Cher Ilan. Il est de ces tristes anniversaires. Le 13 février désormais porte ton nom. Tu aurais eu 36 ans. Tu aurais pu être mon enfant. Je ne m’appelle pas Ruth Pourtant ils sont rares les jours où je ne pense pas à Toi. A elle.
Pour nombre d’entre nous, tu restes le marqueur de la barbarie naissante. Celle qui s’auto-nomma Gang des barbares et que nous découvrîmes avec sidération un 13 février.
Pour nombre d’entre nous, tu fus le premier de ce siècle à avoir été assassiné pour la seule faute d’être né juif. Mais Michel Zerbib de Radio J me rappelait ce matin -tous parlent de toi- que le journaliste Daniel Pearl avait été décapité à Karachi par des membres d’Al-Qaïda, en 2002, après avoir dit face caméra: Mon père est juif, ma mère est juive, je suis Juif. Que le 21 février, une vidéo était mise en ligne : The Slaughter of the Spy-Journalist, the Jew Daniel Pearl.
Il me rappela encore qu’en 2003, Adel Amastaibou égorgea Sébastien Sellam, avant de se précipiter chez sa mère en hurlant qu’il irait au Paradis puisqu’il avait tué un juif..
C’est qu’on avait tous perdu l’habitude. Un Juif pour l’exemple, qui raconte la mort d’Arthur Bloch, ce marchand de bétail tué pour l’exemple, le 16 avril à la foire aux bestiaux de Payerne, ben nous, 1942, on avait enfoui tout ça.
Ilan je voulais te donner des nouvelles du monde tel qu’il alla depuis que ce sinistre gang t’enleva. Te séquestra. Te lyncha. Ilan douze ans après, il ne fait plus bon être Juif dans le pays qui te vit naître.
Frédéric Haziza, Natacha Polony, Manuel Valls et tant d’autres avaient certes déjà déploré[1] qu’on eût fait preuve de tant de laxisme envers ce qu’ils appelèrent tous dès 2014 l’antisémitisme des quartiers. L’un répondait déjà à l’indécrottable Pascal Boniface, pour qui la France était juste malade du conflit israélo-palestinien, que cet antisémitisme des banlieues prospérait sous couvert d’antisionisme[2] et que les cris de Mort aux Juifs devenus monnaie courante lors des manifestations de soutien à Gaza révélaient l’antisémitisme de nos quartiers populaires où une jeunesse sans repères ni conscience de l’histoire crachait sa haine du Juif, abritée derrière un antisionisme de façade.
L’antisémitisme des quartiers. Comme si, tel il en va de notre cholestérol, il existait un bon et un mauvais antisémitisme. Comme si Les Territoires perdus de la République[3] n’eussent jamais alerté sur la naissance à venir des Merah et autres Nemmouche.
L’antisémitisme des quartiers qui te tua n’a pas disparu. Le préjugé avait porté, que tu avais forcément une famille riche : n’étais-tu pas juif.
L’antisémitisme des quartiers que jamais nul n’oubliera, entaché qu’il fut, celui-là, d’une torture indicible qui allait de pair avec une bêtise insigne. Crasse. Des hommes-bêtes. Que nous découvrîmes sidérés en prenant la mesure de ce qu’ils te firent subir.
Aurait-on pu te sauver, Ilan
Aurait-on pu alors te sauver, Ilan ? Cette question nous hantera à jamais. Nous qui mîmes ce temps incongru à prendre la mesure des possibles. Des conditionnels. Comment aurions-nous pu l’imaginer, cette complaisance complice. Cette bêtise crasse. Toute cette inculture ? Cette décadence partagée. Que tous pourtant nous avions vue éclore dans nos classes. Cette fureur haineuse. Cette gratuité. Cette conscience abolie.
Ton procès me hante encore. La colère de Szpiner, qui voulut faire de la lutte contre l’antisémitisme une cause publique. La honte ravalée sur nos compromissions générales. Notre déni collectif. Et déjà, notre Pascal Boniface invité qu’il était à donner son avis de sage. Lui l’Antisémite qu’il n’était déjà pas. Mais qui pourtant osa dire qu’on en avait trop fait encore sur ce coup-là.
