Ça suffit. Le silence lâche de tous. D’une majorité d’hommes quand « le sujet » est sur la table. Entendez le harcèlement. Les violences faites aux femmes. A leur femme donc. Leur sœur. Leur fille demain.
Quand eut lieu ce que très vite on appela « le clash » entre l’ex-porte-parole d’Europe Écologie-Les Verts, Sandrine Rousseau, et Christine Angot, on vous entendit tous vous positionner sur « la violence faite par l’écrivain à la politique ». Denis Baupin ? Point. Il ne fut pas le sujet. Le harcèlement ? On n’en parla pas. L’histoire, c’était que Christine Angot avait fait pleurer Sandrine Rousseau, alors la première s’en prit plein la figure.
Les filles, elles se seraient expliquées, en coulisses, mais déjà les réseaux sociaux bruissaient car tous les ingrédients du buzz étaient là réunis, et tout ça fit la semaine aux media qui n’avaient pas un attentat à se mettre sous la dent.
Les faits ? Ils étaient qu’une femme vint raconter en plateau l’agression sexuelle que lui infligea son collègue tout vert Denis Baupin, et l’affaire étant classée sans suite -décision justifiée par la prescription des faits-, elle décida de parler des violences faites aux femmes et cela donna un bouquin qu’elle vint présenter aux juges de France 2. Mais de ces juges était notre écrivain, qui avait elle-même fait en 1999 de l’inceste vécu étant enfant le sujet d’un roman[1]. En somme, deux femmes violentées se faisaient face.
Ça dérapa sur une histoire de « méthode » – Descartes, si tu nous entends – Yann Moix s’interrogeant sur l’opportunité de « tenir un discours plutôt que de livrer une parole ». Ca devint sanglant parce que l’élue, ayant démontré la difficulté pour les victimes d’agressions sexuelles de parler, elle prônait la création de « dispositifs d’écoute » car on ne pouvait rester comme ça avec des femmes seules face à leurs problèmes, elle évoqua des référents, personnes formées pour accueillir la parole ».
Et là, Christine, vous la connaissez, elle s’emporta, elle en avait assez : Pour elle, les agressions sexuelles devaient se régler en soi, une femme devait pouvoir se débrouiller toute seule : « Il n’y a personne, ça n’existe pas ! C’est comme ça ! Il faut se le mettre dans la tête !»
La question de l’inceste, elle n’était pas partageable. « Quand ça arrive, eh bien tant pis. On se débrouille. On ne nous laisse pas le choix. Il ne faut pas « aider » les gens, ce n’est pas assez, il faut les sauver. Un psychanalyste peut sauver. Car une grande souffrance n’est jamais strictement personnelle, et la psychanalyse le sait, ça».[2] ». Christine, vous la connaissez. Et moi, j’achèèèète. Même quand elle est un peu barrée, parce que, avec le décodeur, elle dit quoi, cette femme ? Que la femme violée violentée agressée, oui elle est seule. Avec cette salissure désespérée.
Invitée de toutes parts pour parler de l’humiliation subie en plateau et non de son livre « Parler », celle que Denis Baupin plaqua contre un mur, les mains sur ses seins, outre qu’elle réagit longuement sur Twitter, fit quelques plateaux, ne tombant dans aucun piège et concluant que cette séquence était somme toute révélatrice de la manière dont on parlait des violences sexuelles : « C’est très difficile d’en parler, car ça génère beaucoup de violence». Elle avait vu en celle qui l’avait agressée une victime, qui hurla la solitude des femmes violées, et elle, elle répondait « ça suffit de cette solitude de cette double peine les femmes il faut leur tendre la main pour qu’elles aient des lieux de parole ».
Que Denis Baupin avait plaqué sa collègue contre le mur, les mains sur ses seins, alors que lorsqu’une femme dit non, c’est non, était le seul sujet. Quand une femme dit non. Mais Laurent Ruquier ? Pas plus que Yann Moix il ne s’empara du sujet ce soir-là, un peu gênés les garçons, avec ces deux femmes qui somme toute parlaient d’une blessure à vie, qu’elles exprimèrent différemment. La méthode.
