L’Europe, pire ennemi des Etats-Unis ? Vous n’êtes pas sérieux. L’islamisme, la Russie, les illégaux… n’importe, mais sûrement pas l’Europe !
Ne sommes-nous pas unis au sein de l’OTAN ? N’échangeons-nous pas des volumes considérables de marchandises et de services tous les jours ? Ne partageons-nous pas les mêmes racines culturelles, la même civilisation, la même vision du futur ? N’est-ce pas la France qui a donné à l’Amérique sa statue de la liberté, « La liberté éclairant le monde » ?!
Tout cela est vrai mais l’Europe a changé. En un sens, l’Europe ressemble aujourd’hui à un continent où les Démocrates américains auraient détenu le pouvoir sans interruption depuis 30 ans, non seulement dans les Etats nationaux, mais également au niveau de l’Union européenne.
Aux Etats-Unis, le spectre politique se partage entre Démocrates et Républicains, globalistes et nationalistes, pro-vie et pro-choix, pro-armes et anti-armes, etc. Même de nos jours, avec une présidence et une Cour suprême clairement à droite, ces oppositions sont plus vivaces que jamais. Par contraste, en Europe, une telle palette d’opinions n’existe plus — du moins au niveau « officiel ».
Politiquement parlant, en Europe occidentale, dans la presse et à l’université, soit vous êtes de gauche, soit vous êtes un pariah. Si vous êtes de droite et soutenez publiquement des thèses et opinions en ce sens, vous risquez d’être poursuivi pour « islamophobie », « racisme », « discrimination » et autres délits à l’avenant. Pour s’en convaincre, il n’est que de consulter les actualités juduciaires d’un pays comme la France où un intellectuel comme Eric Zemmour, qui serait considéré comme de droite et relativement modéré aux Etats-Unis, est constamment harcelé devant les tribunaux en raison de son « extrémisme ».
Ce déséquilibre s’explique par plusieurs facteurs. L’un d’eux est la différence de maturité politique entre Américains et Européens. Tandis que les Américains « ordinaires » — pas seulement les « élites » — ont parfaitement compris le rôle fondamental que joue la Cour suprême dans le maintien des libertés constitutionnelles et comme phare culturel qui tranche en dernier ressort toutes les grandes questions de société, les Européens considèrent le rôle d’une juridiction suprême comme mineur et purement technique.
Cette différence de perception apparaît de façon éclatante avec la couverture médiatique du récent décès du juge Antonin Scalia de la Cour suprême. Pendant des semaines, la presse US a évoqué les « opinions » et la carrière du juge Scalia, son influence sur la société américaine, l’importance du profil idéologique de son remplaçant etc. À telle enseigne que son remplacement est devenu l’un des enjeux de la dernière élection présidentielle !
Pareil débat est impensable en Europe. En Europe, nous avons deux cours suprêmes : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui siège à Strasbourg. Et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qui siège à Luxembourg. Il n’existe probablement par un citoyen européen sur un million qui est capable de nommer ne serait-ce que l’un des juges de ces deux juridictions ! La raison en est que la nomination de ces juges est opaque, purement gouvernementale dans le cas de la CEDH, principalement gouvernementale dans le cas de la CJUE, avec un simulacre de débat dans un Parlement européen dominé de la cave au grenier par la gauche culturelle.
La meilleure illustration de cette déconnection des cours suprêmes européennes et des peuples européens est le dossier de l’immigration. Le sujet fait débat aux Etats-Unis, qui a toujours accueilli des migrants du monde entier, attirés par la lumière de la torche de la liberté. Ces dernières années, avec le développement exponentiel du terrorisme islamique, le débat américain s’est fait plus nourri.
Rien de tel en Europe, où le sujet est de facto prohibé. L’Europe est envahie depuis quelques années par des millions de migrants, musulmans dans leur écrasante majorité, dont l’ONU reconnaît que la plupart ne répondent en aucune façon aux conditions de l’asile. Ce sont, en d’autres termes, des réfugiés économiques qui n’ont pas leur place en Europe. Comment expliquer cette situation ?
