Pologne: la fierté nationale prônée par le PiS s’accommode mal de l’Histoire

Après l’adoption d’une loi pénalisant les discours qui attribuent une responsabilité à la nation ou à l’Etat polonais dans le déroulement de la Shoah, le parti Droit et Justice (PiS), au pouvoir à Varsovie, semble peu enclin à faire acte de repentance sur la répression, aux relents antisémites, du soulèvement de mars 1968. Un passé douloureux qui écorche la « fierté nationale » que les autorités aimeraient voir s’affirmer dans le pays.

Devant les grilles de l’université de Varsovie, le 8 mars dernier au matin, quelques dizaines de Polonais campent, mégaphones aux lèvres et banderoles à bout de bras. Coïncidant avec la « Journée internationale des droits des femmes », les commémorations de la répression de la manifestation du 8 mars 1968 offrent un métissage de revendications parfois confus. Qu’importe, il s’agit de se faire entendre du président Andrzej Duda, issu du parti Droit et Justice, dont la venue sur le campus est annoncée pour la mi-journée.

Derrière les grilles, les journalistes sont déjà sur les derniers réglages, cernant la plaque où le chef de l’Etat doit déposer une gerbe en souvenir d’un moment peu glorieux pour l’Etat polonais : cinquante ans auparavant, pour enrayer une contestation étudiante née de la censure d’une pièce de théâtre, les autorités invoquaient une « cinquième colonne sioniste » et organisaient de vastes purges antisémites au sein de l’administration. Une politique qui poussa au départ près de 15 000 juifs sur les quelques dizaines de milliers qui étaient restés après la guerre, un peu plus de vingt ans après l’Holocauste et ses millions de morts.

Cette dernière référence est d’ailleurs dans toutes les têtes ce matin-là à l’université. Une semaine auparavant, le 1er mars, la loi pénalisant les discours imputant une responsabilité à l’Etat polonais dans la Shoah entrait en vigueur, provoquant l’inquiétude des historiens, l’ire d’Israël et la réprobation d’une grande partie des partenaires européens et américain.

Andrzej Duda se présente enfin et entame un discours d’une douzaine de minutes, parfois couvert par les huées des manifestants qui se comptent désormais par centaines. Mais à la surprise des commentateurs, il demande de « pardonner », «  pardonner la République de Pologne d’alors pour cet acte honteux ». Quelques secondes auparavant, le président avait néanmoins pris soin de préciser : « La génération d’aujourd’hui, la Pologne libre et indépendante d’aujourd’hui [à la différence de la Pologne communiste d’alors], ma génération, ne porte pas la responsabilité [de ces évènements] et ne doit pas par conséquent s’excuser. » La veille, le Premier ministre Mateusz Morawiecki résumait un peu mieux la rhétorique du pouvoir sur ce sujet : à cette époque, la Pologne « n’était pas un Etat indépendant et souverain » et sa politique « dépendait de l’Union soviétique ».

Délicate contrition

Un authentique acte de contrition est-il ainsi possible pour un pouvoir qui érige la fierté polonaise en principe cardinal de sa politique ? Cette « fierté nationale » que le président lui-même avait enjoint à ses concitoyens de retrouver, lors de ses vœux pour la nouvelle année. Une Pologne qui se tiendrait droite dans ses bottes, par exemple, face à la ligne jugée trop libérale de Bruxelles, et qui désormais s’opposerait à une lecture « culpabilisante » de l’Histoire.

Dariusz Stola, le directeur du Musée de l’histoire des juifs polonais (Polin), situé un peu plus au nord à Varsovie, a son avis sur la question. Son institution propose une exposition retraçant les évènements de mars 1968, intitulée « Etrangers chez soi », sur laquelle le pouvoir a eu quelques critiques. « Si le Premier ministre a déclaré son amour pour le musée Polin, deux choses ne lui plaisent pas dans le titre de l’exposition : le terme « d’étranger » car ces juifs étaient « nos frères et sœurs polonais » et le terme « chez soi », car pour Mateusz Morawiecki, la Pologne communiste n’était pas vraiment la Pologne. Or c’est précisément pour cela que nous avons choisi ce titre, pour inciter à la réflexion. »

Dariusz Stola, qui a été signataire, en 2005, d’une lettre de solidarité avec les historiens français qui protestaient contre un article de loi énonçant l’aspect « positif de la colonisation », s’inquiète aussi des conséquences que pourrait avoir le loi polonaise sur la Shoah : « Dans un cas comme dans l’autre, il y a quelque chose de très dangereux, c’est cette tentation pour le politique de dire à l’historien ce qui s’est passé. » Or trop de flous persistent : « Certes un paragraphe précise que cette loi ne s’appliquera pas aux travaux historiques et artistiques, mais ce sera au procureur de décider ce qui constitue un travail historique ou artistique… »

Retour aux commémorations. Aux curieux, aux mécontents, se mêlent des personnages moins anonymes. Certaines figures des contestations qui ont émaillé les dernières décennies de la Pologne sont aussi venues se souvenir de cette année 1968 qui en a poussé certains sous la lumière et a forgé le militantisme des autres.