Mais Marlène Schiappa prit le parti de celle qui fut publiquement humiliée et mise en accusation pour avoir eu le courage de briser le silence autour des violences sexuelles : les centaines de milliers de femmes qui chaque année sont victimes d’agressions sexuelles et qui observent ça et se disent à quoi bon parler si c’est pour être traité comme ça.
Moi Sarah, dans les larmes de l’une et la colère de l’autre, je ne vis que deux victimes exprimant leur souffrance, chacune à sa façon. Deux indignations, deux sensibilités, deux colères. Deux femmes qui furent l’une agressée sexuelle, l’autre violée par son père. Ce clash. Le silence autour d’elle. Ce malaise palpable : n’illustraient-ils pas une des raisons principales pour lesquelles les victimes se taisent…
Pendant ce temps, arriva « la journée internationale de la fille,» célébrée chaque 11 octobre depuis 2012 sous l’égide de l’ONU. Une Journée visant à promouvoir l’autonomisation des filles et l’exercice de leurs droits fondamentaux, elles qui sont, dans certains pays, « des citoyennes de dernière zone ». Premières victimes d’inégalités, d’exclusion, de discriminations et d’abus de toutes sortes.
Les Inrockuptibles, eux qui mirent en couverture Mehdi Meklat deux fois en moins de trois mois, se sont-ils dit que c’était le jour ou jamais pour mettre en « Une » Bertrand Cantat, celui qui chante bien et tue bien, faisant resurgir le débat que l’on sait, d’autant qu’un CD était vendu avec le numéro, offrant une chanson d’Orelsan, rappeur connu pour ses propos dégradants envers les femmes et auteur de la douteuse expression « tu vas te faire marie-trintigner.» Elle eut raison, Nadia Daam, de publier une photo où un extrait du rapport d’autopsie de Marie Trintignant cacha la gueule d’ange du chanteur. A juste titre, les Twittos se déchainèrent contre l’hebdo et sa guest star, Raphaël Enthoven traitant les Inrocks de « magazine putassier » qui « crachait sur une morte pour offrir un écrin au meurtrier» et des actrices rendant hommage à Marie Trintignant sur les réseaux sociaux, demandant au magazine ELLE de consacrer sa prochaine Une à l’actrice disparue.
Mais la Journée des Filles n’était pas finie qu’à Hollywood, « Dieu » devint paria en quelques heures, les violences faites aux femmes par le producteur Harvey Weinstein rivalisant avec celles commises par DSK. En toute impunité. Un si long temps. Tout ça parce qu’il détenait le pouvoir de détruire votre carrière d’un claquement de doigt. Tout y était décidément, le silence complice, les amitiés complaisantes et ces prompts retournements de veste.
Ce qui se passe dans le cinéma se passant partout ailleurs, espérons tous que l’affaire Weinstein encouragera les femmes à s’exprimer et notre société à les écouter. Car toutes les femmes ne s’appellent pas Angélina Jolie et nombre d’entre elles, qui subissent ça au quotidien, sont dans des positions beaucoup plus faibles. Seules. Démunies. Seront-ils brisés, le tabou de la fessée et celui de la promotion canapé. Ces femmes iront-elles systématiquement déposer plainte, oseront-elles évoquer et décrire attouchements, pressions, remarques dégradantes, propositions ou comportements à connotation sexuelle, alors qu’il est si bien ancré, le « mythe » de l’attitude provocatrice des femmes agressées sexuellement, parce qu’elles auraient porté une jupe, rendant si grande la tentation qu’ils ne surent y résister. Leur demandera-t-on encore pourquoi elles ne se sont pas défendues.
Alors ? Quand nous insurgerons-nous contre la banalisation des violences faites aux femmes et contre cette culture du viol si souvent considéré comme un non-événement, un petit accident du libertinage. Quand conviendrons-nous tous qu’il ne s’agit pas d’une affaire de femmes. Quand les hommes prendront-ils la parole. Se positionnant aux côtés de ces femmes qui se taisent, brisées de colère, impuissance, souffrance, solitude. Quand, enfin, seront-ils dénoncés, cette indulgence, cette complaisance et ce déni à l’égard des violences faites aux femmes, quand les auteurs sont hommes de pouvoir ou artistes, et dès lors exonérés de tout.
[1] L’Inceste, sorti en 1999,
[2] Le Divan, 16 mai, France3.
Sarah Cattan
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