L’un des motifs est la politique de frontière ouverte de la chancelière Merkel, qui a permis l’entrée sur le territoire allemand d’un millions de réfugiés en un an, non seulement sans ce que les Américains appellent « extreme vetting » — contrôle renforcé — mais sans contrôle à l’entrée d’aucune sorte.
Toutefois, il existe un motif plus structurel à l’anarchie migratoire en Europe. Ce motif réside dans un arrêt de la CEDH, l’arrêt Hirsi Jamaa and Others v. Italy qui, en 2012, stipulait que les Etats européens ont l’obligation de secourir les clandestins en Méditerranée — en n’importe quel endroit qu’ils se trouvent, fût-ce à quelques centaines de mètres des côtes libyennes — et de les emmener sur le territoire européen, de telle façon qu’ils puissent introduire une demande d’asile.
Dans l’affaire en question, l’Italie avait intercepté des clandestins en mer et les avait ramenés à leur point d’origine, la Libye, en vertu d’une convention bilatérale conclue entre l’Italie et la Libye. Balayant la souveraineté italienne, la CEDH décrète l’illégalité de cette convention et condamne en sus l’Italie à payer 15.000 euros de dommages-intérêts à chacun des clandestins concernés. 15.000 euros est l’équivalent de dix années de revenus dans des pays comme la Somalie et l’Erythrée (dont étaient issus MM. Hirsi et ses compagnons). En 2016, le PIB par tête de la Somalie était estimé à 400 US$, 1300 US$ en Erythrée.
Bien entendu, l’arrêt Hirsi n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. En Afrique, il devint clair que si un clandestin se fait intercepter en Méditerranée, la marine européenne a désormais l’obligation de l’acheminer vers son objectif final : l’Europe. De telle sorte que si l’objectif du clandestin, avant Hirsi, était de ne pas se faire intercepter, il devint, après Hirsi, de se faire intercepter. Ce qui créa un formidable appel d’air dans tout le continent africain et au-délà (de nombreux clandestins qui arrivent ces jours-ci en Italie par la Libye viennent du Bengladesh !). Alors qu’ils étaient quelques centaines à se noyer en Méditerranée avant Hirsi, ils sont désormais 5000 enfants, femmes et hommes à se noyer, chaque année, en se mettant à la mer dans l’espoir de se faire secourir par une marine européenne (chiffres de 2016). Tragique et meurtrière conséquence d’une jurisprudence qui se voulait inspirée par les plus hauts principes moraux.
Des ONG telles que Médecins sans frontières en sont à affréter spécialement des bateaux au large des côtes libyennes, pour servir d’interface entre les marines européennes et les passeurs mafieux, dont elle se font ainsi les complices objectifs.
Les Américains doivent lire l’arrêt Hirsi, qui est la parfaite synthèse de la jurisprudence européenne contemporaine. Ils constateront que la CEDH n’hésite pas à considérer les arguments de fait et de droit d’ONG comme Amnesty international comme faisant autorité; ce qui revient à reconnaître à ces ONG un statut équivalent à celui de source de droit !
Bien sûr, il reste de l’espoir. La révolte gronde en plusieurs points du continent européen. Ainsi des pays du groupe de Visegrad — Tchèquie, Pologne, Hongrie, Slovaquie — de l’Autriche, qui a dépêché des véhicules blindés à sa frontière avec l’Italie, ou de la Flandre (Nord de la Belgique) et de la Bavière, qui sont lasses de l’anarchie européenne.
Mais l’Amérique doit comprendre que, pour l’heure, la gauche culturelle monopolise si bien tous les lieux du pouvoir européen, que leur pire ennemi idéologique n’est pas l’islam ou la Russie : c’est l’Europe.
Drieu Godefridi
Traduction du texte original: The Worst Ideological Enemy of the US is Now Europe
Drieu Godefridi, auteur libéral belge, est le fondateur de l’institut Hayek à Bruxelles. Il est PhD en philosophie (Sorbonne) et juriste et il investit par ailleurs dans des entreprises européennes
Excellente analyse, du jamais vu ailleurs. On en redemande.