Lettre ouverte à l’historien qui compare Mohammed Merah et un poilu de 14-18

Cher Nicolas Mariot,
Relativiser les actes de Mohammed Merah (« fou », « loup solitaire », « paumé », etc) est dans l’air du temps. Vous, de votre côté, avez publié dans Libération (du 4 octobre 2017), une tribune intitulée « Du Poilu Hertz à Merah, une radicalisation en famille ».

Permettez-moi de vous exprimer mon dégoût.

Oh, vous êtes quelqu’un de très respectable, historien, directeur de recherches au CNRS. Vos recherches semblent fort intéressantes. Travailler sur les rapports de classes dans les tranchées enrichit certainement la science historique. Votre dernier livre paraît tout aussi intéressant. Il est consacré à Robert Hertz, soldat français, intellectuel brillant, officier engagé dans la boucherie de la Grande Guerre, qui choisit avec ardeur de se sacrifier pour la France, encouragé par l’exaltation de sa femme Alice. L’objectif de votre livre, écrivez-vous en quatrième de couverture, consiste à s’interroger sur la raison pour laquelle on « meurt pour ses idées ». Louable entreprise. Même si, soit dit en passant, je soupçonne que vous aviez une réponse à cette question avant même de vous interroger, tant il apparaît qu’à vos yeux la guerre est absurde et la Grande guerre plus que toute autre. En somme, il fallait donc être un sacré « radicalisé » pour vouloir y mourir. C’est un peu votre conclusion. Passons. C’est un autre débat, même si je pense qu’il n’est pas sans lien avec la question qui nous occupe.

Bref, vous êtes intelligent, posé, argumenté. Vous ne ressemblez guère à tous ceux qui, par les temps qui courent, exposent à tout va, de tweets en statuts facebook, le produit d’un étrange mélange de haine, de ressentiment, d’inculture et de bêtise.

Votre intelligence, votre culture, votre savoir-faire ajoutent à votre faute. Cela vous surprend? Vous pensiez que, justement, vos travaux, votre intelligence, votre respectabilité vous mettaient à l’abri et vous donnaient quelque latitude pour établir un parallèle, une « résonnance » comme vous l’écrivez pompeusement, entre Mohammed Merah, tueur islamiste d’enfants juifs et de militaires, et Robert Hertz, lieutenant engagé dans la Grande Guerre? Vous le pensiez, j’en suis sûr!

Vous êtes trop expérimenté pour méconnaître ce qu’est un contexte historique, vous êtes trop intelligent pour ignorer les limites, voire les dangers, à opérer une telle comparaison. Bien sûr, vous prenez quelques précautions rhétoriques. « On pensera qu’il y a bien de l’exagération », « un peu d’indécence », écrivez-vous préalablement. Notons le « un peu ». Et non « beaucoup ». Mais vous décidez courageusement de passer outre ces risques, ce « un peu » d’indécence, car votre faramineuse thèse le mérite: « Mais les faits sont têtus. Les parallèles trop forts pour être écartés d’un revers de main. » Une tribune dans Libé vaut bien une messe! C’eut été tellement dommage que le risque d’un peu d’indécence vous empêche de faire le malin.

Car le malin, c’est ce que vous faites, sous couvert d’une réflexion atypique. Et quitte à faire le malin, autant le faire jusqu’au bout. Ce Robert Hertz, ce patriote radicalisé, vous choisissez de préciser qu’il est « juif ». En quoi cela importe, on ne saura pas. Aucune malice de votre part, j’en suis sûr. Ou alors si peu. La croustillante ironie ne vous a pas échappé, hein? Un tueur d’enfants juifs, d’un côté, un lieutenant juif de l’autre. Pas mal. Comprenez-moi bien, je ne suggère pas que vous êtes antisémite. Non. Seulement que vous avez voulu, consciemment ou inconsciemment, rendre votre faramineux exercice de comparaison encore plus difficile. Placer la barre du risque d’indécence un cran plus haut, sous les applaudissements.

J’aimerais être dans votre tête. Il faut toujours essayer de le faire, avant de prendre position. Vous, en revanche, vous ne vous êtes pas mis dans la tête de ceux qui allaient vous lire, les familles des victimes de Merah, accablées de douleur, vous ne vous êtes pas mis dans la tête des millions de Français horrifiés par ses crimes et angoissés par la menace terroriste.

