Le droit des Palestiniens à vivre dans un Etat démocratique ainsi que la lutte contre l’occupation sont trop souvent l’instrument d’un racisme antijuif.
Une tribune parue dans Libération le 4 juillet met en garde contre « l’instrumentalisation de la lutte contre l’antisémitisme ». Ce qui dérange ses auteurs, c’est que, mettant fin à un trop long déni, le Parlement européen a enfin souligné le lien intime entre l’antisémitisme et la diabolisation d’Israël, la remise en cause de sa légitimité à exister. Ce déni, les signataires auraient dû être les premiers à le dénoncer, précisément parce qu’ainsi ils le soulignent, la lutte contre l’antisémitisme « doit s’inscrire dans le combat, essentiel et universel, contre toutes les formes de racisme et de discrimination » . En cause, le vote, le 1er juin dernier, d’une résolution qui reprend largement une « définition de travail » de l’antisémitisme adoptée en janvier 2016 par l’International Holocaust Remembrance Alliance (Ihra), organisation interétatique dont la France est membre. Un texte qui, à en croire les signataires de cette tribune, « s’écarte de son objet en multipliant les références à l’Etat d’Israël ».
En effet, la lutte contre l’antisémitisme n’empêche pas de critiquer librement la politique du gouvernement israélien. Mais est-ce vraiment de cela qu’il s’agit ? En réalité, ce n’est pas l’antisémitisme qui est instrumentalisé mais bien la cause de la défense du droit des Palestiniens à un Etat démocratique, celle de la lutte contre l’occupation, qui est trop souvent l’instrument d’un racisme antijuif.
La résolution se borne à citer parmi les formes d’antisémitisme la diabolisation d’Israël, le fait de présenter cet Etat comme une « entreprise raciste », de l’accuser d’inventer ou d’exagérer la Shoah, ou encore de remettre en cause son existence comme « collectivité juive » . Or qui peut sérieusement contester que l’antisémitisme aujourd’hui emprunte de tels chemins rhétoriques, et cible Israël pour mieux viser le Juif ?
C’est cette réalité, objet d’un trop long déni que la définition de l’Ihra a le mérite de souligner avec esprit de mesure. Les auteurs de la tribune en conviennent d’ailleurs à demi-mot lorsqu’ils citent le texte : « Une critique d’Israël similaire à celle menée contre n’importe quel autre pays ne peut être vue comme de l’antisémitisme. »
Tendancieuse, la définition de l’Ihra ? C’est si vrai qu’après avoir été adoptée par ses 31 pays membres, dont certains comme le Royaume-Uni l’ont traduite en droit interne, elle a également été validée par 56 des 57 pays membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), seule la Russie ayant manifesté des réticences. Rappelons que parmi les pays membres de l’OSCE figurent, outre la quasi-totalité des Etats européens et nord-américains, la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Les auteurs de la tribune soupçonneraient-ils ces Etats de complaisance envers le gouvernement israélien ? Cœur de la démocratie européenne, et parce que, comme le soulignait Elie Wiesel, la Shoah n’a pas commencé avec les chambres à gaz mais avec des mots, le Parlement est parfaitement dans son rôle en définissant l’antisémitisme contemporain pour mieux le combattre.
Au final, où est l’instrumentalisation ? Certainement pas dans un texte qui s’appuie sur des recherches sérieuses sur les mécanismes universels de haine et de déshumanisation et qui décrit avec discernement toutes les formes de l’antisémitisme.
Aussi bien celles, toujours à l’œuvre, utilisées par l’extrême droite, que celles qui, sous couvert de défendre la cause palestinienne, remettent en cause l’existence d’Israël en tant qu’Etat juif, cautionnent des écrits négationnistes et se réjouissent publiquement des attentats perpétrés contre des civils, présentés comme des « actes de résistance ».
Ce n’est pas aux Palestiniens, ni aux partisans de la paix côté israélien, que l’on rend service en taisant cette réalité. Une fois encore, en publiant une tribune qui rend compte de manière partielle et partiale de l’initiative du Parlement européen, des intellectuels « progressistes » préfèrent la voie du déni à celle de la lucidité.
SIGNATAIRES
Keren Ann – Artiste
Aurore Bergé – Députée de la 10ème circonscription des Yvelines.
Laurent Bouvet – professeur de science politique à l’Université Paris-Saclay
Pascal Bruckner – Romancier, essayiste
Gilles Clavreul, ancien délégué à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT
Benjamin Djiane, adjoint au maire du 3ème arrondissement de Paris
Jean Paul Fitoussi _ Professeur Emerite Sciences Po Et Professeur d’économie à la LUISS Rome
Emilie Frèche – Ecrivain, scénariste
Medhi Ghouigarte – Maître de conférences à l’Université de Bordeaux III-Michel de Montaigne
Jerome Guedj – Conseiller Départemental de l’Essonne, ancien parlementaire
François Heilbronn – Professeur associé à SciencesPo
Patrick Kessel, journaliste, essayiste
Patrick Klugman – Avocat – Adjoint au Maire de Paris
Marc Knobel – Historien et directeur des études du CRIF
Joël Kotek, professeur de science politique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)
Marceline Loridan-Ivens, réalisatrice, ancienne déportée
Sylvain Maillard – Député de la 1ʳᵉ circonscription de Paris
Radu Mihaeleanu – Réalisateur
Denis Peschanski – Directeur de recherche au CNRS
Rudy Reischstadt – Politologue
Simone Rodan – Directrice AJC Europe / AJC Paris
Iannis Roder – Professeur d’histoire Géographie
Dominique Reynie – Directeur général de la Fondation pour l’innovation politique
Dominique Schnapper – Sociologue, membre honoraire du Conseil constitutionnel et présidente du musée d’Art et d’histoire du judaïsme et de l’Institut d’études politiques de Paris
Brigitte Stora – Sociologue et journaliste
Manuel Valls – Ancien Premier Ministre – Député de l’Essonne
Poster un Commentaire