Alors que le débat sur le harcèlement sexuel s’installe dans le monde entier, en Israël, l’association Layla Tov a réussi à obtenir une politique de tolérance zéro de la part de certains bars et clubs.
Ces derniers mois en Israël, comme dans de nombreux pays, l’affaire Harvey Weinstein a permis une libération de la parole des femmes : elles sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer et les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle témoignent d’une recrudescence de cas rapportés. Au milieu de ce mouvement récent, une organisation à but non lucratif composée de onze femmes œuvre depuis déjà plus de deux ans pour faire entendre la voix des femmes.
Layla Tov (« Bonne nuit », en hébreu) a vu le jour lorsque la fondatrice a publié un post sur Facebook, le 1er février 2015. Dans ce texte intitulé « Danser en pleurant », Gili Ron relatait une ultime soirée où elle avait été victime de harcèlement sexuel. Il n’en fallait pas plus pour lancer le débat et pour que Yasmin Wachs, Keren Greenblat, Shira Makin, Shelly Bar Shachar, Yael Elbaz, Gali Piflaks, Silan Dallal, Tamar Gomel et Hagar Shezaf décident de se joindre à Gili.
Ces femmes d’une trentaine d’années, clubbeuses invétérées, décident de contacter Jonathan Lipitz, patron du Kuli Alma à Tel-Aviv, l’une des boîtes les plus prisées de la ville. Ce dernier se souvient de cette rencontre qui s’est tenue quelques semaines après le post originel : « « Quand je suis sorti de cette réunion, j’étais plein d’admiration pour ces femmes qui ont décidé de prendre les choses en main et pour le courage dont elles font preuve pour faire remonter les problèmes à la surface et créer des connexions. En tant que personne et en tant que patron du Kuli Alma, je me devais de faire partie de ce projet. »
Zéro comme chiffre de référence
Le principe de Layla Tov est simple : la sensibilisation contre le harcèlement sexuel doit passer par les établissements. « Il ne s’agit pas de condamner la drague, et encore moins le sexe. Au contraire, on est là pour s’éclater, mais nous voulons le faire dans un espace sûr », explique Hagar Shezaf. Après avoir récolté plus de 25 000 dollars en ligne (soit 150 000 shekels, c’est-à-dire bien plus que les 90 000 demandés, en seulement une semaine), Layla Tov a pu s’enregistrer comme une ONG officielle, embaucher une responsable et mener des campagnes de sensibilisation.
Ce sont d’ailleurs les gérants d’établissements qui, aidés de l’équipe de Layla Tov, ont rédigé un code de bonne conduite qui décrit les démarches à adopter contre le harcèlement sexuel. En plus d’un affichage clair et explicite de leur engagement à l’entrée du bar ou du club, une formation annuelle et obligatoire est donnée au personnel pour identifier les incidents. « Au minimum 75 % du personnel doit avoir suivi la formation et doit savoir comment réagir en cas de harcèlement et d’agression », détaille Yasmin Wachs.
« Nous portons une attention particulière aux femmes travaillant la nuit, comme serveuses ou barmaids, étant elles-mêmes sans cesse sollicitées par la clientèle. » Dans les faits, un comportement inapproprié peut mener à l’exclusion de l’établissement ; un dispositif que nous avons nous-mêmes mis à l’épreuve dans un établissement où les employés ont effectivement pris le problème au sérieux et en main.
« Nous réfléchissons actuellement à la responsabilité des videurs. Nous aimerions bien, à terme, qu’ils soient en mesure d’escorter les femmes à leur taxi », continue Yasmin qui assure que le travail est loin d’être fini, malgré le changement perceptible.
A la Knesset de prendre le relais
Pas moins de 55 bars et boîtes de nuits collaborent avec Layla Tov à Tel-Aviv (sur environ 300) mais aussi à Jérusalem, à Haïfa ou à Beer Sheva ; pour le moment, l’association estime avoir pour le moment rempli sa mission à 20 %. Après une campagne d’affichage choc, cet été, en collaboration avec la municipalité de la ville, on pourrait s’étonner que les établissements restants ne soient pas encore affiliés à l’association. Yasmin Wachs l’explique ainsi : « La responsabilité est grande et, évidemment, certains endroits ne font pas partie de notre cible comme ceux qui “objétisent” la femme pour faire venir leur clientèle. Le secret, c’est le bouche-à-oreille. C’est lent, mais nous sommes confiantes. Nous gagnerons les batailles unes à unes. »
Pour les noctambules, le logo de Layla Tov, affiché à l’entrée des boîtes est complètement intégré au paysage de la nuit tel-avivienne. Au Block, au Kuli Alma, au Radio EPGB ou au faune touristes, les femmes sont assurées de danser sans regarder derrière leur épaule. Mais Layla Tov est loin de s’en contenter. La prochaine étape aura lieu à la Knesset et c’est le gouvernement israélien qui doit s’investir, conclut Yasmin Wachs : « Quand on monte une affaire, on doit obtenir une licence du gouvernement, qui fixe certaines conditions, comme l’interdiction de fumer, par exemple. Il y a déjà des lois contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir dans les conditions d’acquisition de licence une clause de tolérance zéro contre le harcèlement sexuel et un engagement pour des formations annuelles ? »
En attendant que les députés prennent le problème à bras-le-corps, pour Layla Tov, le combat continue.
Sarah Koskievic
Poster un Commentaire