Qu’avez-vous pensé? Qu’avez-vous voulu faire? Comprendre? Relativiser? Je ne sais pas. Je crois que, simplement, fort de votre trouvaille conceptuelle et marketing, vous avez cédé à ce mal contemporain qui consiste, tout simplement, à vouloir exister à tout prix, à donner son avis sur tout et, plus encore, dès que possible, à créer la polémique, à choquer. Vous vous pensiez anti-conformiste, vous n’êtes qu’un cynique et le produit banal d’une époque.

Peut-être, avez-vous également pensé que, effet collatéral bienvenu, ce petit et paresseux texte apporterait un peu de publicité à votre long et intelligent ouvrage, bien trop ignoré du monde. Voyez comme j’essaye de me mettre dans votre tête. A toutes fins utiles, son prix, 25 euros, et son éditeur, le Seuil, sont précisés à la fin de votre tribune. Après tout, si un lecteur, après avoir goûté votre petit parallèle audacieux entre Merah et le lieutenant Hertz, avait envie de se jeter sur vos 448 pages à 25 euros aux éditions du Seuil, eh bien ce serait une externalité positive comme disent les économistes.

Du reste, dans votre tribune, tellement désireux de parler de vous, de parler de votre brillant livre sur le lieutenant Hertz, vous mentionnez le fait que vous l’avez écrit « alors que des attentats secouaient le pays. Charlie Hebdo, ‘les terrasses’ et le Bataclan, Nice ». Vous ajoutez ensuite: « Chaque nouvelle trace sanglante ajoutait un écho supplémentaire à ce que je racontais de l’engagement hors norme des époux Hertz. »

Il faut vous imaginer plongé dans les lettres de Hertz en 1915 sur le front, dans celles de sa femme, dans des archives militaires veilles d’un siècle et des carnets de campagne, levant le nez sur BFMTV et, devant le spectacle d’une salle de concert mitraillé par des terroristes islamistes, devant les images de jeunes gens abattus comme des chiens à des terrasses de café en plein Paris, devant les mares de sang à Nice, vous dire « hein, hein chaque trace sanglante ajoute un écho supplémentaire à ce que je raconte de l’engagement hors norme des époux Hertz ». J’aimerais vous imaginer ainsi, mais non, mon imagination atteint là ses limites.

Vous auriez dû, suite à vos éclairs de génie devant BFMTV, lever le pied, travailler moins, prendre quelques vacances. Vous auriez dû… On n’en serait pas là: dans Libération, vous osez écrire cette phrase définitive à propos de Hertz et de Merah, « radicalisation, patriotique chez l’un, islamiste chez l’autre. »

Vous êtes trop intelligent et trop historien pour ne pas savoir qu’on ne compare pas l’incomparable. Mais vous n’êtes manifestement incapable de comprendre ce que vos comparaisons et autres savantes « résonnances » ont de détestables, de moralement abjectes et de politiquement dangereuses.

En sont également incapables, ceux à qui vous avez, derrière votre ordinateur, bien content de vous, envoyé votre texte et qui ont décidé de le publier. Eux aussi, trop contents de l’audacieux parallèle, du « buzz », de cette réflexion originale propre à susciter le débat –ah, que d’indignités au nom de ce fameux « débat »!– et cela grâce à un historien breveté d’état-major, CNRS qui plus est. Ils sont autant responsables que vous. Et ils le sont même plus que vous, car eux sont censés savoir quelle est leur responsabilité médiatique.

Vous êtes le produit d’une époque. Eux aussi. Vous tous avez voulu faire les malins, faire le « buzz ». Vous tous apportez votre petite contribution au relativisme, à la confusion, au cynisme ambiant.

Une dernière chose. Apothéose de votre fulgurance scientifique, vous justifiez votre détestable comparaison par cette trouvaille: « Les parallèles sont trop forts pour être écartés d’un revers de main. A voir les Hertz s’enfoncer dans le sacrifice, j’en déduisais au moins trois ‘règles’ qui semblaient pouvoir s’appliquer plus généralement à qui veut comprendre un ‘processus de radicalisation’: on ne se sacrifie pas seul, et souvent en famille; on se sacrifie quand on a le choix et qu’on peut dire non; on se sacrifie pour des idées. »

Tout ça pour ça! J’espère qu’à tête reposée vous mesurerez la pauvreté de votre conclusion, l’indigence de votre contribution à… à quoi, en fait? À la sociologie, à l’anti-terrorisme, à la psychologie, à l’Histoire, au café du commerce?

