemple un départ pour la mer.
Donc en vrac :
Des maillots.
Récents, avenants et pimpants.
Mais pourquoi ne pas aussi emporter ce vieux maillot défraîchi aux èlastiques approximatifs…
Ben au cas où…
Où quoi ?
Où juste.
Des shorts. Un blanc, un noir, un en jean.
Ah oui ! Et un rouge un peu petit…
Pour quoi faire ?
Ben au cas où il s’élargirait pendant le voyage…
Des T shirts.
A manches courtes.
Et s’il fait très chaud ?
Ben sans manches.
Oui mais au cas où il y aurait du blizzard, vaut mieux en prendre quelques-uns à manches longues.
Et quelques pulls aussi.
Le soir, on ne sait jamais…
Un imper, non ?
Ah !
Peut être…
Et un chapeau.
Non une casquette plutôt.
Bon je prends les deux, on verra bien.
Un séchoir ?
Un épilateur ?
Un toaster, non ?
Bon, des chaussures. Faut au moins des tongs, des sandales, des baskets…
Tu finis par arriver au bout.
Tu boucles les sangles.
Et là, tu convulses…
C’est pas possible.
Va manquer des trucs…
Alors sur la valise à demi bouclée, tu refais une seconde valise.
Maillots, t-shirts, pulls, pantalons d’hiver, vestes, petites ceintures si tu deviens filiforme, grandes ceintures si tu fais baleine, parapluie, robe pailletée si t’es invitée chez l’Ambassadeur, 3 livres supplémentaires, 2 paires de lunettes de rab, les écouteurs et chargeurs surnuméraires, de la cortisone et des seringues anti-venin.
Contre les langues de vipères, y a rien…
Même les ashkénazes n’y peuvent rien…
Mais t’ajoutes des boots, un sac du soir, un sac-tente pour le shopping, un sac de plage, un sac de ville, un sac de marché, un sac igloo, un…
Pis un sac pliant pour le retour…
Des kleenex, du rouge carmin, du rouge beige, du rouge corail, du rouge brique, ben tu sais pas de quelle couleur tu vas bronzer : faut anticiper…
Une cocotte minute ?
Un mixer ?
Ben au cas-où… »
Traumas indélébiles
A quoi Charles R., grand voyageur au chevet des populations en guerre, répondit que lui, en voyage, avait tout dans sa valise. En cas de rafle, on ne sait jamais ! ajouta-t-il avec cet humour si lucide qui était le sien. Précisant : Le pire c’est que je ne plaisante pas. Je me suis toujours demandé pourquoi j’emportais tant de choses dans ma valise et un jour j’ai compris
Que n’avait-il écrit là.
Car cet autre rétorqua que Lui en connaissait qui n’allaient pas aux toilettes sans leur(s) passeport(s). Et à Lui que je connais aussi, tout cela rappela les frontières, toutes les douanes qu’il passait avec une peur au ventre. Semblable à celle qu’il éprouva en traversant la frontière avec la Suisse, en 1943, âgé de 7 ans
Il nous confia qu’à 81 ans, il lui était toujours impossible de schmougler à une frontière.
Et puis Cette Peur de manquer
Le trauma indélébile et puis cette peur de manquer : si spécifique à Nous.
Et que j’te raconte les voyages en Israel-où-la fille-ou-le fils-bien-aimé(e)-faisaient un séjour-en kibboutz-où-Il-n’y-avait-rien
Et donc, Toi, tu apportais de tout : Du pour manger Du pour se laver Du pour laver le linge. Mais Surtout Pour manger
Humour et Valises trop pleines en commun, donc. Bon Tu sais quoi Mon ashkénaze d’amie. Et si nous n’en faisions qu’une de Valise. Puisque c’est la même.
On suivrait la recette de la city trip valise donnée par cette amie. Enfin : on rajouterait ça en plus
Un ou deux bouquins d’intellos. Odile Jacob Actes Sud
Une revue de gauche si tu es de droite
Une de droite si tu es de gauche
Deux essais.
Une Pléiade.
3 hebdo.
Le Monde ? Ah Non Non Pas ça
Le NY Times.
Un Pocket.
Et puis ce Kindle. Des fois qu’on s’habitue. En cas d’urgence.
