« Foutez la paix aux Français ! » le cri du cœur de Georges Pompidou revient sur toutes les lèvres : nous sommes de plus en plus pistés, suivis, menacés.
L’étau se resserre. Il ne se passe pas un jour sans que l’on nous annonce une nouvelle obligation accompagnée d’un contrôle supplémentaire ! A moins de vouloir verser dans une société totalitaire sous prétexte de sécurité et de transparence, il faut nous laisser un espace de liberté, de doute, une marge de manœuvre interstitielle. Il faut parfois pouvoir traverser hors des clous. Il ne s’agit pas de prôner la désobéissance et les comportements inciviques mais nous ne sommes pas des robots !
Fini le bon vieux temps de Courteline (« neuf fois sur dix, la loi, cette bonne fille, sourit à celui qui la viole »), là on ne sourit plus du tout. Si elle exprime la volonté générale, c’est-à-dire celle de la société, la loi devrait vraiment être écrite de façon à n’être qu’exceptionnellement contournée, aimablement interprétée, et parfois négociée. C’est là que le bât blesse. Plus rien ne se négocie. Le contrôle, de plus en plus informatisé et sans intervention humaine, ne laisse aucune place au fameux droit à l’erreur individuel, et au bon principe de l’exception qui confirme la règle.
Ainsi va le monde, en tous cas la France. Mais notre cher vieux pays avide d’égalité et de fraternité l’est surtout de liberté. Nous sommes attachés à la débrouille, au culot, à une forme de transgression, à la prise de risque, ce qui donne aussi : “Impossible n’est pas français« . Nous sommes donc frustrés par ces barrières infranchissables qui nous encadrent jusqu’à l’absurde et instaurent une société d’interdits.
De plus en plus pistés
« Foutez la paix aux Français ! » Le cri du cœur de Georges Pompidou revient sur toutes les lèvres : nous sommes de plus en plus pistés, suivis, menacés, on se méfie de nous. C’est plus grave qu’il n’y parait car, plus on nous contraint, plus la tentation de frauder est forte. Les espaces de respiration se réduisent comme peau de chagrin.
À la caisse des magasins comme partout, la chasse au cash est le mot d’ordre, les « gros billets » ne sont plus acceptés. D’ailleurs, les clients étrangers, qui paient souvent en espèces, ne comprennent pas pourquoi ils ne le peuvent pas en France et contribuent ainsi au développement commercial de nos voisins européens.
Les caisses deviennent « infalsifiables » à grand renfort de publicité comme si tous les commerçants étaient des voleurs. Nous sommes d’ailleurs tous des voleurs en puissance aux yeux des pouvoirs publics. A votre banque, si vous faites un versement en liquide ou que vous voulez en sortir, votre banquier navré et apeuré vous demande l’usage que vous allez en faire ? D’où vient-il ? A qui le destinez-vous ? Etc. Il est obligé, s’excuse-t-il : Tracfin le surveille; c’est ainsi que vous découvrez que Tracfin s’intéresse de près aux étrennes de votre filleul…
Le pourboire pour les mêmes raisons est en voie de disparition. Or, malgré son aspect socialement préhistorique, c’est une formidable contribution à la respiration de l’économie qui de surcroît incite à améliorer les relations clients. Comment rémunérer simplement les menus services fournis par tout un chacun ? L’étudiant qui vient donner un coup de main, le stagiaire qui en fait plus (et qui n’a pas droit à une prime sauf à ce qu’elle soit fiscalisée, et en plus avec un risque de requalification de son stage). Et les étrennes de la concierge, des pompiers, du facteur, des éboueurs ? Va-t-il falloir les déclarer ? Devra-t-on leur verser une somme par chèque ou par carte bleue ?
Le mieux, ennemi du bien
Partout, méfiance ! Sur le quai de la gare, une nouveauté : cette interminable queue qui vous oblige désormais à montrer votre billet à une machine avant de pouvoir monter dans le train, ce qui n’empêchera pas que votre billet soit recontrôlé à bord. Au nom de la sécurité (certes, on peut comprendre) plus personne sur le quai, et le baiser d’adieu se fera non plus devant le wagon mais devant le relais H.
