Ou comment un pays qui n’a jamais compté dans l’automobile a réussi à prendre une place de choix dans le secteur, en se focalisant sur le BtoB.
Pendant que les constructeurs auto et les grands noms de la tech rivalisent d’annonces tonitruantes sur le véhicule autonome, les sociétés qui fournissent des technologies essentielles à leur bon fonctionnement font discrètement leur chemin en Israël. Ces dernières années, le nombre de start-up travaillant sur le véhicule autonome dans le pays a explosé. En 2013, l’association sectorielle Ecomotion recensait 87 start-up travaillant dans le transport intelligent, dont 35% spécialisées dans le véhicule autonome. Elles sont 520 aujourd’hui. La plupart de ces entreprises se concentrent sur le BtoB. Elles développent des technologies de conduite autonome, des capteurs et de la vision par ordinateur permettant au véhicule de se repérer dans l’espace ou encore des solutions de cybersécurité. Elles les vendent ensuite à ceux qui testent des véhicules autonomes ou commencent à intégrer l’autonomie à leurs véhicules de série : les constructeurs auto, les entreprises tech et les équipementiers comme Bosch, Magna ou Delphi.
Des relations fortes avec l’industrie auto
La plus connue d’entre elles est Mobileye. Elle développe des capteurs et technologies de vision par ordinateur pour les systèmes d’assistance à la conduite et les véhicules autonomes. Intel a racheté l’entreprise en mars 2017 pour 15 milliards de dollars, de loin la plus grosse acquisition de l’histoire en Israël. Amnon Shashua, le cofondateur, président et directeur technique de Mobileye, a été bombardé chef de tout le programme de conduite autonome d’Intel, désormais basé en Israël. Mobileye, qui a été créé en 1999, est un acteur particulièrement mature, mais des start-up beaucoup plus jeunes développent aussi de solides relations avec le secteur automobile.
Lancée l’année dernière, Innoviz développe une nouvelle génération de Lidar (« solid-state »), l’un des capteurs nécessaires à la conduite autonome, moins chers et plus compacts que les versions précédentes. La start-up, dont le premier produit devrait sortir début 2018, a reçu des investissements de Magna et Delphi. Ces deux équipementiers utilisent déjà les capteurs d’Innoviz pour tester leurs véhicules autonomes, et vont intégrer ses produits à leurs offres auprès des constructeurs automobiles. Sur le même modèle de coopération avec constructeurs et équipementiers, Adasky prépare une caméra thermique, capable de prendre le relais des autres capteurs lorsqu’ils sont inefficaces (nuit, mauvais temps…).
Un marché parfait pour Israël
On peut également citer Cognata, qui développe un logiciel permettant de simuler des trajets en véhicule autonome afin d’entraîner leur intelligence artificielle ou encore les systèmes de communications entre véhicules et vers la smart city d’Autotalks mais aussi les spécialistes de la cybersécurité de la voiture autonome Karamba Cybersecurity et Argus Cybersecurity… Pour se rapprocher de cet écosystème innovant, Renault, Daimler et GM ont ouvert des centres de R&D en Israël. La plupart des autres constructeurs ont aussi établi une présence dans le pays pour repérer des talents et des pépites à acquérir. Comme Ford, qui a mis la main l’année dernière sur la start-up SAIPS et sa technologie de vision par ordinateur.
Le plus intéressant dans ce bourgeonnement est qu’historiquement le secteur automobile est quasi inexistant en Israël (quelques petits constructeurs et équipementiers servent principalement les besoins de l’armée.) Comment expliquer ce succès ? D’abord parce qu’Israël est habitué à ce genre de marché, estime Dror Meiri, vice-président d’AdaSky en charge du développement du business. « L’industrie tech israélienne possède une grande expertise dans la fourniture de technologies BtoB de pointe à des entreprises internationales. Et dans l’automobile, toute l’innovation se fait aujourd’hui autour de la technologie, la zone de confort d’Israël et de la Silicon Valley. De plus, nous n’avons aucun héritage industriel à protéger : nous ne savons pas faire de voitures comme Detroit et Stuttgart. » Mathieu Noël, manager chez le consultant en mobilités Ptolemus, ajoute qu’il s’agit aussi d’une politique propre à Israël, consistant à « soutenir les start-up dans les technologies de pointe avec un avenir assez long terme et des retours sur investissements plus lointains, mais massifs. »
Coup de pouce militaire
Toutes ces compétences proviennent du même endroit : l’armée israélienne et ses puissantes unités technologiques. La plupart des fondateurs de ces start-up y sont passés. Chez Innoviz, c’est « presque toute l’équipe » qui en vient, affirme son cofondateur Oren Rosenzweig, qui a lui-même passé sept ans dans une unité technologique d’élite de Tsahal, où il a rencontré les autres fondateurs d’Innoviz. « C’est probablement la meilleure école d’Israël pour la conception de systèmes électro-optiques. Cela nous a beaucoup aidé pour développer notre capteur Lidar. » La situation des entreprises de conduite autonome est un peu similaire à celle du secteur de la cybersécurité israélien, propulsé par les besoins militaires du pays, confirme Oren Rosenswzeig. « Ce sont des ingénieurs qui cherchent des applications civiles à ce qu’ils ont appris dans l’armée. » Adasky, dont deux dirigeants ont un passé techno-militaire, en est un bon exemple. La start-up est issue d’une scission d’une société qui développait déjà des caméras thermiques pour l’armée, avant de se rendre compte de leur potentiel dans le véhicule autonome.
Les start-up israéliennes sont donc bien placées pour capter une partie de la valeur du marché des véhicules autonomes. « Certaines, comme Mobileye et Argus, ont acquis la maturité et le niveau de croissance pour pouvoir fournir l’industrie automobile au niveau mondial », analyse Mathieu Noël. « Les start-up de conduite autonome sont en concurrence avec des solutions proposées par des équipementiers (tier 1) comme Bosch et Valéo. » Elles arrivent parfois à se passer des équipementiers et vendre leurs technologies directement aux constructeurs mais ont souvent encore besoin d’eux, poursuit le consultant. « Ces jeunes pousses n’ont pas la capacité d’intégrer leurs systèmes dans les véhicules comme savent le faire les équipementiers. »
Une concurrence qui pourrait ne pas durer, car ces entreprises représentent de jolies cibles d’acquisition pour tous les groupes qui préparent des véhicules et services autonomes, comme l’ont montré les rachats de Mobileye et SAIPS. Le temps dira si les Israéliens deviendront des acteurs influents de l’industrie automobile ou simplement son labo de R&D.
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