En ré-intégrant l’Union africaine puis la Cédéao, l’offensive diplomatique du Maroc sur le continent a beaucoup fait parler d’elle. Pourtant, le royaume n’est pas le seul Etat à étendre son influence en Afrique. Depuis des années, Israël tente également de nouer des relations avec les pays du continent.
Dernier exemple en date : l’ouverture de son ambassade au Rwanda, annoncée le 28 novembre, et l’accord passé avec Kigali pour y rapatrier les migrants africains dont Israël ne veut plus sur son sol. Mais la percée de l’Etat hébreu ne se fait pas sans difficultés. Pour en parler ce matin, Élisabeth Marteu est l’invitée de la rédaction. Elle est chercheur au sein de l’Institut international d’études stratégiques. Elle répond aux questions d’Édouard Du Penhoat.
RFI: En début de semaine, Israël a annoncé qu’elle allait ouvrir une ambassade au Rwanda. Benyamin Netanyahu appelle Paul Kagame son ami. On a l’impression qu’une relation privilégiée s’est établie entre les deux pays. Pourquoi cette relation privilégiée ?
On serait déjà tenté de dire qu’il y a une histoire commune entre le peuple rwandais et le peuple de l’Etat hébreu – une histoire tragique, celle d’un génocide. Est-ce que c’est une analyse qui est pertinente pour expliquer l’amitié entre ces deux pays ?
Je ne pense pas que ce soit complètement explicatif du rapprochement entre les deux pays. Il y a beaucoup d’autres problématiques qui sont importantes aux yeux des Israéliens. Cela fait partie, en effet, d’une très longue stratégie de dépasser le monde arabe. C’était la politique de la périphérie de Ben Gourion, c’est à dire aller chercher, au-delà de son environnement proche, d’autres partenaires et l’Afrique a été précisément un objectif des Israéliens, depuis très longtemps. Cela permet aussi de chercher des soutiens diplomatiques qui pourront être utiles à l’ONU et cela permet aussi de trouver des débouchés commerciaux et économiques dans tous ces pays. Et puis, avec le Rwanda, il y a une autre problématique qui est importante, celle des réfugiés.
Justement, on a l’impression que le Rwanda, pour Israël, ce serait aussi un pays qui accepte de reprendre, sur son sol, des migrants africains expulsés de l’Etat hébreu, moyennant des espèces, sonnantes et trébuchantes, d’ailleurs. Cela permet-il d’expliquer ce rapprochement ?
Oui, je pense. Disons que c’est une politique globale de rapprochement avec les pays africains et qu’il y a, en plus, cette problématique des réfugiés qui est très importante pour Israël. Par conséquent, tout cela explique effectivement pourquoi il y a un rapprochement qui est recherché par Benyamin Netanyahu. Il est lui-même très attaché et répète en permanence que l’Afrique fait véritablement partie de ses objectifs politiques.
Il le répète depuis – vous le disiez – 2016. Cela fait donc un peu plus d’un an que ce retour diplomatique est ouvertement marqué. Pourquoi cette date et pourquoi depuis aussi peu de temps, finalement, Israël se ré-intéresse aussi ouvertement, en tout cas, au continent africain ?
Comme vous dites, cette fois-ci « ouvertement » car Israël s’est toujours intéressé au continent africain. Bien avant 2016, les Israéliens s’y intéressaient. Il y a toujours eu des relations et notamment des relations très discrètes avec des compagnies de sécurité privées. On sait très bien, aujourd’hui, qu’il y a eu des formations de gardes présidentielles, notamment au Gabon et au Cameroun faites par les Israéliens. Il y a également des compagnies de sécurité informatique, protection des frontières et de surveillance qui travaillent déjà en Afrique. Et puis il y aussi le Département du développement des Affaires étrangères israéliennes, le MASHAV, qui a des politiques d’aide et de développement pour ce qui est des questions hydrauliques et de l’agriculture.
Cette date de 2016, s’inscrit dans le cadre d’une visite historique de Benyamin Netanyahu, d’une tournée en Afrique de l’Est et qui a concerné essentiellement les pays du Kenya, Ouganda, Ethiopie et Rwanda. C’est donc pour cela que l’on retient surtout cette date de 2016 mais déjà, en 2009, Avigdor Liberman s’était rendu en Afrique.
En même temps, on peut citer le sommet Afrique-Israël qui était prévu à Lomé, au Togo, à la fin du mois d’octobre. Ce dernier a été reporté à une date indéterminée. C’est une manière diplomatique de dire qu’il a été annulé, d’une certaine manière. Y a-t-il beaucoup d’obstacles qui freinent le retour d’Israël sur le continent ?
Effectivement. Benyamin Netanyahu a réussi à se rapprocher de nombreux dirigeants africains mais il y en a certains qui restent récalcitrants. On peut notamment citer l’Afrique du Sud mais également la Mauritanie et, ne l’oublions pas, l’Afrique du Nord. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie s’opposent à un tel rapprochement. Et de ce point de vue-là, la diplomatie palestinienne est très efficace et très active. Elle demande régulièrement à ces pays de rester fidèles à la question palestinienne.
Ce qui est également cherché par Israël et par Benyamin Netanyahu, c’est de réhabiliter pleinement Israël sur la scène internationale – et notamment par l’Afrique – avec l’idée que la question palestinienne soit un faux problème ou bien un problème qui n’intéresserait plus personne. Or, cela reste un blocage.
Oui, cela semble être un peu court comme analyse. Justement, quand on voit l’annulation – disons le report – de ce sommet à Lomé, cela semble, en tout cas pour le moment, ne pas fonctionner pleinement comme analyse de la situation.
Non. Cela ne fonctionne pas pleinement. C’est, disons, une volonté forte du côté de la diplomatie israélienne, mais il y a des blocages qui pour l’instant sont indépassables. Je pense que Benyamin Netanyahu espère bien-sûr que l’ensemble du continent puisse renouer des liens avec Israël mais, quelque part, il n’en a pas besoin. S’il arrive déjà à capitaliser sur des ouvertures de marchés, ou encore sur des soutiens diplomatiques à l’ONU, avec un certain nombre de pays, on peut dire qu’il a déjà largement gagné son pari.
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