A l’occasion de la sortie du dernier numéro de Causeur, consacré aux Jeux olympiques de Paris, Elisabeth Lévy a accordé un long entretien au FigaroVox. Elle y dénonce la politique d’Hidalgo et la transformation de Paris en «boboland du futur».
Votre dernière une est consacrée aux Jeux olympiques de Paris 2024. Pour une fois qu’un sujet semblait faire consensus …On a l’impression que vous aimez vous opposer pour vous opposer. Par pur goût de la polémique.
Elisabeth Lévy: La formulation de votre question prouve que nous avons eu raison. Les JO à Paris, cela fait partie des propositions qu’on ne peut pas refuser: vous ne parvenez même pas à envisager que l’on puisse avoir d’excellentes raisons pour ne pas partager l’enthousiasme général – et obligatoire. Et quand vous invoquez le «consensus», pardon cher Alexandre, mais je vous ai connu plus avisé. Ainsi, la propagande étatique et municipale sur le thème «tous les Français veulent les Jeux» a eu raison de votre capacité de jugement! L’autoréférentialité a pleinement fonctionné: vous aimez ce qu’on vous a dit que vous aimiez. Et, par-dessus le marché, on vous a convaincu que ne pas l’aimer serait une faute morale. Voilà un exemple de manipulation collective parfaitement réussie. Encore que, en réalité, la plupart des gens se fichent des JO comme du tiers et du quart. Même pour les Parisiens: 2024, c’est loin et avec les folies anti-bagnoles et l’obsession festiviste de madame Hidalgo, digne représentante de la gauche über/airbnb, notre existence est déjà passablement compliquée. L’une des scènes les plus courantes de la vie parisienne, c’est un embouteillage sur une file avec, à côté, une piste cyclable parfaitement vide qui est juste là pour vous dire: je te pourris la vie et je t’emmerde! Mais pour revenir aux JO, je refuse les questions à choix unique et les débats tranchés avant d’avoir lieu. Dans le pesant unanimisme qui voit Anne Hidalgo et Emmanuel Macron, qui se détestent, faire cause commune pour Paris 2024, vous devriez être soulagé qu’il y ait une voix dissidente.
Le sujet est très parisiano-parisien. La France ne se résume pas à Paris…
Paris n’appartient pas seulement aux Parisiens! Et puis, il faudrait savoir: je croyais que les Jeux étaient une grande cause nationale, le projet mobilisateur qui va nous sortir de notre marasme, nous redonner le goût de l’avenir et du tricolore – et ceci n’est qu’un pâle échantillon des niaiseries débitées en tranches au moment de notre grande victoire contre personne de Lima. Du reste, tous les Français vont en souper des Jeux, en manger jusqu’à étouffer matin midi et soir. Et, pardon d’être mesquine mais tous les Français vont payer. Gil Mihaely rappelle dans Causeur qu’en 1970, après l’attribution des Jeux à Montréal, Jean Drapeau, le maire de la ville affirmait: «Il est aussi impossible pour les Jeux olympiques de Montréal de produire un déficit que pour un homme de devenir enceinte». Comme l’observe Mihaely, il était juste en avance sur son temps: l’homme enceint.e n’est plus qu’une question de temps et le dépassement des coûts des JO de Montréal a atteint 720 %, qui n’ont été éclusés qu’en 2006, soit 20 ans après sa mort.
Vous en faites des tonnes sur les deniers publics. Je ne vous savais pas si attachée au respect de la règle des 3%. Sans compter que les J.O vont aussi faire marcher le commerce ce dont la France a bien besoin…
On vous a vraiment lavé le cerveau! Avant la compétition, toutes les villes-hôtes produisent de magnifiques documents montrant que les JO ne vont rien coûter et rapporter des milliards. Bon sang ce que les habitants de Boston, Hambourg et Budapest sont crétins, d’avoir laissé passer un tel pactole! J’avais de surcroît oublié qu’à Paris, nous étions bien meilleurs, question finances, que ces benêts de Tokyoïtes et de Londoniens qui ont enregistré 176 % de déficit par rapport à la prévision affichée sept ans avant les JO. Ah oui, on va inventer les Jeux sobres, la bonne blague. Venez donc voir dans le centre de Paris ce qu’on appelle sobriété…. Quant à mon souci des finances publiques sur lequel vous ironisez, je vous retourne l’argument: des commentateurs qui se pincent le nez pour prononcer le mot «déficit» et s’agenouillent chaque fois qu’il est question de la règle des 3 % la balaient soudain d’un revers de main. L’argument financier n’est certainement pas le premier et il ne se suffit pas à lui-même. Cela dit, et encore une fois, pardonnez-moi de vous gâcher la digestion de toute la confiture olympique que vous avez avalée, je ne suis pas sûre que les Français seront aussi enthousiastes quand il faudra payer la facture de votre grande fête du sport. Déjà qu’ils s’énervent pour le misérable million et demi d’euros qu’il a fallu débourser pour envoyer 250 personnes à Lima mener une bataille déjà gagnée. C’est que tous ces gens animés par le bel esprit olympique aiment bien les salaires et les hôtels confortables.
