Cette semaine, il m’a été difficile d’oublier. Que outre que j’étais une femme, française, laïque, née en Tunisie, un être fait de ces mille choses qui le composent, des enfants, des ados, des passions, des larmes, des rires, des amis, de la musique passionnément, de l’Art en majuscule, de l’amour pour les petites choses, des amours, des mots, des auteurs, des voix, des goûts, des couleurs, des senteurs, des chagrins, des joies, Ben j’étais aussi … Juive.
Ben quoi. Il avait raison mon sioniste de grand-père Ce compagnon de lutte de Jabotinsky Max Nordau et Théodore Herzl. Mon Journaliste politique de grand-père. Au temps où écrire était un acte militant. Où il y avait cohérence entre tes mots et ta manière de vivre. Il avait raison, donc, lorsqu’un jour il dit à la petite fille que j’étais : si tu l’oublies un jour, ils viendront te le rappeler. Et ce grand-père, il n’avait pas la détresse désespérée d’un Elie Wiesel. Il avait la pré-science de ce devenir. Conjuguée à la fantaisie la plus merveilleuse qui fût.
Grand-papa j’ai pensé à toi cette semaine où se sont télescopés la reconnaissance du caractère antisémite de l’assassinat de Sarah Halimi. La non-reconnaissance du caractère antisémite de l’agression de cet ado violenté par 8 jeunes au sortir de la syna le soir de Pourim. Traité de sale Juif. Le procès fait à mon ami Ranson pour un dessin un peu connoté Mennel. Celui fait à mon ami Benoît Rayski Mais aussi Benoît De quoi j’me mêle Moi Juif A donner mon avis sur Jeanne Jeanne d’Arc Quand même Après tu t’étonnes d’être traité de Youtre Sale Youpin
Bref vous le cherchez bien les garçons Olivier et Benoît Et moi aussi d’ailleurs Les menaces de Panamza : Pareil Ben J’avais qu’à me taire et puis basta
D’ailleurs D’ailleurs Lorsque j’étais allée déposer plainte parce qu’ils avaient diffusé ma photo Le nom de la fac où je donnais mon cours La matière que j’enseignais Y a bien eu un flic pour oser un Mais enfin Vous savez bien Il faut se taire aujourd’hui C’est dangereux tout ça !
Même que j’ai pas eu le temps de réagir Un collègue de ce lâche l’avait saisi au collet pour le ramener à la raison.
Ce soir je me souviens de cette projection de presse : Les Quatre sœurs. Ces 4 films réalisés à partir des rushes de Shoah. Claude Lanzmann. Une même journée. 4 portraits. Les deux premiers s’étaient succédé. J’avais invité Kathy et voilà qu’elle pleurait. Quand la salle s’était rallumée, que nous nous retrouvâmes tous au bar, le silence était insolite. Les saluts graves. Les yeux rougis. Mais nous fîmes tous bonne figure : Pleurer. Non mais ça va pas.
Pour tout te dire, alors qu’il m’arrive, bien heureusement, d’être étreinte aux larmes par l’émotion, une joie toute particulière, Youkali ou encore une tristesse profonde, je m’étais ce jour-là sans doute conditionnée. D’où venait-il, ce regard froid, si ce n’est que je l’avais résolument drivé. Comme obstinée à le dénuer de toute charge émotionnelle. Pour conserver tout mon quant à moi. Ces quatre portraits, je les avais ainsi tous regardés, sans l’avoir décrété, sans même en avoir eu conscience, à travers le prisme de l’islamisme. Oui tu as bien lu : l’islamisme. Que je ne veux même plus qualifier de radical. L’islamisme. Celui dont tous taisent le nom, et dont je voyais par écran interposé comme une esquisse, quelque chose en ombre chinoise. Dans cette autopsie que Lanzmann nous donnait à voir de la stratégie nazie.
J’avais vingt ans lorsque mon père mourut. Au cimetière ? Larmes : zéro. Tant elle était profonde ma détresse.