Adam Michnik est des premiers. L’actuel directeur de publication du plus grand journal de Pologne, Gazeta Wyborcza, de tendance libérale, est l’un des deux étudiants qui furent renvoyés de l’université il y a cinquante ans, prélude aux manifestations varsoviennes qui se sont ensuite étendues à toute la Pologne. Il est venu avec d’autres témoigner de sa vision de l’histoire et offrir un contre-point aux discours officiels.

La campagne antisémite qui a répondu au soulèvement étudiant – et qui avait d’ailleurs déjà débuté plus discrètement un an plus tôt – a surtout été le prétexte pour confirmer l’emprise des « nationalistes communistes polonais » sur l’appareil d’Etat, en évinçant la vieille garde : « Je pense qu’il y avait à la fois de vrais antisémites, dans le style d’avant-guerre, mais aussi d’autres qui se sont alliés à la campagne, juste pour des raisons de carrière », estime aujourd’hui celui dont la famille juive polonaise a eu à souffrir de la politique menée par les autorités de l’époque.

Lacunes de l’enseignement

Adam Michnik est une figure respectée dans les milieux étudiants et intellectuels pour son parcours résolument engagé en faveur de la démocratie. Néanmoins, quand il regarde la foule qui se presse à ses conférences, il ne peut que constater la faible présence de la jeune génération : « Je voyage beaucoup en Pologne, et je vois qu’aux rencontres auxquelles je participe, en général il y a plutôt des gens de plus de 35 ans. » S’il n’en tient pas rigueur – « moi non plus je ne m’intéressais pas à ce qui s’était passé avec la guerre » – Adam Michnik touche ici un problème intrinsèque à la société polonaise et qui fait les beaux jours des discours révisionnistes.

« Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que le niveau de connaissance historique chez les jeunes est vraiment très faible, regrette Dariusz Stola. Avant de commencer l’exposition, nous avions commandé une enquête pour évaluer ce que les jeunes de Varsovie savaient de Mars 1968, et l’enquête a montré que seuls 3 % d’entre eux pouvaient raconter quelque chose sur le sujet. »

Le directeur du musée de Polin, par ailleurs enseignant, pointe ainsi les lacunes du système éducatif polonais : « Il y a cette tendance générale en Europe d’une baisse des connaissances historiques chez les jeunes, mais il y a aussi des spécificités bien polonaises. Pendant très longtemps, l’histoire contemporaine, celle d’après-guerre, n’était enseignée qu’à la fin du lycée, souvent au cours du dernier trimestre, alors que les examens approchaient. C’est un peu la malédiction de l’enseignement de l’histoire en Pologne : certains élèves ont pu étudier trois fois l’Antiquité sans n’avoir rien appris des évènements récents. »

Inquiétudes de la communauté juive

Cette méconnaissance, conjuguée à une défiance du politique vis-à-vis de faits historiques, contribue en outre à fragiliser le lien qui s’était peu à peu reformé entre la communauté juive de Pologne et l’Etat depuis la fin du communisme.

Mars 1968, les purges, les départs par milliers vers Israël avaient en effet sonné le glas de vie culturelle juive dans le pays. Il aura fallu de nombreuses initiatives, ponctuées de gestes symboliques, pour esquisser une réconciliation. Preuve d’ailleurs que la contrition n’a rien d’aisée, les excuses présentées en 2001 par l’ancien président Aleksander Kwasniewski pour le massacre de Jedwabne en  juillet 1941 – perpétré en partie par des Polonais – avaient suscité de vifs débats dans le pays.

Or les remous politiques actuels autour de la Shoah et de Mars 1968 ont décomplexé une parole de haine qui ne s’embarrasse plus de demi-mesure. Y compris dans les médias. L’été dernier, le Congrès juif européen (CJE) s’inquiétait ainsi « d’une hausse spectaculaire des incidents antisémites en Pologne ». Interrogée par le Financial Times il y a quelques jours, Anna Chipczynska, présidente de la Communauté juive de Varsovie, résumait la situation par une réflexion personnelle : « Je me demande si j’ai un avenir ici. Beaucoup de parents se posent aussi cette question. Beaucoup de gens s’interroge : puis-je être toujours aussi à l’aise avec ma judéité ? »

Au musée Polin, toutes ces polémiques ont aussi poussé à un changement dans l’exposition : le panneau présentant les messages antisémites recueillis sur internet a été modifié. « Au cours des dernières semaines, il y a eu tellement de messages de ce type-là qu’on a pu en choisir des nouveaux. » Une modification que n’a guère appréciée le ministère de la Culture qui s’est empressé de refuser une subvention au motif qu’il était « injustifié de lier les évènements de Mars 1968 avec l’actualité contemporaine… »

Marc Etcheverry

Source rfi

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