Voix & saveurs de femmes d’Israël : Shula MOZES

Philanthropie, grandeur d’âme et tête sur les épaules, voici ce qui vient à l’esprit lorsqu’on rencontre Shula, une femme solide qui interpelle par son sourire franc et son regard vif. Avec professionnalisme, elle nous raconte le grand projet de sa vie, Lamerhav House, une fondation que l’on pourrait traduire par la Maison « du champ des possibles ».

Shula est née dans une famille modeste en Roumanie d’où elle arrive en Israël avec sa famille à l’âge de treize ans. Pressentant certainement un fort potentiel à exploiter, ses parents décident alors de l’inscrire, non pas à l’école locale, mais plutôt dans le plus select pensionnat Boyar de Jérusalem. Shula confie que c’est alors qu’elle étudie loin des siens au pensionnat que devient particulièrement criant ce besoin de sentir un soutien familial.

Et c’est ainsi, forte de son expérience, qu’elle décide de fonder en 2001 le projet Lamerhav. Cette fondation a pour vocation de faciliter le changement social en prenant part de façon active, intensive et multidimensionnelle dans la vie de jeunes adultes n’ayant aucun réseau, ni soutien familial. Ces jeunes sont pour certains orphelins, maltraités, issus de familles peu équilibrées ou en grande difficulté financière. Ils seraient plusieurs milliers en Israël.

Notre mission est d’aider ces jeunes à traverser le plafond de verre académique, professionnel et social auquel ils sont confrontés en permanence, et assurer leur intégration dans la société israélienne pour faire d’eux des citoyens actifs, indépendants et engagés qui participent de cette société en agissant eux-mêmes comme des acteurs solides du changement social”, explique Shula avec force et conviction.

Car si jusqu’à leur majorité ces jeunes sont relativement bien pris en charge par le gouvernement via des familles d’accueil ou des pensionnats, l’Etat considère qu’à leurs dix-huit ans, il est de leur ressort de s’assumer seuls. Mais cela est sans prendre en considération les manques affectifs, psychologiques et émotionnels de ces jeunes abîmés par la vie qui, sans référent familial aucun, ont plus que quiconque besoin d’un véritable relais parental.

Le programme de guidance de Lamerhav s’étale sur une durée de huit ans et s’apparente à une forme de coaching et de soutien aux jeunes qui parviennent ainsi à trouver leur voie professionnelle. Il a été pensé et développé par Shula et son mari Zeevie ; tous deux continuent d’y prendre part activement au quotidien. Concrètement, chaque jeune reçu dans ce cursus bénéficie de formations, de consultations et de moments d’échanges personnalisés. S’il n’y a pas de sélection des participants à proprement parler, il va sans dire que la motivation reste clé quant à la réussite du projet des jeunes de Lamerhav. « Ils doivent vouloir travailler dur pour que les choses se fassent, il faut aussi qu’ils aient conscience qu’ils font partie de la société et qu’ils doivent s’y référer ». Shula et ses équipes veillent donc à privilégier ceux qui tireront le meilleur profit du programme ; ils n’acceptent pas les jeunes souffrant d’addictions, de pathologies lourdes ou les délinquants, des profils pour lesquels ils ne sont pas qualifiés.

Plus qu’une corde à son arc

Shula participe activement à de nombreux forums qui s’intéressent à la problématique des jeunes adultes, elle est également membre du JFN (Jewish Funders Network). En 2012, on lui décerne le « Midot Award » afin de récompenser son bel et généreux investissement social.
Shula a un parcours peu banal. Une maîtrise de chimie et biochimie à l’Université Hébraïque de Jérusalem, où elle rencontre Zeevie, celui qui deviendra son mari, puis des études de chant d’opéra à l’académie de musique de Jérusalem. Tout cela débouchera finalement sur les voies de l’informatique avec, à la clé, un poste de quatre ans dans l’industrie aéronautique israélienne.

La jeune femme rejoint ensuite pendant huit ans le groupe de presse familial Yedioth Aharonot où elle aide son mari à mettre en place de nouveaux systèmes informatiques pour les journalistes qu’elle forme ; elle écrit également une chronique hebdomadaire sur la gastronomie et le voyage. Elle publie en 1989 un livre de recettes italiennes Italy in your kitchen avant d’ouvrir en 1992 Donna Shula, une épicerie qui deviendra un restaurant à Tel Aviv où elle excelle en tant que chef des fourneaux.

Shula et la jeunesse

Mère de quatre enfants, et grand-mère de dix petits-enfants, Shula a un regard particulier sur la jeunesse d’aujourd’hui. « Les jeunes sont bombardés d’informations, ils sont habitués à avoir accès à tout de façon immédiate ; ils ne font plus travailler leur mémoire comme nous le faisions à notre époque. Les machines ont remplacé l’apprentissage des tables de multiplication par cœur. Et pourtant ces jeunes ont les mêmes préoccupations que celles que nous avions : l’amour, les relations aux autres, l’armée… Avec toute cette technologie, je ne suis pas sûre qu’ils soient plus heureux, mais je ne pense pas non plus qu’ils le soient moins ! » Cela semble toutefois moins évident pour les femmes qui, en plus des traditionnelles tâches domestiques, doivent aujourd’hui s’affirmer autant que leurs homologues masculins au travail et dans la vie sociale. « Quoi qu’on en dise, ce seront toujours elles qui donneront la vie, allaiteront et continueront à faire davantage certaines tâches, même si les hommes ont clairement pris la relève. Je le vois d’ailleurs avec mes trois fils qui sont très investis dans leur vie de famille et participent énormément », renchérit-elle.

Evidemment, pour les jeunes dont Shula s’occupe au sein de son association, c’est encore plus difficile puisqu’ils ne bénéficient pas de soutien familial. Mais, paradoxalement, Shula constate que cela les incite à déployer des compétences insoupçonnées. « Nos jeunes doivent davantage compter sur eux-mêmes, et construire des relations fortes afin de pouvoir s’appuyer sur leur propre réseau, un réseau d’autant plus précieux qu’ils l’auront créé tout seuls. »

Femme de conviction et de projets

Ses motivations sont claires : elle a décidé de mettre sa fortune (Shula et son mari – dont la famille était actionnaire majoritaire de la célèbre maison de presse Yedioth Aharonot – ont gagné un procès contre leurs cousins en 1997), son talent et son énergie au service d’une noble cause afin de rendre meilleure la société israélienne. De quoi sera fait demain ? Shula a plus d’une idée dans la tête. Après l’ouverture de ses trois maisons (Hod Hasharon, Beer Sheva et Afula) ayant déjà accueilli plus de 250 diplômés, elle a aujourd’hui un vœu pieux : qu’il n’y ait plus besoin d’ONG en Israël pour aider les jeunes à risque puisque ceux-ci n’existeront plus ou, de façon plus réaliste, parce que l’Etat les aura totalement pris en charge. « Mais je sais bien que cela relève de l’utopie, j’espère donc que nous pourrons compter sur de nombreux partenaires donateurs afin de continuer notre action auprès de ces jeunes sans soutien familial. » Elle aimerait que l’on retienne d’elle qu’elle fait aujourd’hui partie intégrante de la société : « Pour me sentir bien, je me dois d’aider les plus défavorisés et les inviter à prendre part à la communauté », répète-t-elle avant de conclure : « Si chacun de nous éprouvait davantage de compassion et de sens de responsabilité pour son prochain, notre monde serait tellement plus beau. »

Raphaëlle CHOËL 

Source lepetitjournal

INFORMATIONS : www.lamerhav.co.il

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