Sais-tu, Ilan, que certains aujourd’hui l’encensent, ce procureur qui retint alors le caractère antisémite de ton assassinat. C’est que 12 longues années ont passé. Qu’une autre bête a frappé. Lynchant puis défenestrant parce qu’elle était juive sa voisine. Sarah Halimi. Elle était juive que veux-tu. Mêmes causes mêmes effets. Sauf que la juge en charge du dossier Halimi a beaucoup de mal, elle, à décréter qu’il était mu par une raison antisémite, l’assassin qui lyncha une femme au son des sourates qu’il récita.
J’ai compté, Ilan : sous peu cela fera un an que cette femme aura été tuée. Le 4 avril 2018.
D’ici là, le 26 mars, sera jugé en appel, assis sur le banc des Soral et autres Dieudonné, un homme. Un historien. Qui eut le grand tort de dire qu’il existait, cet antisémitisme acquis. Bu au sein maternel, avait expliqué pour sa part Smaïn Laacher. Tu sais, cet antisémitisme qui permet qu’elles fussent prononcées et acceptées, les expressions dites figées El Youd, hachek ou Le Juif Dieu nous en préserve.
Ilan. Pendant ce temps, ta France 2018 elle crie à l’islamophobie. Une fille qui peut-être ressemblait à celle qui te servit d’appât dut quitter un télé crochet parce qu’il s’avéra qu’elle était bien trop proche des frères musulmans.
Oh c’est vrai : Tu ne sais pas desquels je parle. La vie ne t’a pas permis de connaître Merah ses meurtres Tariq Ramadan ses prêches Le Bataclan et tout le reste.
La fille, qui peut-être ressemblait à celle qui servit d’appât à tes geôliers, de son turban coloré coiffée, comme si elle eut voulu nous le toiletter, ce vieil islam old fashion, pour mieux nous le vendre, comme si son joli minois et sa voix à la Lorelei avaient dû nous faire oublier ses sympathies douteuses dont décidément nous ne voulions plus, échauffés que nous étions, eh bien tu sais quoi ? Elle dut le rendre, son micro. Capituler quoi.
Mon cher Ilan, ce fut alors chez les potes de tes assassins un délire inattendu : tout cela ne pouvait, déclarèrent-ils en nombre, que venir de cet islamophobie qui en France régnait et les empêchait de se révéler, les jeunes espoirs musulmans. Brisant dans l’œuf leurs moindres velléités.
Les accointances de la donzelle avec Hassan Iquioussen de l’UOIF. Nabil Ennasri Fan de Youssef Al-Qaradawi. Dieudonné. Les assos islamistes Baraka City, Lallab, Syria Charity. Sa sympathie pour le BDS. Son clip Art for life sur la Palestine tourné par le CBSP, association classée parmi les organisations terroristes au Canada et aux Etats-Unis, ça ne comptait plus. Tout ça n’était qu’un complot politico-sioniste franco-juif américain.
Elle n’était qu’une Française ordinaire, te chantait ce prof de philo, une pauvre victime d’une polémique sur les réseaux sociaux et son erreur de jeunesse elle te l’avait instrumentalisée jusqu’à l’écrasement public d’une jeune femme, cette France qui confondait les erreurs de sa jeunesse et les horreurs de son ennemi. En rien elle n’était une islamiste frériste, te répétait-il, rejoignant le collègue de Boniface qui osa, lui, un parallèle avec Amir, ce soldat assassin.
Elle était de la communauté musulmane, te répétaient ceux qui voulurent la défendre. Cette éternelle victime du Deux poids, deux mesures, et d’ailleurs, Ilan, t’avais Askolovitch et Glucksmann qui rehaussaient les manches et ramaient, ramaient.
Tu sais quoi Ilan. J’ai voulu vérifier. Ils n’existaient pas, à l’époque, tous ceux-là, qu’auraient pu t’aider. Te débusquer. Trouver ta geôle. Ils t’auraient jamais laissé. Ils auraient pas fait semblant d’oublier. Sont là. 24 sur 24. Des guetteurs. Comment diable veux-tu que je te les appelle. Collectif Vigilance. BTA. BNVCA. L’OJE. Ces citoyens issus de la société civile. Ces anonymes et ces experts dans les domaines les plus divers. Grâce auxquels tu t’sens en sécurité. Ils font le job. Les propos tenus sur les réseaux sociaux, eux te les traquent. Les émetteurs, eux les identifient. Ces hommes ces femmes irréductibles républicains qui n’en démordront jamais : l’antisémitisme est l’affaire de la Nation toute entière. Et du taf, ils en ont.
