Philip Roth, Romain Gary et les Juifs, par Victor Kuperminc

Philip Roth avait interdit tout rituel juif  à l’occasion de ses funérailles.  Le prolifique auteur américain – et juif – mort récemment, à l’âge de 85 ans, a été enterré au « Bard College cemetery, à Annenedale-on-Hudson, Etat de New-York.

Roth, voulait être enterré près de ses parents, au cimetière Gomel Chesed, à Newark, sa ville natale. Mais, le coin était mal fréquenté; et de toute façon, Roth n’a pas trouvé de place proche de ses parents. Alors, Roth avait décidé, il y une quinzaine d’années, d’être enterré dans le Bard College cemetery, où il serait près de son ami, Norman Manea, un écrivain juif Roumain, un professeur du collège. En plus, Roth était un ami proche du Président du Collège, Leon Botstein, également juif.

« Il m’a dit qu’il voulait reposer avec d’autres juifs, pour pouvoir parler à quelqu’un » affirme Blake Bailey, son biographe. Et Hannah Arendt, est également enterrée ici, auprès de son second époux, Heinrich Blucher.

Roth avait expressément émis le vœu de ne pas être enterré selon les rituels juifs. Selon Bailey « il n’y a pas de dimension métaphysique à son refus ; il pensait simplement  que ‘tout cela, c’était des contes de fée’ « . Et Bailey ajoute : « Bien que l’école hébraïque l’ait emmerdé au delà de toute expression quand il était gamin, il était heureux d’être juif ; il aimait ses amis, leur comportement chaleureux. Ce qui ne l’empêcha pas de s’en moquer cruellement, particulièrement dans « Portnoy et son complexe », son roman de 1969 qui témoigne de la frustration sexuelle des Juifs, en général ».

J’ai toujours considéré Philip Roth comme le Romain Gary américain. A moins que Gary ne soit le Roth français. Si nombre de points les sépare (l’âge, la langue d’écriture, par exemple) beaucoup les rapproche. Et j’imagine un dialogue improbable entre ces deux géants de la littérature.

« Gary : Eh, Philip, tu es là, sous terre, ta terre promise américaine. Moi, je ne suis nulle part, j’ai voulu me faire incinérer. Je viens t’accueillir au Ciel, auquel tu n’a jamais cru, et moi non plus.

Roth : Salut. Qui es-tu exactement, Romain Kacew, ou Emile Ajar ? Ou bien Moshé Cohn, dit Gengis Cohn ?

Gary : Et toi ? Philip Roth ou Nathan Zuckerman ? ou bien Alex Portnoy ? Ce qui est sur, c’est que nous sommes, tous les deux, de bien mauvais juifs.

Roth : Je suis plus mauvais que toi. Est-ce qu’on t’a jamais traité d’antisémite ?

Gary : Non, mais c’était tout juste. Les juifs, je les ai toujours aimé, comme toi. Mais je me suis souvent moqué d’eux, donc de moi-même. C’est Gengis Cohn qui le dit : « Les noms que nous portons, nous ne les avons pas choisis. Nous nous appellions « fils d’Aaron », « fils d’Isaac », etc. Après la diaspora, nous nous sommes retrouvés en Allemagne. On nous a distribué généreusement des patronymes moins vagues. Alors, ils nous ont affublés de noms souvent ridicules, comme « Katzelenlebogen », c’est à dire « le coude du chat ». Ou bien « Sardinenfish ». Ou encore, « Shmokowski », et bien d’autres. »

Roth : Et moi, mon Portnoy qui tient  tête à son père  – oh, ce père affectueux, anxieux, borné, constipé – qui exige qu’il s’habille correctement parce que c’est Rosh Hashana. Et que répond le jeune Alex ? : « Je ne crois pas en Dieu, ni à aucune religion. Tout ça, c’est que des mensonges. Ces fêtes n’ont aucun sens ». Eh bien, Alex Portnoy, c’est moi ; en tout cas, c’est que pensaient les Juifs de Newark !

Gary : A quoi est-ce qu’on joue-là ? A qui est le plus mauvais juif ?  Alors, comment expliquer notre gout du yiddish ; alors que tu manies si bien la langue de Shakespeare ; et moi, je me débrouille pas trop mal dans celle de Molière.

Roth : C’est vrai que mes éditeurs  ont très souvent ajouté à la toute fin de mes livres un glossaire qui permet au lecteur – celui  pour qui la langue de Singer, c’est de l’hébreu, ou du chinois –  de comprendre le sens précis des mots en italique, dans le texte. Et, à propos de Singer, il pose la question : « Pourquoi Caïn a-t-il tué Abel ? Réponse : Parce qu’il ne faisait rien qu’à lui raconter des histoires juives que tout le monde connaissait déjà !»

Gary : Ce qui est sur, c’est que les jurés de Stockholm  n’ont rien compris. Et tu leur a fait un joli bras d’honneur, en partant juste au moment où ils décident de ne pas décerner le Nobel ! Des prix, tu en as eu, et de prestigieux, mais pas celui-là !

Roth : Dis donc, tu me ferais pas une crise de jalousie ? Et le Prix Goncourt, qui en a eu deux ?  Même que tu les as bien couillonné avec ton « dibbouk » Emile Ajar ? Tu vois bien qu’il y de quoi devenir antisémite. J’en rigole encore !

Gary : Bon, je te laisse, repose toi, tu le mérites. Tu me fais signe, quand tu veux, tu n’as qu’à penser à moi, et j’arrive. Surtout si tu as un bon witz à me raconter. Et bien le bonjour à Hanna, je crois savoir qu’elle n’est pas très loin !

Victor Kuperminc 

Note destinée à ceux qui voudraient bien comprendre nos deux héros 

Je recommande : Les joies du Yiddish, de Leo Rosten, traduit et adapté par votre serviteur (Calman-Lévy, 2011)

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1 Comment

  1. Je complète, à ma façon, leur conversation écourtée.
    Viviane Scemama Lesselbaum, la séfardie-ashkénaze.

    Roth:Que devient ta yidishée mamé?

    Gary: Tu veux dire qu’est-ce qu’elle est devenue? Tiens-toi bien, elle était obsédée par mon avenir. A l’âge de dix ans, elle me voyait jongleur ou Président de la République comme Victor Hugo disait-elle. D’où elle a sorti çà?

    Roth: Alex Portnoy, c’est moi, çà sent moins le Juif, comme dans la pièce de Viviane: »En attendant Margot »: Agnès intervient! …Je ne suis pas croyante, mais je t’interdit de jurer sur la Torah!

    Gary: Je ne retrouve pas ce passage dans: « En attendant Godot »

    Roth: Tu fais l’idiot ou quoi? Il s’agit d’un Shabbat avant la Havdallah à Tunis, chez Margot.

    Gary: Ma mère,la judéo-franco-polonaise, ne rêvait que de grandeur pour son fils. Les noms célèbres pré-choisis par elle, connus de tous, même de nos concierges, étaient éliminés d’office; ceux à particules, n’en parlons: sa hantise: et si il y a une nouvelle révolution…
    Je suis tenté de te traduire les mini-sobriquets issus du yiddish pas trop méchants, souvent ridicules, ou carrément vulgaires comme « Schmokowski »…
    Il se fait tard, et comme on dit en français: A plus!
    Viviane Scemama Lesselbaum

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