Dites-le, à la fin, que vous n’aimez pas le sport!
Comme le disait Muray, «le sport n’est qu’un des pires mauvais moments à passer parmi d’autres». Cependant, au risque de vous décevoir, j’aime beaucoup en faire (certes à un niveau non olympique) et il peut m’arriver d’en regarder à la télé. J’ai même d’excellents amis supporters! En revanche, je suis excédée par la religion du sport. Je n’aime pas que l’on idolâtre les sportifs, ni que l’on éclaire la Tour Eiffel pour célébrer l’acquisition par le PSG d’un «joueur à 222 millions d’euros». Je n’aime pas qu’on exonère de toutes charges fiscales et sociales les organisateurs de grands événements sportifs qui empochent déjà des milliards d’euros de droits de retransmissions. Le CIO ne paiera pas un sou de charge ou d’impôt à l’Etat français: au nom de quoi le sport aurait-il un privilège par rapport à toutes les autres activités marchandes? Comme le résume Alexandre Gady, bien connu des défenseurs du patrimoine, dans une formule lumineuse, le barnum olympique, ce sera «Paname et Circenses» (apprenons aux moins de 20 ans qui se risqueraient ici, sur le web à l’ancienne, que «Paname» est un vieux mot d’argot, vieux signifiant qu’il avait encore cours dans les années 1950, pour désigner Paris). Mais je n’ai pas fini: je n’aime pas non plus particulièrement ce que la maire et ses admirateurs appellent «fête»: d’immenses foules dans lesquelles personne ne peut parler à personne parce qu’une sono hurle, rassemblées au prix d’immenses embouteillages et blocages enquiquinant tous les autres (les ploucs dont on ricane en disant: «ils n’aiment pas la fête tant pis pour eux»). Après minuit et jusqu’au petit matin, la foule s’effiloche en dizaines de petits groupes, dont les éléments les plus éméchés beuglent avec ce plaisir étrange des ivrognes à réveiller leurs concitoyens. Et avec un peu de chance, vous vous endormez jusqu’au moment où le bruit terrifiant des bouteilles de verre qui s’entrechoquent dans la benne de ramassage spécial vous fait bondir. Il est six heures du matin, vous vivez sous Anne Hidalgo!
Moi ! (Faites passer…) pic.twitter.com/kqkPAg5bAE
— Elisabeth Lévy (@ELevyCauseur) 12 octobre 2017
Vous exagérez, elle n’a pas inventé le recyclage, ni la fête!
Pour le recyclage, je vous l’accorde. (Et puis je vous jure que je suis pour, ne me dénoncez pas s’il vous plait). Quant à la fête, si Anne Hidalgo ne l’a pas inventée, elle la réinvente chaque jour, elle la multiplie, la déploie, la généralise. Et non contente de nous l’imposer, elle s’en vante dans la langue en forme de collier de perles de la technocratie progressiste qu’elle affectionne. Ecoutez bien madame le Maire: dans le maniement du lieu commun, je lui décerne la médaille d’or sans attendre 2024.
N’y a-t-il pas plus grave à lui reprocher que l’organisation des Jeux: les embouteillages, la transformation de Paris en forteresse interdite aux pauvres …
Mais il y a une cohérence entre tout cela, c’est sa vision de la ville, comme un boboland du futur, un Disneyland progressiste. Une réserve pour gens qui pensent bien, veulent «végétaliser la ville» et «accéder à des mobilités douces», avec des logements sociaux pour les pauvres qui les servent et gardent leurs enfants. Un espace de start-up, et de connexions, de loisirs, de tourisme et d’expérimentation: madame Hidalgo veut nous dresser, nous rééduquer. Bertrand Delanoë était, en dépit de ses tendances Jack Lang, un homme du monde ancien. Hidalgo veut nous faire aimer demain, de gré ou de force. Elle veut nous faire prendre les quais de Seine pour une plage et les trottoirs pour des potagers. Elle considère tous ceux qui s’opposent à cet avenir radieux avec le mépris qu’on voue à des résidus d’un passé honni – ils finiront par s’y faire. Peu m’importe son mépris. Ce qui me met dans une colère noire, c’est qu’elle me vole, à moi et à tous ceux qui ont besoin de se déplacer dans la capitale de la France, des heures de vies que nous aurions pu consacrer à tant de belles choses. Perte sèche et irrémédiable. Pour cela, il n’y aura pas de pardon, ni de paix des urnes!
