Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’humour juif sans jamais oser le demander

Une des règles de l’exégèse des maîtres du Talmud est appelée ifka mistabra. Cela consiste à retourner un raisonnement. C’est le moteur de beaucoup d’histoires juives.

« De quoi hérite le Juif? Misères et hémorroïdes » dit un proverbe yiddish. Parfois aussi d’humour, cet humour juif si particulier qui est devenu universel. Une définition de l’humour juif, extraite du film « Train de vie » de Radu Mihaileanu: « L’humour juif, c’est comme l’humour allemand avec l’humour en plus. »

Dans « La Promesse de l’aube », Romain Gary définit l’humour juif ainsi: « Une déclaration de dignité, une affirmation de la supériorité de l’homme sur ce qui lui arrive. » L’humour juif, ce sont toutes ces histoires anonymes transmises par la tradition orale. Elles témoignent de l’esprit, de la vitalité du peuple juif. Dans la Bible, Isaac, le deuxième patriarche, est le messager du rire. Le rire est inscrit dans le nom d’Isaac, « itzhak » signifie en hébreu « il rit » (ses parents se sont esclaffés quand Dieu promit que Sarah enfanterait à son âge très avancé de 90 ans).

La lecture, l’étude approfondie du Talmud et des récits du Midrash au cours desquels Dieu rit, a contribué à modeler si ce n’est un esprit juif tout au moins un humour juif. Dieu demande aux Juifs d’interpréter ses paroles. Les rabbins étudient, dissèquent la Torah. Ils jouent avec les idées, rient de leurs ancêtres et de leurs confrères, ils se rient même de leur propre érudition. Dans les écoles de Babylone ou les yéchivas de Jérusalem, l’interprétation de la Torah participe pleinement de la vie spirituelle et mène à des jeux de l’esprit parfois inattendus. Il n’est pas rare que certains passages obscurs de la Torah soient éclairés par des arguments ou des rapprochements insolites. Ce dialogue contradictoire, cette dialectique qui a tendance à « couper les cheveux en quatre » s’appelle pilpoul. Le pilpoul (dérivé du mot pilpel, « poivre », littéralement « raisonnement aiguisé ») est une méthode qui consiste en une étude systématique du Talmud. C’est une subtile gymnastique intellectuelle qui se joue des contradictions. Elle participe de l’exégèse, de l’analyse, de l’obsession textuelle des Juifs.

Cette controverse est le ferment de la richesse de l’étude talmudique mais aussi une source d’humour. « La dimension interprétative que l’on rencontre dans le Talmud est en soi une forme d’humour qui donne la possibilité à l’homme de s’inventer toujours autrement » explique Marc-Alain Ouaknin. Une des règles de l’exégèse des maîtres du Talmud est appelée ifka mistabra. Cela consiste à retourner littéralement un raisonnement ou un argument. Cette règle est le moteur de beaucoup d’histoires juives. On trouve dans le Talmud des anecdotes qui relèvent soit de l’humour soit d’une ironie glacée. L’esprit talmudique rejoint ainsi les variations de l’humour. Du texte sacré au monologue du comique, d’Abraham à Jerry Seinfeld, en passant par Hannah Arendt, Albert Cohen, Saul Bellow, Philip Roth et Gary Shteyngart, toute la littérature juive met en œuvre cet appétit, ce sens de la répartie, de la chutzpah (de l’hébreu ḥuṣpâ qui signifie « insolence », « audace » et « impertinence »). Un des « mots » que Georges Perec aimait sans cesse citer, et qui semble avoir servi de matrice à nombre de ses inventions littéraires, est celui de Groucho Marx: « Parti de rien, j’ai atteint la misère ». Une des blagues favorites de l’auteur de « La Disparition » est la devinette suivante: « Pourquoi y a-t-il si peu de Juifs meuniers? » Réponse: « Parce qu’on ne peut pas être au four et au moulin ».

L’humour juif dit aussi, chose non moins importante, cette façon d’être et de considérer la réalité –une réalité décalée, discordante, cette étrangeté au social et à soi (Proust, Kafka, le personnage que s’est inventé Woody Allen, intellectuel juif névrosé désaxé, en quête de sens, de Dieu…).

