Ils seraient une trentaine encore présents sur le sol libanais, 4.000 à être enregistrés officiellement sur les listes électorales, une communauté discrète qui s’ajoute aux 17 autres confessions que compte le pays.
Avant la guerre de 1967, ils étaient 40.000 présents dans le pays, la plupart avait fui la Syrie ou l’Irak, victimes de persécutions à la suite de la création d’Israël en 1948. C’est au Liban qu’ils avaient trouvé un semblant de havre de paix. Mais tout au long des conflits avec Israël, les juifs sont progressivement partis pour l’Europe, ou l’Amérique du Sud. Peu ont fui chez les “voisins du Sud”. C’est la guerre civile qui a duré 15 ans qui a eu raison de leur présence, et la plupart sont parti pendant ces années là, laissant derrière eux leur histoire, leurs synagogues, leurs cimetières, et leur quartier si connu à l’époque “Wadi Abou Jmil”.
Un quartier bouleversé
Le Quartier Wadi Abou Jmil se situe dans le centre-ville de Beyrouth, à quelques pas aujourd’hui de magasins de luxe et de sièges de banques. Il est désert. Deux militaires gardent l’entrée d’un quartier qui manque de vie, vidé de ses habitants. Derrière les façades d’immeubles lisses et identiques et les verrières, on aperçoit quelques arbres, mais pas de synagogue.
C’est Solidere, compagnie de bâtiment fondée par Rafik Hariri, alors Premier ministre, qui était en charge de la rénovation du quartier. Cette société a refait tout le centre ville de la capitale libanaise, attirant les foudres d’habitants qui ont été délogés contre de modiques sommes, ou qui ne retrouvent plus le côté authentique et accueillant qu’il pouvait avoir auparavant. Wadi Abou Jmil n’échappe pas à la règle, auparavant quartier populaire, il était connu pour abriter de nombreux artisans de toute sortes.
Aujourd’hui, l’on peut voir sur le site de Solidere, la description d’un nouveau quartier qui vante “les allées piétonnes, des rues étroites, […] la circulation lente des voitures” ainsi que des appartements qui “combinent luxe, modernité et intimité”. Des complexes immobiliers appelés Wadi Hills, avec des appartements allant de 230 à 830m2. Fini la mixité du quartier populaire d’antan, Solidere revêt l’habit de calme, et de modernité, accompagné du luxe que cela représente dans une ville aussi mouvementée qu’est Beyrouth.
Mais Wadi Abou Jmil n’a pas toujours été le seul lieu de résidence des juifs beyrouthins. Si l’on remonte encore de quelques siècles, à un quart d’heure à pied de celui-ci, à quelques pas de la fameuse place des martyrs, se trouvait un autre quartier juif. “En 1807, la famille Yedid Levy, originaire de Bagdad, y construit la synagogue Misgab Laddakh” explique Nagi Georges Zeidan, historien, spécialiste du patrimoine juif au Liban. La synagogue sera par la suite démolie dans les années 30. Le quartier, appelé Bab Idriss a accueilli la première école juive, l’Alliance Israélite Universelle de Beyrouth, fondée en 1869 rue de l’Alliance. “Quatre langues y étaient enseignées ; le français, l’anglais, l’arabe et l’hébreu” continue Nagi Georges Zeidan. L’école non-mixte a commencé pour les garçons, et celle des filles ouvrit dix ans plus tard. Elle fermera en 1891 pour rouvrir à Wadi Abou Jmil, à l’emplacement actuel de la synagogue Maghen Abraham.
Les juifs avaient commencé à s’installer dans le quartier à partir de la seconde moitié du XIXème siècle.
Des synagogues infranchissables
Il existe cinq synagogues encore sur pied au Liban, les trouver relève du parcours de combattant, y entrer c’est transgresser la loi.
La synagogue de Beyrouth, Maghen Abraham est fermée à double tours. Le quartier est bouclé, il faut une autorisation de Solidere, qui n’est pas prête à en donner. Le vice président de la communauté lui refuse l’entrée aux non-juifs. Il faut dire que cette synagogue se trouve à quelques mètres de la “maison du centre”, le QG et la résidence de l’actuel Premier ministre, Saad Hariri. Elle a cependant été rénovée en 2009, grâce à 200.000$ de donations privées, pour la plupart, des juifs libanais vivant à l’étranger, mais aussi d’un prêt de l’entreprise Solidere à hauteur de 150.000$.
Maghen Abraham a été construite en 1926, financée par Daoud Sasson, un juif indien d’origine irakienne, pour honorer son père Abraham Sasson.
Dans un autre décor, à 40 kilomètres de la capitale, se trouve la synagogue de Bhamdoun. Pour y accéder, il faut passer derrière un hôtel, être silencieux, éviter les chiens errants et les regards indiscrets des voisins. Une synagogue vidée, délabrée, mais debout. Par la suite, il faut escalader la maison voisine, abandonnée elle aussi depuis la guerre, passer au travers d’hautes herbes, des détritus qui traînent, et monter les marches qui mènent à l’édifice religieux. L’entrée et les photos y sont interdites, comme l’explique un grand panneau sur la façade. Les voisins ne s’y aventurent pas, l’un d’eux nous prévient “il y a un chien enragé à l’intérieur, mais vous pouvez y aller!”, il refusera cependant de nous accompagner.