Panamza et son Hicham Hamza, ce livreur de Oumma.com doublé d’une obsession complotiste virant au pathologique, ils te l’ont traqué, s’y mettant tous. Me demande pas lequel en prems. Ils savent tous tout de lui. Comment il voit la life. Le 11-Septembre. L’opération Merah, L’affaire Charlie Hebdo. Et ton assassinat, Ilan : Panamza, ils réalisèrent en 2009 le docu expérimental Au cœur du procès Fofana où il diffusa les images du lynchage de la famille Fofana par des extrémistes sionistes. Ben ouai il manque pas d’air Hicham Hamza ce grand journaliste d’investigation Les grands malheurs qui lui arrivent sont juste le fruit de cybercriminels ultra-sionistes, Et chuuuut Ecoute quand il a une gastro, Hicham Hamza il se demande si par hasard ce serait pas encore un coup… des Juifs. Ou de nos potes. Fourest Valls and C°.
Alors Ilan, notre Hicham Hamza il décida que, concernant L’Affaire Mennel, c’était just a gigolo non just un complot, ourdi par les judéo sionistes, il décréta qu’on l’aurait diabolisée, voire inventée, la jolie enchanteresse. Et que Sammy Ghozlan, ce judéo fasciste nous aurait aidés direct d’Israël. Cons comme ils sont. Aux ordres comme tu les sais : frontistes et laïcards réunis. Dansant au son de la musique composée et claironnée par … les pro-Israël.
Comment te dire combien ça m’avait insupporté de lire tout ça, Ilan. Me dire qu’on n’en sortirait jamais, quoi. Oui j’ai à mon tour fouillé dans la vie d’Hicham Hamza le reporter le journaliste d’investigation. Et que beurk quoi, ce que j’y trouvai. Et que je me moquai.
Et que je reçus des menaces des intimidations des flots d’insultes des trucs qu’avaient rien à voir pour un esprit sain Mais si Mais si Tu sais bien que ça a à voir dans leurs esprits tout mélangés et vas-y Free Palestine Amir assassin A mort l’Etat colonial sioniste voleurs de terre
Et pour faire joli qu’il croyait ce seigneur ce gentlemen, il a posté ma photo partout L‘adresse de la fac où il a dit que je travaillais Style Allez-y
Sauf que ma liberté d’expression J’y tiens au moins autant qu’à mon amoureux. La tienne aussi Lecteur. Et même celle du dit journaliste
Tiens je m’disais Pascal Boniface il va venir tel Tarzan nous prouver qu’il l’est pas, antisémite Ben non ça c’est dans les livres pour enfants.
Dans la vraie life t’avais quand même du monde. Beaucoup Beaucoup de monde. Sammy Ghozlan le BNVCA Le Collectif Vigilance l’OJE le BTA Que moi je m’disais c’est beaucoup trop Et puis sont arrivés Michel Zerbib de Radio J Et mon journal Ma Tribune juive
Bourdin y pouvait pas
Bourdin y pouvait pas il invitait Mennel. Sifaoui Enderlin Moati qui se trémoussaient dans une mauvaise foi gênée. Qui te répétaient que leur République ils pouvaient pas croire que.
Asko qui a définitivement choisi son terrain.
Bref : ça débat grave.
Sache, Ilan, que Twitter a fait enlever la mention judeofacho du compte Panamza mais que Facebook, dans un excès de zèle, a fermé celui d’un courageux qui signala le site complotiste. Tu comprends pas ? Moi non plus.
Tu sais quoi Ilan ? On en est à 240 morts. Dans des attentats attribués à Daech. Rajoute mon gars les victimes du terrorisme islamiste. Qu’en dis-tu? Parce que moi je suis devenue un peu moins nuancée que jadis je fus. Un peu too much radicale. A penser aujourd’hui que quiconque oserait ne pas se sentir concerné par nos morts s’exclurait de facto de la Nation. Que c’était ça que je lui avais pas pardonné, à Mennel. Que Pascal Boniface qui voulait qu’on se rencontre, il allait devoir se positionner clairement.
