Les Juifs sont-ils un outil de défense de la démocratie tunisienne?

Les révolutions arabes ont échoué, la Tunisie reste le seul pays où la démocratie peut naître. La construction d’un musée Juif sera-t-elle l’une de ses pierres fondatrices?
Pèlerinage juif à la synagogue de la Ghriba, à Djerba.

Il était une fois 100.000 Juifs en Tunisie. Il n’y en a plus, ou presque: une centaine. Exception faite de la communauté très religieuse de l’île de Djerba, un millier de personnes environ. L’effacement spectaculaire de cette présence juive bimillénaire dans le pays, juste après les derniers départs des années 70, fut pour les juifs tunisiens une nouvelle blessure, ajoutée à celle de l’exil.

Petit à petit, la nostalgie des « Tunes » a fait place à une lucidité joyeuse, ce kif « made in Tunisia » qui nous caractérise. En janvier 2011, la révolution surgit en Tunisie et montra l’exemple aux autres pays arabes. Pas étonnant. Comme l’écrit Hamadi Redissi, auteur de l »‘Islam incertain », « sa modernité séculaire, son histoire l’a faite perméable aux idées nouvelles ». Enthousiaste pour mon pays natal, mais méfiante, j’écrivais: « Pour fabriquer un avenir libre, un pays doit réintégrer son passé dans l’enseignement prodigué aux générations présentes et celles à venir. Or, l’histoire et la présence des Juifs en Tunisie sont ignorées par les jeunes là-bas. »

Je ne savais pas qu’à l’Université de la Manouba, le Laboratoire du Patrimoine des Minorités avait entamé depuis longtemps un travail de recherche et de réhabilitation du judaïsme tunisien. Une création de Habib Kazdaghli, l’actuel doyen de la Manouba. Le Laboratoire fête aujourd’hui ses 20 ans. Le doyen Habib Kazdaghli est celui qui, en pleine tourmente islamiste, refusa le port du niqab dans les salles de cours. Il se bat pour la démocratie par l’enseignement, rien que l’enseignement. C’est aussi à la Manouba que la jeune et courageuse Khaoula Rachidi a arraché le sinistre drapeau des Salafistes, devenant la Marianne nationale. Mais les Salafistes veulent la peau du Doyen. Ils l’ont attaqué au sein même de son université, ont envoyé deux jeunes filles en niqab saccager son bureau pour prétendre ensuite avoir subi des violences de la part du doyen. Procès, faux témoignages, Kazdaghli sera enfin acquitté.

Mais rien n’est gagné à ce jour.

Quand, la semaine dernière, il m’a invitée à venir à Tunis, l’affaire de l’humoriste « sioniste » Michel Boujenah battait son plein. L’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT – une centrale syndicale qui a reçu le prix Nobel de la paix!) poussée par son extrême-gauche antisémite, exigeait l’annulation du spectacle de l’humoriste au festival de Carthage. Parce que « c’est un sioniste ». Le doyen est monté au créneau. Sa pétition est alors signée par une trentaine d’intellectuels. C’est peu. A Paris, pas un artiste ne s’est levé. Boujenah jouera finalement devant 700 personnes qui entonneront avec ferveur l’hymne national, comme un pied de nez aux barbus.

Alors, aller ou ne pas aller en Tunisie? Pas si simple pour moi. Mais entre le Doyen, héroïque combattant pour la paix et moi, il n’y a pas de double langage. Je suis sioniste. Et lui ne remet pas en question l’existence d’Israël. On peut parler. Etre amis. Une fois sur place, je comprends la vraie raison de son invitation.

Lors du dernier pèlerinage de Djerba en mai, un petit groupe mené par Kazdaghli et le professeur de l’EHESS Lucette Valensi, a décidé la création à Tunis du musée du Patrimoine juif, sous le haut-patronage de la Ministre du tourisme, Salma Elloumi Rekik, présente à Djerba. Le Doyen martèle: « Le projet du musée arrive 20 ans après le travail de notre Université. Trois thèses par an sur le judaïsme tunisien, même en France, vous n’avez pas ça! L’Etat suivra et devra assumer ses responsabilités: sauver le patrimoine juif et réintégrer les Juifs dans son Histoire nationale ». Dans les rues de Tunis, les gens de tous âges le saluent, le remercient.

Sous canicule et protection policière pour le Doyen, c’est un marathon: soutenance de thèse sur le Patrimoine judéo-tunisien, présidée par la directrice d’études de l’EHESS Lucette Valensi, rendez-vous avec la Ministre du tourisme et son équipe d’architectes et visite de l’ancienne « Hara » ( le quartier juif) aujourd’hui disparue, pour choisir l’emplacement du futur musée. Là, l’émotion prend à la gorge. 50 ans d’effacement nous contemplent. Le dispensaire de l’OSE, l’école de l’Alliance Israélite, l’ORT, la synagogue, tous ces hauts lieux de la vie juive à l’abandon, désertés, détruits, niés. Le sauvetage parait titanesque.

Pas pour Kazdaghli et son équipe.

« Ce projet, c’est aussi pour la Tunisie, le monde, l’extérieur, les Juifs! Par la reconnaissance de la diversité dont fut fait le pays, il sera une preuve de pérennité de la démocratie, fragile mais naissante. »

Ironie de l’Histoire: Les Juifs comme outil de défense de la démocratie tunisienne? Toutes les révolutions arabes ont échoué et la Tunisie reste le seul pays où la démocratie peut être érigée. La construction d’un musée Juif sera-t-elle l’une de ses pierres fondatrices?

Cela ressemble à une histoire de Ch’ha, ce personnage légendaire du Maghreb, fou et sage, commun aux Juifs et aux Arabes.

Source  huffingtonpost

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