Les cables Michèle Les cables
Le téléphone pour appeler ma mère Ta mère Nos mères
Les cables Les cables pour charger le téléphone pour appeler ma mère
La multiprise pour pouvoir brancher tout ça Les enfants appelleront peut-être
Suite :
Des biscuits et de l’eau au cas où le TGV serait très en retard
Une lampe de poche sans pile au cas où il y aurait une panne dans l’hôtel 3 étoiles
Et là, le nec : Si on part en avion : chaussures et lingerie dans la valise cabine- au cas où la valise serait perdue- ou l’avion détourné
Ah – Quelques spécialités Yiddish : Lexomil. Xanax. Gaviscon
Enfin. Je dis Yiddish. On s’comprend.
Nos valises séfarades
Quoi ? Des boots ? Au cas où ?
Quoi ? La petite tenue pour les soirées ? La p’tit’ robe qu’on est si belle avec, Quoi !
Souvenirs. Elle se souvient des malles-cabines: on vidait la maison dedans, et hop! Le tour était joué…
Moi, me revenaient nos valises sépharades. Si voisines : Cette crainte de manquer.
Mais Ce sens de la fête aussi : emporter ce qu’on ne trouverait pas à Cancale :
De la boutargue.
De l’harissa.
Des merguez. Mais des vrais, quoi.
Et toujours, incognita, nos névroses. Indissociables. Nous n’allions pas voyager nus tout de même.
Nos peurs aussi
Nos peurs aussi. Rappelle-toi quand Mangeclous Saltiel Salomon Matthatias partent pour Genève : ils emportèrent tout. Même les pistaches.
Leurs peurs. Les nôtres. Enfantines. Désespérées. Tues
Nous ? Pareil :
On ne sait jamais.
S’il allait faire chaud
Froid
Pleuvoir
Si le serveur allait renverser l’assiette juste sur nous au restau
Michèle Je crains que nos peurs ne fussent notre spécificité. Oui à Nous. Juifs. Qui lorsque nous dûmes partir, dans nos valises pleines à craquer, les ajoutâmes, nos peurs. Avec tout le nécessaire. Tout ce qui nous collait à la peau.
Ainsi Nos départs à tous, Juifs, eurent-ils longtemps des allures d’exode.
Et voilà comment, d’une chronique en apparence légère mais en réalité profonde, – juste le Chabelski’s style– me retrouvais-je avec Vous, Lecteurs, à repenser à La valise abandonnée. Ce livre d’art tiré à une poignée d’exemplaires sur vélin d’Arches 270 g. Dont 10 furent rehaussés à la main en tirage de tête.
A ces lithographies originales de Kenigsman.
Ces poèmes de Jacques Sojcher.
Mais surtout Leurs fantasmes et obsessions communs.
L’histoire avec une Grande Hache de Perec.
La Shoah L’abandon Les parents
Cette valise abandonnée qui donna le titre au recueil[1].
L’homme à la valise
Est le juif errant.
Le migrant a pris la main.
L’oubli vide la valise
De l’humain[2].
Merci à tous nos amis qui comme nous transportent leurs névroses dans leurs valises
[1] Éditions Bruno Robbe
[2] Jacques Sojcher
Bon sang mais c’est bien sûr. Comment n’ai-je pas compris plus tôt.
On est, what else, encore et toujours, victimes.
Si on est soumis à une pulsion irrépressible d’emporter 300 kg de tout et n’importe quoi en 12 valises à chaque voyage, c’est la faute à Hitler.
Ou à Hamann (celui de la Méguilah d’Esther, évidemment). Ou à Amalek, aux « Reyes Católicos» d’Espagne, à Titus, à Saint Louis, que sais-je. Liste non exhaustive.
Si on emporte nos passeports au WC c’est qu’une longue Histoire de persécutions et privations nous oblige à nous prémunir contre tout à chaque instant.
Bah voyons.
Reste à expliquer pourquoi cette manie valisière ne frappe que la gente féminine, Juive ou pas. Jamais vu un homme (un vrai…) se comporter ainsi, Juif ou pas.
La (douloureuse, forcément douloureuse) mémoire juive serait-elle l’apanage exclusif des femmes ? Même non-juives ?
A défaut, force serait d’admettre qu’Hitler et les autres ont, comme souvent, bon dos.