Ilan, j’ai une affection toute particulière envers celui-là qui bataille de là où il est de par le monde. Exhortant sans relâche ses relations à organiser des rallyes en la mémoire de Sarah Ça a l’air simple le truc mais réfléchis c’est pas fastoche du tout Et quand il ajoute dans les courriers qu’il fait suivre que the world is watching et qu’il t’évoque the inhumane juge d’instruction who has plumbed new depths of indecency Quand il évoque the reprehensible inaction of many if not most of the police officers involved Ben moi je lui suis infiniment reconnaissante. Paul L., docteur de l’Université de Paris 4, Sorbonne : Merci.
J’y crois encore. Grâce à Paul L. et à lui, GWG, qui osa faire le rapprochement entre cette classe médiatique compréhensive. Complaisante comme elle le fut pour Mehdi Meklat. Qui aimait davantage Adolf Hitler que les israélites. Les héroïnes de «Divines» sa réalisatrice Houda Benyamina et le bon goût qu’elle eut de poster sur Facebook la marionnette d’un terroriste de Daech, la lame du couteau encore sanguinolente, dont les ficelles étaient tirées par un américain et un juif cachés derrière un mur. L’actrice Oulaya Amamra qui posta pour son compte une petite quenelle sauce Dieudonné.
Tu vois Ilan. J’aurais aimé te raconter comment il allait bien ce pays qui est le nôtre Je crains que ce ne fût loupé.
[1] FigaroVox. 22 juillet 2014.
[2] Vol au-dessus d’un nid de Fachos : Dieudonné, Soral, Ayoub et les autres. Frédéric Haziza. Fayard. 2014.
[3] Editions Mille et une Nuits. 2002.
Sarah Cattan
Je suis toujours très traumatisée par le meurtre d’Ilan non seulement parce que c’est les Juifs qu’on visait mais aussi parce que je le connaissais lui et sa famille; plus ses soeurs que lui mais cela m’a suffi pour quitter la France définitivement; un pays où j’avais passé l’essentiel de ma vie, un pays où j’ai fait toutes mes études. Il est vrai que j’ai été victime d’antisémitisme toute ma vie et que je ne me suis jamais vraiment sentie à l’aise en France ni vraiment en sécurité à 100 pour cent mais au moins, durant plusieurs années, c’était quand même tranquille. La France était un très beau pays il y a 30 ans. Aujourd’hui, les Juifs n’ont plus aucun futur en France. C’est pour cette raison que je me suis installée aux Etats-Unis et même aux Etats-Unis, la récente attaque d’une synagogue à Pittsburgh prouve bien que nous ne sommes en sécurité nulle part. Nous avons à faire face au complot mondial mis au point par les islamistes fanatiques et nous avons aussi à faire face aux néo-nazis qui sont appelés aux Etats-Unis: les « White Supremacists ».
Notre futur en tant que Juif est en Israël. Je pense que la France a assez prouvé et ce, cela fait des siècles que les Juifs ne sont pas les bienvenus et qu’ils seront toujours des citoyens de seconde classe. Même si beaucoup de Juifs ont contribué au développement économique du pays et même si il y a beaucoup de Juifs qui ont gagné des prix nobel pour la France, cette haine irrationnelle triomphe jusqu’à aujourd’hui. Pour bien se défendre, il faut connaître son ennemi et je pense que la France a été même plus que l’Allemagne, un véritable ennemi et un danger pour les Juifs qui s’y sont installés. En Amérique, les gens n’étaient pas tellement au courant de l’histoire d’Ilan Halimi, y compris les Juifs. Seuls quelques gazettes communautaires en parlèrent brièvement. Je fais en sorte d’écrire le plus possible sur Ilan, sur Sarah Halimi et sur Mireille Knoll et toutes les victimes de cette haine implacable. Les gens ici ne veulent pas tellement entendre ces histoires car ils n’ont pas envie d’y croire mais il ne suffit pas de fermer les yeux afin que la réalité s’efface.
Les Juifs Américains se rendent compte de plus en plus de ce qui se passe. Depuis l’attaque de Pittsburgh, ils comprennent que la « bête » s’est encore réveillée. Je pense qu’il nous faut être plus unis que jamais face à nos ennemis qui sont hélàs très nombreux. Nous sommes bien sûr très différents au sein de la communauté mais je pense qu’il est temps d’oublier nos différences et de s’unir pour mieux évoluer et lutter contre ces bêtes sauvages qui n’ont pas d’autre raison d’être que la haine qu’ils nous portent.