Sarah Cattan. 13 nov 2015-13 nov 2021 : Touche pas ça fera toujours mal

Je me souviens très précisément de ce soir-là. Toi aussi, tu sais exactement où tu étais le 11 septembre. Et ce que tu faisais, ce soir-là, quand te sont parvenues les nouvelles : c’était le 13 novembre 2015.

Nous, nous traversions Paris pour rejoindre des amis. Guidés par Waze : les médecins avaient organisé une opération escargot. La beauté de Paris était toujours bouleversante et sur le Pont Alexandre III, j’ai encore baissé la vitre pour encore prendre une photo. Il est de ces spectacles immuables dont jamais on ne se lasse.

Waze. Nous  arrivons tous en même temps au dîner. Nous sommes 8. Paris avait la crève cette semaine-là. Pierre est médecin et l’on parla d’abord du virus qui nous avait fait plier l’un après l’autre. La conversation en arriva au No Gluten. Comment et pourquoi, je ne me souviens plus, mais elle dévia sur Air France. Mais si, souvenez-vous, une histoire de chemise qu’un syndicaliste arracha à un dirigeant de la compagnie. Quasi en direct.

Comme toujours, ce fut lui, Vlad,  jadis trotskyste et désormais célèbre collectionneur,  qui comprenait si bien les « arracheurs de chemise » et voilà même qu’il était en phase avec Mélenchon. Nous avions l’habitude. Nous le charriâmes. Nous jouâmes à le plaindre.  Eclatâmes de rire.

Nos expériences avec les compagnies low- coast, elles suivirent et je me souviens bien que toi, Léo,  encore sous le coup du décalage horaire dû à ton retour, tu nous raconta ton vol. 

Pourquoi et comment? Balzac s’immisça dans la conversation. Et Daesh, évidemment. Si on n’y arrivait pas, c’est qu’on ne voulait pas, disait-celui-là. Pourquoi ensuite, je ne saurais dire, quelqu’un évoqua le boycott jugé alors scandaleux des produits israéliens. Tous nous éclatâmes de rire quand lui, qui entrait d’un week-end en Israël, rapporta que les israéliens  ne disaient plus territoires occupés, mais territoires libérés. 

On buvait du Haut Marbuzet. Deux d’entre nous étaient entre temps devenus végétariens. Aujourd’hui, en 2021, être végétarien ou vegan est d’une telle banalité.

Pourquoi l’un de nous évoqua-t-il ce soir-là la douceur de vivre à Paris et pourquoi tous nous en convînmes ? Parce que, ce 13 novembre 2015, à 21 heures, c’était encore vrai ?

Il était  23 heures. Un téléphone sonnait au loin depuis une bonne heure. Le RSA du savoir-vivre: depuis peu, la règle était de tous laisser nos smartphones au vestiaire. Etait moqué celui qui, un peu plouc, poserait son écran sur la table du dîner. Quel était le menu de ce dîner, je ne m’en souviens absolument pas. Restent des bouts de conversations. Une certaine légèreté.

Je me souviens que Toi, tu finis par te lever. Manifestement quelqu’un essayait obstinément de te joindre.

Soudain tout ressembla à ces films de Claude Sautet. Ce fut très rapide. Nous te vîmes raccrocher. Plusieurs attentats simultanés à Paris: Quelqu’un  alluma la télé. BFM, Je m’en souviens bien.

Nous étions  là, tous, devant cet écran. Le sens vérifié des mots. Impuissance. Sidération.

Le Bataclan. Le XI ème et ses bars. Ses restaurants. Le Stade de France. Ces lieux que tous nous fréquentions. Chacun consultait son  téléphone. Échangeait des textos. Tous nous prenions l’ampleur du carnage. Chacun s’enquérait  des siens.

Sur l’écran de mon téléphone, des textos. Ou êtes-vous exactement ? Fusillades simultanées. Restez où vous êtes. Je cherchais  compulsivement à joindre mon fils. A 21h il allait chercher son amoureuse Gare de Lyon. Ça sonnait. Dans le vide. C’est lui qui appela.  Il dînait à la Bastille.

Tous nous eûmes envie de rentrer. D’essayer de rentrer. 

Tous nous découvrîmes Paris retentissant de sirènes. Paris défiguré. Paris à genoux.

Ambulances Voitures de police fonçaient dans tous les sens. Les radios en continu assénaient les nouvelles. Les réseaux sociaux jouaient leur rôle. Je crois que c’est là que je découvris qu’on pouvait signaler que, chanceux, nous étions en sécurité.