De la rue, rien n’indique que l’on se trouve face à un édifice religieux, encore moins d’un lieu de culte juif. Mais ce qui est cependant indiqué, c’est l’interdiction d’entrée sous peine de poursuites.
La synagogue est fermée depuis 1976, juste après le début de la guerre civile. Elle a été construite en 1945, pour les juifs libanais qui venaient passer leurs vacances dans la région, assez loin de Beyrouth pour avoir un peu d’air frais, ainsi qu’une vue plongeante sur la vallée et la méditerranée.
Plus proche de Beyrouth, à Aley, une ville à majorité druze, se trouve une autre synagogue. Celle-ci est cadenassée, et pour entrer, il faut contourner des bennes d’ordure, et grimper une haute marche pour arriver dans l’entrée de l’édifice. Des herbes hautes, un lieu où la nature a totalement repris ses droits. Au dessus de la porte d’entrée, une inscription en hébreu.
La synagogue d’Aley avait été construite en 1896 par Ezra Anzarut, “l’un des premiers aleppins à s’établir au Liban, en 1879”. Adjacente à la synagogue se trouvait alors la villa de la famille Anzarut. Cette dernière a fui le Liban “au début de la Première guerre mondiale, alors que Ezra avait été arrêté, puis libéré par les autorités ottomanes”. C’est ainsi que tous les biens de la famille furent soit pillés, soit laissés à l’abandon.
Deux cimetières bien cachés
Il y a deux cimetières juifs au Liban. L’un à Beyrouth, dans le quartier de Sodecco, et l’un à Saida, à une heure de route, au sud de la capitale.
Le cimetière de Beyrouth est invisible à l’oeil nu. Il se situe juste à côté d’un café, en bord de trottoir. Une grille fait office de porte d’entrée, et seule une inscription en hébreu, à moitié effacée, nous aide à identifier le lieu comme appartenant à la communauté juive. Pour entrer, il faut demander au café les clefs, mais cela fonctionne surtout par chance. Nagi Georges Zeidan a répertorié toutes les tombes du cimetière, “il y en a précisément 3313”. Le cimetière a été construit en 1827. La tombe la plus ancienne datant de cette année, et la plus récente de 2012.
Le cimetière, situé à quelques pas de l’ambassade de France, se situait sur la ligne de démarcation entre l’ouest et l’est de la ville (musulmans et chrétiens) lors de la guerre civile de 1975-1990. Il n’a pas été trop endommagé, mais certaines stèles gardent des séquelles de cette période tragique.
L’autre cimetière du pays est situé dans une ville à majorité sunnite en bord de mer. Pour trouver le cimetière, il faut longer la mer, dépasser la citadelle touristique, le marché de poisson, et entrer dans une zone industrielle à ciel ouvert. En effet, le cimetière se trouve derrière des travaux. La muraille qui l’encercle n’empêche pas vraiment les squatteurs, ni les travaux de s’inviter dans l’enceinte du cimetière.
En avril dernier, Nagi Georges Zeidan s’est rendu compte d’une ouverture dans les murs qui entourent le cimetière. “Ils voulaient construire une autoroute, et passer sur le cimetière!” s’insurge-t-il. “J’ai averti l’avocat de la communauté, Maitre Bassel el-Hout, qui a directement porté plainte contre X”. L’avocat s’en félicite d’ailleurs, “grâce à la plainte, l’entreprise en charge des travaux a rebouché les trous dans les murs”. Le cimetière est sauf, pour l’instant.
La communauté juive du Liban est en voie de disparition, mais ses descendants, émigrés aux quatre coins du monde, espèrent revenir à leurs racines, pour redécouvrir le pays qu’ils ont laissé, ou dont ils ont tant entendu parler. Certains ont déjà fait le voyage, c’est l’une des raisons pour laquelle le travail de préservation de la mémoire est si important. Liban, pays qui compte 18 communautés religieuses et connu pour son vivre-ensemble, doit s’assurer que la communauté juive ne soit pas en reste
Sophie Grison
Article bienvenu. Pour ceux qui préfèrent l’enseignement du passé aux querelles stériles du présent, il faut lire les travaux du professeur FRANCK SALAMEH (Boston College) sur le Liban et l’importance des Juifs Libanais dans cette histoire.
Superbe article sauf dans le chiffre 40 000
Mon nom est mentionné dans l article
Comme Nagi Georges ZEIDAN, historien, spécialiste du patrimoine juif au Liban.
Je présume que le nombre de la communauté Juive du Liban n’a jamais dépassé le chiffre 6.325 Juifs
Merci de votre article. Je suis heureux que la mémoire de la communauté juive du Liban dont je suis moi-même issu soit rappelé de temps a autres. C’est rare en France ou la communauté juive sépharade est très majoritairement d’origine nord africaine et les juifs moyen-orientaux un peu « invisibles ». J’ai toujours entendu que la diaspora juive libanaise (descendants compris) est composée de 20000 ames, répartis aux 4 coins du monde. Donc effectivement 40000, c est beuacoup. En tout cas, je peux confirmer que nombre d’entre eux rêvent de se rendre au pays, de visiter leurs lieux et prier auprès des tombes de leurs parents enterrés sur place. Et tous gardent la nostalgie de ce que fut le Liban, une sorte de bulle de bonheur jusqu’à la guerre civile. Vous seriez étonnés de voir l’attachement qu’ont les juifs d’origine libanaise envers ce Liban-là !