Démesure de l’humour juif. Une histoire, une anecdote débouche sur un witz, un trait d’esprit qui fait mouche. C’est celui, désopilant, irrésistible, des Marx Brothers qui déploient un grand rire burlesque. Divisions, rivalités et autres rixes: les trois Marx Brothers n’en finissent pas de se battre; c’est une petite famille surréaliste, une communauté qui n’arrête pas de s’amuser, d’improviser, de se décomposer et se recomposer.

Le rire de l’humour juif est souvent présenté comme une « politesse du désespoir » selon la célèbre formule employée en son temps par Oscar Wilde. Pour les Juifs, rire, c’est aussi rire quand même, « rire malgré tout » selon l’expression de Rilke. Le rire éclate à travers les larmes. L’humour juif ou rire à travers les larmes.

L’humour, une révolte supérieure de l’esprit? Il y souffle l’esprit, l’irrévérence, la provocation, la révolte, la sagesse, la poésie, la beauté. Dans la préface de mon livre « L’humour juif expliqué à ma mère » (« ce livre est sorti de la petite fumante de mon fils, gloire à sa mère!!, un chef d’œuvre!, la pièce centrale de ma bibliothèque!, l’une des sept merveilles du monde! le best-seller des temps modernes! traduit dans toutes les langues dont plusieurs non terrestres!, me dit ma mère, sincère, et je suppose aimante, qui ne l’a pas encore lu; 5% de réduction à la librairie de votre quartier sur présentation de cette chronique ou d’un sexe circoncis), Boris Cyrulnik parle de l’humour comme d’un acte de résistance, de liberté, de résilience. Tour à tour insolent et extravagant, grave/joyeux, doux/amer, couscous/boulettes, l’humour juif est libérateur.

Franck Medioni

Source huffingtonpost

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2 Comments

  1. je me suis souvent demandé pourquoi les ashkénazes ont tenu une comptabilité des pogroms aussi précise, alors que chez les séfarades, on n’a jamais su combien de juifs ont été victimes de razzias. c’est peut être parce que les arabes ont commencé par les comptables?

  2. Dans la torah (judaïsme), être joyeux est important, le rire est un antidote contre certaines épreuves difficiles de la vie. Ainsi le peuple juif, qui à toute époque a souffert de persécution, a besoin du Maguen David,  » bouclier de David  » pour se défendre et résister à tous ces oppresseurs, et ce Maguen David est l’humour juif d’autodérision, qui est un mécanisme de défense. Un autre type d’humour juif est issu du milieu ashkénaze, judéo-arabe, judéo-espagnol… ou l’on peut naviguer des temps modernes aux temps bibliques, avoir affaire aux juifs des pays de l’Est, à ceux d’Afrique du nord, à ceux qui vivent à New York, Londres, Paris ou Tel Aviv. Il est sagesse et finesse d’esprit. Nous côtoyons le mendiant et l’homme d’affaires, le tailleur, le marieur, le religieux, le père de famille… et la mère juive, cette fameuse mère dominante et s’initiant dans le développement affectif de son fils adulte. L’humour juif traite aussi des sujets de religion, avec de nombreuses blagues sur le shabbat, la nourriture non cashère, la Bar-mitsva, des questions à l’Eternel…. Des sujets d’actualités comme l’assimilation, les différences culturelles, les décalages culturels, l’état du monde… reviennent en force, avec leurs gags. Enfin, on peut y trouver également des raisonnements métaphysiques par l’absurde qui font toute la richesse de ce patrimoine. Pour atteindre le but qu’est de faire rire, l’histoire doit respecter certaines règles : elle doit être racontée au bon moment, être si possible courte et avec une petite mise en scène. On n’entre pas dans les affaires sérieuses de ce peuple si injustement malmené, victime de la folie des hommes. Il n’y a aucune malice, on doit y trouver le gout de vivre, de rire, une véritable thérapie. Nous souhaitons que ce recueil avec ses mots d’esprit, ses histoires drôles, ses anecdotes, soit désopilant, et qu’il vous permette de prendre la vie du bon coté, tout juste, sans volonté de blesser quiconque.

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