Idem dans ce cinéma J’étais pétrifiée. Je te passais ça au scalpel. Je n’y avais pas réfléchi. Avant. C’était apparu. Brutalement. Comme une évidence.
Et puis j’avais laissé ça de côté. En me disant qu’en mars j’en réfèrerais à Georges. Bensoussan. Un pro non ? La référence ? J’lui demanderais si j’étais pas un peu barrée : Georges voilà comment j’ai regardé les rushes de Shoah. Allo Docteur. Bien sûr tu pris quelques amants Il fallait bien passer le temps écrivit le Grand Jacques.
Je l’ai retrouvé, aujourd’hui, 6 mars. Georges Bensoussan. Et au cours de ce qui devint, en lieu d’interview, une conversation avec mult digressions, j’lui ai demandé. Si à son sens j’étais pas un peu barrée. Avec mes idées, là. Et tu sais quoi ? J’avais l’air d’une pomme, avec mes hésitations. Tant lui était convaincu. Mais ça, je te raconterai. Du coup, j’lui ai dit le titre de mon papier qu’était rien qu’un brouillon: Je suis Juive et je t’emmerde. Et je lui ai raconté.
Que je sais bien qu’il y en a quelques-uns que ça gave. Ma lubie, qu’ils disent. Parce que ça colle pas, ce qui sonne comme une obsession, avec la femme que je suis. Qui aime Danser Rire Skier Boire Parler Fumer Cuisiner Se taire Ecouter regarder S’amuser Jouer Séduire Tout ça ça colle pas avec ce qui devient une pensée obsédante.
Moi, en attendant de rencontrer GB, comme Richard Prasquier et comme tant d’autres in fine, je m’étais appliquée à recenser un système de points communs à ces deux idéologies monstrueuses. Je ne parle pas des crimes nazis. A jamais indépassés. Indépassables. Encore que. Encore que.
Je parle juste idéologie. Et stratégie mise à l’œuvre par ces deux projets funestes. Le Juif Ennemi number one. Mais encore ce processus de déshumanisation à l’œuvre.
Cet islam radical que d’aucuns nomment salafisme djihadiste. Qui prétend poursuivre l’œuvre divine en annihilant l’ennemi. Cette place d’ennemi prioritaire attribuée au Juif. Leur cible. L’objet unique de leur obsession.
Leur projet apocalyptique. Exprimé dans La Charte du Hamas : Quand les temps arriveront, chaque musulman devra tuer son Juif.
Me revoilà encore décidément face au même questionnement. Tant l’antisémitisme était une composante essentielle de l’idéologie de l’islamisme radical. Comme il l’avait été du nazisme.
Mais encore la déshumanisation de l’autre. A laquelle Primo Levi consacra tant de pages. Richard Prasquier rappelait[1] comment pour les nazis, les Juifs étaient des cafards. Des rats. Des poux. De grosses bactéries. Les islamistes radicaux ? Eux assimilaient Juifs et Chrétiens à des bâtards de singes, de porcs, d’ânes ou de chiens.
Tant il semblait que décréter que son ennemi n’était pas humain autoriserait à le tuer plus aisément. Qu’il soit enfant ? Et alors ? Mohamed Merah n’avait-il pas tiré à bout touchant[2] dans la tempe de Myriam. Les nazis, eux, avaient économisé bien des balles en lançant la tête des bébés contre les arbres et on sait tous les expérimentations de Mengele et des autres. Lanzmann, lui, fit parler des mères jeunes accouchées auxquelles le docteur fou retira le nouveau-né à des fins d’expérience. De même, Amaq, le site de propagande de l’EI, son AFP, quoi, exhorte chaque seconde à se saisir des plus jeunes. Proie aisée. Et à les fracasser. Comme bon il vous semblait. Une pierre Un marteau Une corde Foin de raffinement Prenez ce qui se présente à votre chaste main. Allah vous le rendra.