Dans nos rues parisiennes, de moins en moins passantes mais de plus en plus stressantes, les amendes électroniques pleuvent pour d’excellentes raisons. Plus d’espoir d’y échapper, impossible de stationner quelques instants sur une place de livraison, d’effleurer son portable, de dépasser d’un poil la limitation de vitesse qui n’aura bientôt de vitesse que le nom. La sanction tombe implacable, plus possible de discuter quelques secondes pour plaider sa cause. Et même à vélo ! Etre positionné sur les clous pour démarrer au vert avant la horde de voitures peut vous valoir un PV et même un retrait de points (surtout, dites bien que vous n’avez pas le permis !).
Le mieux est l’ennemi du bien. On a interdit la prostitution, ce qui semble parfaitement justifié au nom de la morale… sauf que taxer les clients et chasser les prostituées, non seulement n’a pas grand sens si l’objectif est de supprimer la prostitution millénaire mais surtout cela renvoie cette pratique à la clandestinité la plus dangereuse. On a, au passage, oublié que c’était les proxénètes contre lesquels il fallait lutter implacablement. C’est aussi ignorer les nouvelles formes de prostitution, les sites spécialisés, etc.
La France ne serait pas la France sans un soupçon de roublardise
Vous voulez être un bon citoyen ? Facile ! En résumé : vous mangez 5 fruits et légumes par jour, vous faites attention aux pesticides des mêmes fruits et légumes (il vaut mieux les acheter tout rabougris et un peu pourris au marché bio à des gens vêtus de toile de bure). Vous ne fumez pas bien sûr, vous ne vapotez pas non plus ! Vous ne buvez pas et de toutes façons vous ne pourrez plus démarrer votre voiture qui sera équipée d’un alcootest intégré (une bière ça va, deux bières tu ne démarres pas), vous circulez à vélo surtout les jours de pollution extrême où l’alerte santé vous dit d’arrêter les efforts physiques, vous vous faites vacciner contre tout (contre l’Etat, ça existe ?).
Dans Paris vous ne circulez donc plus en voiture mais vous ne pouvez pas stationner non plus : trop cher et pas de places, les PV ont été confiés à des entreprises privées, c’est dire leur nouvelle efficacité terrifiante. Vous téléphonez avec des oreillettes quand c’est autorisé, vous faites très attention à tout ce que vous dites et vous avez changé complètement de vocabulaire car il y a plein de nouveaux mots interdits. Vous ne riez plus à des blagues nulles, celles auxquelles on peut rire sont estampillées, mais vous pouvez encore aller voir dans les cabarets les humoristes agréés par l’Etat. Vous abordez une femme avec une autorisation préalable de consentement écrite. Vous donnez si possible un prénom neutre à votre enfant pour lui permettre de choisir son sexe vers 3 ans (c’est tôt) sans l’avoir influencé. Vous ne marchez plus sur une pelouse. C’est le seul pays ou vous lisez des écriteaux avec « pelouse au repos », on a peur des manifs de gazons. Vous faites très attention à ce que vous pouvez lire, les imprimeurs ont rétabli « l’enfer » des bibliothèques d’antan pour les ouvrages interdits. Au musée vous détournez les yeux des nus, à l’Opéra récemment Carmen a ressuscité pour tuer son amant car tuer une femme c’est politiquement incorrect et encore, personne n’a réagi au fait que le début de l’opéra se situe dans une fabrique de cigarettes, bientôt ce sera une fabrique de produits bio pour accéder aux protestations des associations anti-tabac.
La France ne serait pas la France sans un soupçon d’insolence, de resquille, un zeste de roublardise et cet esprit de maquignon à l’origine de tant d’aventures. L’esprit des Lumières s’éteint pour cause d’économe d’énergie. A force de nous contrôler avec bonne conscience, à tout bout de champ et de nous déresponsabiliser, les gredins vont rentrer en résistance ! Sachant qu’ « il n’y a pas de pires gredins que les honnêtes gens” , Zola a raison et c’est bien ceux-là que l’on poursuit avec d’autant plus d’assiduité que les grands escrocs en tous genres, eux, passent à travers les mailles du filet.
Sophie De Menthon
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