Antoine Vitkine – Journaliste, écrivain et réalisateur de documentaires

Source huffingtonpost

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5 Comments

  1. Je deplore l’assassinat des 3 militaires mais le coup à bout portant dans les deux petites têtes des enfants me font trop penser au geste des assassins nazis.
    Ce rapprochement avec le soldat français est abjecte d’autant plus que son auteur intectuel de métier ne trouve d’explication que par un désir de faire un coup médiatique et mercantile.
    Par conséquent je fais un lien entre cet intelintellectuel et l’assassin M…..

  2. Le totalitarisme est d’abord un langage (oublier de nommer le bien mais nommer le mal). « L’expression « langage totalitaire » renvoie à un langage excluant toute pensée « autre », un langage qui enferme ce qu’il est seulement licite de dire, un langage qui appelle au meurtre, à l’anéantissement de toute altérité »
(Victor Klemperer et le langage totalitaire aujourd’hui). Il est difficile de ne pas entendre le parti-pris de Nicolas Mariot. La morale que nous portons en nous, dans nos sociétés, fondées sur le Christianisme jusque dans leurs structures, sont sans doute, un des secrets des textes bibliques. Ils sont re-fondateurs. On vient s’y abreuver et y chercher du sens. Ces textes nous rejoignent dans notre actualité et posent les bases de notre réflexion. Et ce ne sont pas les textes primitifs qui l’emportent sur leur développement ultérieur. Dans le Coran, la période « modérée » est supplantée par la plus violente. L’islam est né bien après l’apparition des deux autres branches du monothéisme, le judaïsme et le christianisme. Et le texte des deux premières est adressée à des hommes qui la vivent et l’interprètent dans leur quotidien, la troisième est donnée telle quel, et ne peut être interprétée. La nouvelle religion à ses débuts, est une civilisation conquérante, imposant ses croyances, assujettissant les populations au tribut et faisant régner un ordre islamique partout où elle prenait pied. le lexique islamique submerge notre quotidien. Pas un jour ne passe sans que l’on entende, dans notre beau pays laïque, les mots : islam, djihad, Coran, salafisme, Allah, musulmans, charia, halal, mosquée, imam… Le voile est vu dans les écoles, les universités, les hôpitaux, les entreprises, les plages, les piscines et les transports en commun… la rue. Rien de commun avec la pensée d’un poilu qui veut défendre sa liberté chez soi, avec ceux qui veulent en priver ceux qui ne sont pas « eux ».

  3. L’historien qui compare Mohammed Merah et un poilu de 14-18
    Non Monsieur Nicolas MARIOT , mon arrière grand-père d’origine Algérienne (que son âme repose en paix ) n’était pas un tueur d’enfants juifs , il est mort en 14-18 en Roumanie pour une noble cause . Par votre potin vous avez voulu salir sa mémoire et déshonorer notre famille . DIEU soit loué mes grands –parents ne sont plus de ce monde et n’ont pu assister à ce fâcheux évènement . Vous auriez du garder le silence car vos opinions ne sont pas dignes d’un Directeur de Recherches au CNRS , poste qui vous a permis d’avoir une tribune ,assimiler une bête immonde aux poilus et enfin tenir des propos démoniaques plus meurtriers que les actes immondes injustifiables et inexcusables commis par le sinistre Merah (que son âme repose en enfer). Je termine mon commentaire pour vous dire que si j’habitais en France , je vous aurais par un moyen légal poursuivi en justice pour vos propos nihilistes et mortifères mûrement réfléchis car vous le savez mieux que quiconque là où commence l’islamisme se terminent les droits , les libertés démocratiques la liberté de pensée et ouvre la voie à l’antisémitisme , toutes ces valeurs auxquelles les poilus dont mon arrière grand-père au risque de me répéter se sont sacrifiées .

    • Merci pour votre témoignage Monsieur Fissou, il véhicule la vérité contrairement au propagandiste qui embrasse une cause singulière. Bien à vous.

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