Deux idéologies ? L’une qui se fondait sur le surhomme. L’autre qui faisait référence à l’au-delà : Meurtriers pour la gloire d’Allah. L’une, experte à se saisir de la nouvelle technologie, qui filmait et exhibait ses trophées. L’autre qui ne put s’offrir un tel raffinement dans l’horreur. Regrets éternels. Même s’il en fut pour affirmer que l’organisation Etat islamique et ses avatars, inspirés par une religion absolutiste, une croyance fervente en l’au-delà et, surtout, la volonté de scénariser et de montrer les horreurs auxquelles ils se livraient, représentaient un mal plus absolu encore. Mais Maarten Boudry[3] scandalisa la Belgique en prétendant l’hitlérisme moins dangereux que le djihadisme armé. Ecrivant qu’au nom d’un souci d’efficacité, les nazis, incarnant le mal absolu, n’auraient pas mis leurs forfaits sur YouTube, arguant sur la honte qui aurait traversé l’esprit de ces criminels. Ce qui déchaîna à son encontre les pires accusations de négationnisme. Oublieux qu’il était soudain des déportations, rafles et autres fusillades.
Barrée que j’étais, j’suis allée voir du côté de chez Swann Non Non Du côté de Matthias Küntzel. Au point où j’en étais. Celui-là, il la savait par cœur la généalogie de l’antisémitisme islamiste qui, rappelle-t-il, débuta dans les années 30 avec le fondateur des Frères musulmans, déjà soutenu par Hitler. Regarde. T’as même Boualem Sansal qui t’exhorte à le lire, le chercheur allemand, et évoque les liaisons très dangereuses entre nazisme et islamisme lorsque Küntzel se livre à une généalogie inédite de la haine du Juif, colonne vertébrale depuis ses débuts de l’islamisme moderne. Lorsque le même te parle du mouvement politico-religieux islamiste né pendant les années 30, favorisé qu’il fut par la montée du Nazisme.
Non ! J’veux pas qu’on me l’dise que l’Organisation des Frères musulmans fut fondée en 1928 par le grand-père de Tariq Ramadan. L’Embastillé. Le diplômé de pacotille. J’veux pas en entendre parler de ce pogrom irakien. 1941. De celui du Caire. 1945. De ces tracts qui déjà réclamaient le boycott des marchandises juives et des magasins juifs. Du journal Al-Nadhir et de sa colonne régulière appelée Le danger des Juifs d’Égypte. Des noms et adresses d’hommes d’affaires juifs qu’on y recensait. De ces éditeurs de journaux prétendument juifs partout dans le monde.
J’veux pas le savoir que le célèbre C’est la faute aux Juifs d’Albert Cohen était déjà une antienne connue : Juifs responsables du communisme jusqu’aux bordels.
J’veux pas qu’on me l’dise que la Charte du Hamas fut adoptée dès 1988 face à un unique ennemi : le Sionisme en Israël mais aussi dans le monde : la Weltjudentum ou Juiverie mondiale dénoncée par les nazis. Chuuuuut Tais-toi J’veux pas le savoir qu’aux dires de la dite Charte, les Juifs étaient déjà derrière tous les malheurs du monde : de la Révolution française jusqu’à la création des Nations Unies et du Conseil de Sécurité. Afin de régner sur le monde par leur intermédiaire.
Mets-toi un peu à la place des islamistes : aucune guerre n’éclata où que ce soit dans le monde sans porter leur marque. Que voulais-tu qu’ils fissent. Dès lors : Tuer le Juif. Tel devint le programme. All included.
T’es Juif. T’es Juif aussi. Ne t’en déplaise. Observant. Laïque. T’es Juif. Tu fatigues le monde à la longue. T’existerais pas ? Imagine un peu. Peace and love.
Ernest Renan. Odon Vallet et ses délires[4]. Qui refusait d’utiliser une majuscule pour désigner les Juifs et écrivit à tort que le terme antisémite fit son entrée dans le vocabulaire français en 1894, en pleine affaire Dreyfus. Que le mot antisémitisme retrouva son sens global au procès Papon: on y montra comment une même police pouvait tour à tour livrer des Juifs aux nazis et jeter des Arabes dans la Seine.