Combien de points de tir. 3 ou 8?  Etait-elle là la question. 

Les texto encore. Noa  8 ans était au Stade avec son club de foot.

Tu le savais, toi, Qui se produisait  au Bataclan ce soir-là?

Franz me raconta que lorsqu’ils quittèrent le restaurant malgré les consignes,  le patron leur dit: Bonne chance. Mon enfant, le pacifique, le tolérant, le passionné de politique, je l’entendis  dire son regret  de n’être ni flic ni soldat. Il fallait leur faire la peau, à ces enflures.

Ces images. Ces témoignages de rescapés en sanglots. Ces visages en larmes sur la pelouse du Stade.

L assaut donné au Bataclan. L’ordre donné aux chaînes d’info en continu de ne plus diffuser en direct pendant l’assaut. Hollande prit la parole. Le bilan s’affinait.

Ce soulagement coupable quand tu apprenais que les tiens étaient  safe.

Je me souviens que la France venait de mettre à  l’œuvre son Plan Très Haute Sécurité. En vue de la COP 21.

La campagne régionale fut  suspendue. L’état d’urgence décrété. Le monde entier avait été ciblé. Le monde libre. Laïque.

Nous ne pouvions  même pas dire comme à Tel Aviv que nous continuerions à danser.

Nos enfants? Comment ne rien leur dire? Comment les informer? Ma petite fille était en larmes et avait mis son casque. Pour ne plus entendre.

Paris vivait ce soir-là à la mode israélienne. Le monde peut-être allait comprendre.

Deux ans étaient passés. Le hasard fit que nous nous retrouvâmes à peu de choses près les mêmes. A la même table. Le cancer était entré dans ta vie et le divorce dans la mienne. Rien de grave.

Le terrorisme nous avait tous définitivement changés, convié  qu’il s’était désormais imposé chez nous tous.

Personne ce soir-là ne parla du 13 novembre. La soirée fut politique. Tourna exclusivement autour des solutions pour empêcher cette guerre civile qui planait d’après toi au-dessus de nos têtes.

Tous nous avions appris à vivre avec cette nouvelle donne. Cette menace sur le monde.

Nous parlâmes des 6 millions de morts dans la région des grands lacs.

Des viols d’hommes et d’enfants dans l’indifférence de la communauté internationale.

Nous brassâmes  de l’air. Valls. Macron. Les chiffres de la démographie. Notre armée. Notre police.  Cette sourde menace.

Elle était Finie, cette insouciance à la Sagan. Nous avions vieilli. La soirée était douce.

Pourtant. Touche pas : ça fait encore mal.

Sarah Cattan

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5 Comments

  1. Je ne peux pas m’y faire , je ne m’y ferai jamais , j’étais au téléphone , mes petits enfants , ma petite fille et son mari , ils vont bien…..mais deux de leurs amis sont morts ;j’ose dire que je suis soulagée ; les miens n’ont rien , non ! ils ont tellement de peine pour leurs amis , nous sommes anéantis que ces personnes aient été massacrées dans le Bataclan . à une terrasse de restaurant , jamais je ne m’y ferai ;jamais.

  2. Ce soir la la France a ressenti ce que le peuple ressentait en Israel depuis des années , j etais a Paris durant cette horrible soirée , j etais aussi , quelques années avant , dans la rue parallele quand ils ont fait sauté la pizza Sbarro a Jerusalem , j ai entendu clairement l explosion ,j ai vu la peur des israeliens quand la poliçe stoppait la circulation brutalement par crainte d un autobus piegé .
    tout cela aurait pu , aurait du permettre aux français de mieux nous comprendre , mais malheureusement , il n en fut rien , pour mille raisons , la France prefera continuer la course folle de l antisionisme delirant et accueillir ce  » multiculturalisme  » qui n est en rien multiculturel , mais surtout cet incroyable soumission generale , sourde et lache dont ce pays a le secret

    • J’adhère totalement à ce que vous avez exprimé au deuxième paragraphe de votre commentaire, T. Amouyal.
      Soumission à l’islamo-gauchisme triomphant dans l’espace médiatique ainsi que dans les campus universitaires.

  3. « Finie », Sarah, « cette insouciance à la Sagan » (sous l’emprise de la cocaïne qu’elle consommait régulièrement)?
    L’slamo-gauchisme ambiant semble au contraire prolonger ce genre d’insouciance, distillée cette fois par les médias.
    Ces médias qui qui hurlent et tremblent de rage face aux accusations révélatrices d’Eric Zemmour.

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