Vous craignez la dégradation de notre patrimoine. Vous ne croyez donc pas aux installations temporaires?
Parlons d’abord des installations définitives, dont on nous dit qu’elles resserviront, comme Arena 2 (qui ne fait pas partie du paquet olympique car il a été promis par Hidalgo aux milieux sportifs pendant la campagne de 2014) ou l’indispensable piscine olympique en Seine saint Denis. C’est le principe de la robe de mariée. Toutes les fiancées jurent qu’elles la reporteront et toutes les robes se fanent dans des armoires. Désolée, comme le rappelle Erwan Seznec, la Seine Saint Denis ne manque pas d’équipements sportifs, le taux d’équipement en piscine y est le même qu’à Paris. En revanche, elle manque cruellement de librairies.
Quant aux installations temporaires qui occasionneront au bas mot deux années de nuisances et de multiples dégradations sur le Champ de Mars, l’esplanade des Invalides et le bas des Champs Elysées, demandez aux habitants de ces coins ce qu’ils en pensent. Tant pis, ce sont des salauds de riches, et même bien fait pour eux. Mais c’est tout Paris qui s’apprêtera pour les JO en infligeant à notre vue à tous un affichage publicitaire pénible et envahissant (au prix d’assouplissements des règles en vigueur), sans parler des aménagements divers qui restreindront encore les possibilités de circuler et de tout l’attirail touristico-commercial qui sera déployé pour célébrer les vertus du sport et de la camaraderie.
Comment expliquez-vous ce que vous appelez l’unanimité politique et médiatique autour des jeux?
Autosuggestion? Illusion collective? Opium du peuple? Retour du refoulé patriotique alors que le tricolore n’est toléré que sur un stade? L’admiration vouée aux sportifs me laisse un peu perplexe. Il y a peut-être quelque chose d’admirable dans l’effort sportif et dans la performance, mais il y a quelque chose de tout aussi, voire de plus admirable, chez les grands chercheurs et les grands romanciers. La grande différence c’est que certaines activités sont télégéniques et pas d’autres. Quant à l’exemplarité du sport avec laquelle on nous rebat les oreilles, le nombre de scandales qui jalonnent la chronique sportive devrait empêcher quiconque de brandir cet argument.
Et que vous inspire pour conclure la volonté de la maire de créer un camp de nudiste dans le bois de Vincennes?
Anne Hidalgo est une grande comique. Affairée à se parer de toutes les fanfreluches idéologiques qui constituent la bienséance du moment, elle ne voit pas que certaines de ses lubies entrent en collision avec les autres – c’est «moderne contre moderne», comme l’observait Muray. Exemple elle n’aime pas la pollution mais elle aime le tourisme: elle bannit donc de pauvres voitures peu polluantes et laisse les cars de tourisme semer leurs fumées puantes dans tout Paris. Ainsi, animée par cette générosité qu’elle finance avec nos impôts, cette dame patronnesse du progressisme veut accueillir des migrants et des nudistes dont on imagine à quel point ils feront bon ménage. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Paris déroule le tapis rouge à nos grandes fortunes et que l’on puisse, pour la funeste Nuit blanche, célébrer Che Guevara et Mao (plusieurs dizaines de millions de morts tout de même) sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Mao et Pinaut (ou Arnault), c’est littéralement, le radical chic. Notez que pour une femme qui prétend faire (et nous faire faire) une révolution culturelle, ce n’est guère étonnant. À part ça, on expliquera que nous combattons madame Hidalgo parce qu’elle est femme et espagnole: c’est ce qu’elle dit de ses opposants, également taxés de «réactionnaires» et ce n’est pas un compliment. Autant l’avouer, à Causeur, nous sommes comme ça: nous détestons les femmes, les Espagnols et les coiffeurs. Et ne me demandez pas «pourquoi les coiffeurs».
Propos recueillis par Alexandre Devecchio
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