Alors quoi ? Expulsés vers la Palestine ou boutés hors de Palestine dans les rêves les plus fous de tous ceux-là. Quel boulot dans les deux cas de figure. D’autant que, comme tous le savent, ils sont partout. What a balagan indeed.
Sources:
Djihad und Judenhass. Über den neuen antijüdischen Krieg. Jihad et la haine des Juifs, ou la nouvelle guerre contre les Juifs. Ça ira-publishing house. Freiburg. Allemagne.
Jüdische Allgemeine. Berlin. No. 1/03. 2 Janvier 2003. Traduction française Albert CAPINO pour PRIMO-Europe.
L’invention racialiste du Juif, Raisons politiques. 1/2002. N°5. Pierre-André Taguieff.
Article du journal Le Globe. 28 novembre 1879. Sur la création d’une ligue antisémitique à Berlin.
Jihad et haine des Juifs – Le lien troublant entre islamisme et nazisme à la racine du terrorisme international. Matthias Küntzel. Editions du Toucan. 2015.
[1] Le Monde. 17 octobre 2012.
[2] L’expression est de Richard Prasquier. Je la lui emprunte. Elle est terrifiante de vérité.
[3] Peut-on mettre le nazisme et l’antisémitisme en balance ? Marteen Boudry. Le Monde. 15 septembre 2017.
[4] L’«antisémitisme»: une hostilité contre les Juifs. Genèse du terme et signification commune. Gilles Karmasyn. PHDN. Mars 2002.
Sarah Cattan
Comment s’appelle le fait d’écrire : etc…
c’est dommage car cela brise le rythme d’une belle écriture , d’une pensée intelligente et sensible … excusez moi pour cette remarque mais c’est une preuve de fraternité.
« barrée » certainement, et même plutôt gravement !
Il serait temps que vous vous occupiez de vous.
Comme cette lecture fait du bien !!!
J’en redemande encore et encore.
Je souhaiterais retrouver des écrits de cette Belle Personne qu’est Sarah Cattan, alors aidez-moi
« Oui tu as bien lu : l’islamisme. Que je ne veux même plus qualifier de radical. L’islamisme. »
Dite islam, c’est encore plus court et en plein cœur du sujet…
Quelle belle plume!, quelle finesse verbale, quelle exactitude!.
Barrée dites- vous?, possible!….un peu certainement, mais n’en deplaise aux antisemites, tellement juste, …le merite est grand, vous dites tout hautce que tous pensent tout bas…bravo.
Juive oui, emmerdeuse? Mille fois oui
Chère Sarah Cattan, il y a trois mots inutiles dans le titre de votre chronique, et c’est bien dommage.
En vous creusant un peu les méninges, vous auriez sans doute trouvé mieux pour exprimer les sentiments que vous ressentiez en rédigeant votre article, et ce, sans heurter la sensibilité de certains de vos lecteurs.
En somme mettre un peu de pommade afin de mieux glisser et surtout ne pas choquer..surtout pas…
Encore un qui affirme a qui veut l’enrendre…
« »‘Je suis francais…moi…monsieur.. » »‘
Cher David,
Vous n’avez rien compris, aussi je considère comme nulle et non avenue votre réaction à mon commentaire.
Vous m’obligez ainsi à expliciter ce commentaire, précision que voici : les « trois mots inutiles » auxquels j’ai délibérément fait allusion DISCRETEMENT, donc sans les citer, – car je m’interdis systématiquement d’user d’expressions vulgaires -, sont : « je vous emmerde », (pardonnez-moi), mots parus dans le titre de l’article de Madame Sarah Cattan, Sarah que j’affectionne au moins autant que vous.
Justement, puisque j’ai de l’estime pour elle, je lui rappelle l’importance de la bienséance en toutes circonstances, et en premier lieu face à ses lecteurs.
It is good to recognize conservative Islam as the problem. Now to please recognize that Europe and the west is responsible for spreading these ideologies to combat « communism », i.e. independent secular arab nationalism.